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Ainsi, quand on dit que quelqu’un est trempé comme une soupe, on a tendance à comprendre « trempé par la soupe céleste » ou « amolli et comme liquéfié à l’instar du potage », ce qui est un contresens. Mais on le préfère, ce contresens, à des expressions qui seraient correctes et respectueuses du passé des mots, mais ridicules, telles que trempé comme une tranche ou comme un petit pain dans du potage.

À titre d’exemple

« J’arrivai enfin, trempé comme une soupe, de pluie, de sueur et de pleurs — car quelle anxiété : est-elle encore vivante ? Je l’aimais tant ! »

Verlaine, Confessions, 1895.

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Faire un tabac

avoir un grand succès

L’histoire du tabac et de son nom, c’est un peu la descente aux enfers. Au XVIIe siècle, Molière attaque sa pièce superbe, Dom Juan, par un éloge comique du tabac, alors considéré comme le remède miracle. Trois siècles et demi plus tard, on sait que « fumer tue ». Entre temps, on en a fumé du tabac, mais aussi on en a mâché, on en a prisé, en se bourrant le nez de poudre de tabac.

Le nom de cette herbe dont on se bourrait le pif a pu motiver un autre tabac, synonyme de bourre-pif « coup de poing dans la figure », mais celui-ci viendrait de tabasser, issu de l’onomatopée tab- exprimant l’idée de coup, qu’on retrouve dans le moyen français tabuster, « frapper », qui a donné tarabuster. C’est ainsi que passer à tabac signifie « assommer, bourrer de coups » et que le coup de tabac devint un violent coup de vent et de grosse mer. Plus rien à voir avec la nicotine qui se cache dans cette herbe qu’a fait connaître en France Jean Nicot, ambassadeur et auteur par ailleurs d’un superbe dictionnaire, un Trésor de mots, vraiment.

Dans le répertoire d’expressions où tabac entraîne l’idée de « coups redoublés », l’argot du théâtre, vers 1900, appelle ainsi les applaudissements du public. On a dit d’une pièce à succès et des comédiens qui l’interprètent qu’ils avaient le gros tabac quand les spectateurs tapaient avec ardeur dans leurs mains pour applaudir. Et on peut se souvenir de ceci : les applaudissements programmés — comme aujourd’hui dans certains spectacles à la télévision — s’appelaient la claque, qui fait penser à la gifle.

De là l’expression plus récente faire un tabac pour « obtenir un gros succès », formule où ni le tabac ni la nicotine ne sont en cause, et où l’on n’entend même plus les coups bruyants que sont les applaudissements. Et c’est ainsi que le mot tabac a voulu dire succès, grâce à ce verbe tabasser qui n’a aucun rapport avec une fumée nocive, ni même avec le vapotage.

À titre d’exemple

« Hier, elle a mis en ligne une vidéo sur Youtube pour fêter Pâques. Naturellement, cette vidéo a fait un tabac sur le net avec plus de cinq cent mille vues en huit heures. »

Nord Littoral, 2015.

Miser sur tous les tableaux

se ménager un intérêt dans différents partis, afin de ne pas perdre

Afin de limiter les risques, certains préfèrent jouer ou miser sur tous les tableaux. Ils multiplient ainsi leurs chances d’obtenir des avantages, quelle que soit l’issue de l’affaire. Une attitude assurément prudente et retenue, voire un manque de courage. Mais cela ne nous dit pas quels sont ces tableaux sur lesquels on parie.

La spéculation sur le marché de l’art peut certes entraîner une hausse de la valeur des œuvres, grâce à quoi les connaisseurs peuvent s’enrichir. Mais ce n’est pas de toile qu’il est question ici. Pas plus que du tableau noir des écoliers ni du panneau sur lequel s’affichent les cotes et les résultats des courses, même si l’on peut miser sur le bon ou sur le mauvais cheval.

Cependant, comme le suggèrent les verbes miser, jouer ou gagner, c’est bien du domaine du jeu que provient l’expression. À certains jeux d’argent comme la roulette, on dépose sa mise sur un emplacement correspondant à la couleur ou au numéro que l’on espère voir sortir : c’est le tableau. Tableau vient de table, et la table de jeu a donné lieu à une expression imagée : jouer cartes sur table, c’est agir franchement, loyalement.

L’univers du jeu offre de nombreuses métaphores évoquant un affrontement entre différents partis ou la stratégie engagée pour réussir. Ainsi, quel que soit le nombre d’atouts et que l’on joue franc jeu ou pas, on finit toujours par abattre sa dernière carte. Et dans ce cas, sauf si les dés sont pipés*, c’est souvent quitte ou double. C’est le langage du hasard, du gain et des pertes. À jouer sur plusieurs tableaux, on risque moins, mais on peut se déshonorer à jouer les contraires, ce qui amène à retourner sa veste.

À titre d’exemple

« Gagner à tout coup, tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre tableau. »

Montherlant, Les Jeunes Filles, 1936.

Écrire, noter, marquer quelque chose sur ses tablettes

prendre bonne note de quelque chose

Des amis vous appellent et vous demandent de noter sur vos tablettes qu’ils pendent la crémaillère, qu’ils se marient ou qu’ils fêtent un anniversaire dans un mois. Parfait : vous êtes équipé et à l’aise avec les nouvelles technologies, téléphones « malins », tablettes tactiles. Sauf que…

Cette expression est attestée depuis le XVe siècle, époque où l’on mettait diverses informations en ses tablettes, ce qui n’avait rien à voir avec la modernité technique et faisait référence à l’Antiquité. Il faut remonter à l’apparition de l’écriture, dans les lointains empires de Sumer, puis d’Akkad, pour rencontrer ces tablettes. Les premières écritures, après des pictogrammes, furent des signes cunéiformes, gravés sur une surface plane. Cette surface devait être constituée ou recouverte d’une matière suffisamment tendre pour pouvoir être incisée par un roseau taillé en pointe qui laissait des traces « en forme de coins », cunéiformes. Les tablettes d’argile de Mésopotamie ont traversé le temps et sont parvenues jusqu’à nous. Par la suite, la cire offrira une couche molle propice aux inscriptions.