Au XVIIIe siècle, la formule qui vive ? fut officiellement instituée par Louis XV, dans une ordonnance visant à régler le service et la relève des gardes. Après avoir crié trois fois Qui vive ? et faute de réponse, le factionnaire devait crier Halte-là et prévenir qu’il allait tirer. Si malgré ces sommations, l’ennemi supposé continuait à avancer, la sentinelle avait ordre de tirer et d’appeler la garde.
À partir du XVIIe siècle, qui vive s’employa comme nom masculin dans se tenir ou être sur le qui-vive désignant un état de vigilance, d’attention permanente ; un état qui rappelle la fonction de la sentinelle, chargée de guetter le moindre signe de danger pour donner l’alerte. Aujourd’hui, on demande aux lanceurs d’alerte d’être sur le qui-vive sans même sortir de chez eux : il y a Internet.
« Avec tout ce noir qu’on broie en son cerveau, composer de la candeur, […] se retenir, se réprimer, toujours être sur le qui-vive, se guetter sans cesse. »
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Laisser quelqu’un, quelque chose en rade
Avant un long trajet, un départ en vacances, certains ont coutume de porter leur voiture chez le garagiste pour un contrôle. C’est qu’ils ne voudraient pas tomber en panne et laisser leur véhicule en rade sur le bord de la route. Associé à l’idée de déroute, ce rade a-t-il à voir avec le rade où échoue le buveur désœuvré, ou encore avec le radeau à bord duquel le naufragé dérive ?
Mais non. En rade est sans rapport avec le comptoir du bistrot, ni avec l’embarcation. Le mot vient du vieil anglais rad « voyage, « passage », à l’origine des modernes road « route » et raid, ce dernier adopté en français. Le mot, qu’on lit au XVe siècle dans une ordonnance de Louis XI, désignait un mouillage dans lequel les bateaux pouvaient s’abriter.
La rade est pour le Dictionnaire de l’Académie une « étendue de mer proche des côtes, qui n’est point enfermée, mais qui est à l’abri de certains vents, et où les vaisseaux peuvent tenir à l’ancre » ; elle est à distinguer du port, ainsi que le rappelle Antoine Furetière, dans son Dictionnaire universel : « Les grands vaisseaux se mettent à la rade, quand ils ne trouvent pas de ports qui aient assez de fond, ou quand ils en sont trop éloignés. »
Par l’intermédiaire du vocabulaire de la marine où être en rade équivaut à être immobilisé, à l’arrêt, l’expression familière s’est répandue au début du XXe siècle. On parle ainsi par exemple d’un projet qui reste ou qui tombe en rade. Ce qui n’est pas une raison pour se croire à l’abri lorsqu’on est en rade, de même qu’en panne, autre métaphore maritime, ne dénonce plus le calme plat, mais l’échec.
« Elle était parvenue à vendre une bonne partie des “rossignols”, des guipures à franges et les lourds châles de Castille qu’étaient en rade depuis l’Empire ! »
Passer la rampe
Pour Michel Leiris, dans Fourbis, « rien ne vaut, en art comme en littérature, que ce qui passe la rampe et frappe en pleine poitrine, comme le raccroc d’une prostituée faisant naître un désir subit ». Quelle est cette chose, apparemment primordiale dans les arts, qui doit enjamber une rampe avant de nous frapper au cœur ? C’est l’effet produit sur un public. Mais pourquoi cette rampe à franchir pour atteindre la cible ?
Rampe, dérivé du verbe ramper qui signifiait d’abord « grimper » (le lion rampant du blason se dresse sur ses pattes arrière), est apparu au XVIe siècle avec l’idée d’une montée verticale. Il a d’abord renvoyé à une volée d’escalier, avant de désigner la balustrade servant d’appui et de garde-corps, un siècle plus tard (d’où vient qu’on a dit tenir bon la rampe et lâcher la rampe). C’est ainsi que dans les théâtres à l’italienne aménagés au début du XIXe siècle, on installa une rampe le long de la scène afin de protéger les comédiens contre une chute possible dans la fosse d’orchestre.
Mais rampe s’applique également à la rangée de lumières, des chandelles du temps de Molière, qui borde horizontalement l’avant-scène, éclairant les comédiens par en dessous et délimitant clairement pour eux le bord du plateau. On le devine, les éclairages qui mettent, parfois cruellement, le spectacle en lumière sont les feux de la rampe. Dans ce contexte, l’acteur doit passer la rampe, pour toucher, pour émouvoir le public. Un effet ou une mise en scène réussis traversent alors le fameux « quatrième mur », cette cloison imaginaire qui sépare les artistes des spectateurs.
Dans la vie et dans la rue aussi, pour exister, il faut pouvoir passer la rampe des indifférences et celle, plus pénible encore, des mépris.
C’est idiot car cette rampe est installée précisément pour le quidam ou le quid’homme si c’est un mâle, pour lui signifier de ne pas aller au-delà d’une certaine limite. Passer la rampe peut être traduit par « faire une bêtise ».
En connaître un rayon
On dit de quelqu’un qui détient de fortes connaissances sur un sujet qu’il en connaît un rayon. L’expression s’emploie avec un respect admiratif. On peut penser que cette personne maîtrise un savoir aussi grand que celui des livres rassemblés sur les rayons d’une bibliothèque.
Ce rayon, d’origine germanique, ce fut d’abord le gâteau de cire formé par des abeilles et dont les alvéoles sont remplies de miel. Évoquant cette disposition régulière, le mot a pris le sens de « tablette de rangement » longtemps avant de désigner chaque partie d’un magasin réservée à un type de marchandise : le rayon jouets, le rayon outils… D’un chef de rayon qui maîtrise les caractéristiques de l’offre proposée, on a dit qu’il connaissait son rayon. De là serait né en connaître un rayon, qui ne vient donc ni du savoir-faire de l’apiculteur ni de la culture livresque.