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Va-tout présente une forme étrange, mais son cas n’est pas unique. On trouve la même construction avec une forme du verbe aller dans va-t-en-guerre, manière imagée de nommer une personne belliqueuse, ou dans la locution adverbiale à la va-vite. Ce va-tout est à mettre en relation avec à tout va, « sans limite », aujourd’hui très courant, qui vient de la formule utilisée dans les casinos pour indiquer que la mise n’est pas limitée ou que l’argent sur le tapis est remis en jeu.

Transposée de la table de jeu à la vie quotidienne, l’expression gagne en intensité. Elle nous rappelle que dans la vie, qui ne hasarde rien n’a rien !

À titre d’exemple

« Mais si les gouvernements sont assez fous pour jouer leur va-tout et risquer la ruine totale, plutôt que de céder. »

Roger Martin du Gard, Les Thibault, L’Été 14, 1936.

Aller à vau-l’eau

se perdre, se désorganiser, péricliter

Bien étrange, ce vau sans e, qui n’a aucun rapport avec l’enfant de la vache. Comme le latin valles ou vallis, dont il provient, le val (vau dans l’ancienne langue) est une forme de paysage : une zone plus basse entre deux plus élevées. Mais il se trouve que dans ces vaux coule et court de l’eau, qui se déplace selon la pente et vient de plus haut, autrement dit des monts. Alors, le val change de sens et suit celui du cours d’eau. Vers le mont, à mont, c’est non seulement plus haut, mais aussi avant. À val, c’est plus loin, après, vers le fleuve et, par le fleuve, vers la mer.

Aval, « en suivant la pente », s’est prononcé avec un l voyelle, quelque chose comme vaw, écrit vau au XVIe siècle : on dit alors à vau de route « en dévalant la pente » (dévaler, c’est encore val), mais aussi à vau de vent, à vau de pays et à vau-de-l’eau. Seule cette manière de parler a survécu, on ne sait pourquoi. Si l’expression avait gardé son sens concret, « descendre un cours d’eau dans le sens du courant », elle n’aurait peut-être pas survécu. Mais elle suggérait à la fois la descente, d’où l’échec, et le laisser-aller. Ses contenus exprimaient la crainte d’un risque universel, celui d’être entraîné et impuissant dans une évolution désastreuse.

Oubliant qu’on peut descendre sportivement et très activement des rapides en kayak, l’expression dénonce le laisser-aller et l’échec de ceux qui dévalent la pente. À vau-l’eau est le titre d’un roman pessimiste et réaliste de Huysmans. Avec le verbe aller, cette expression qui joue le rôle d’adverbe fait partie des façons de dire l’échec et la passivité devant les difficultés de la vie.

À titre d’exemple

« Ni le lendemain, ni le surlendemain, la tristesse de M. Folantin ne se dissipa ; il se laissait aller à vau-l’eau, incapable de réagir contre ce spleen qui l’écrasait. »

Huysmans, À vau-l’eau, 1882.

Par monts et par vaux

à travers tout le pays ; de tous côtés, partout

Les monts ne sont pas en relation obligée avec les veaux. Avec les vaux, un peu plus. Moins banal que montagne, mont inclut toute élévation de terrain, de la colline à l’Himalaya. Le contraire, ou plutôt le complémentaire des monts, ce sont les plaines et les vallées. De même que l’usage a privilégié montagne sur mont, il marque une préférence pour vallée par rapport à val.

De ces quatre mots, seul val change de forme, lorsqu’on prononce son pluriel. On peut hésiter entre val de Loire et vallée de la Loire, mais au pluriel, on n’a plus le choix : les Vaux-de-Cernay. L’avantage de n’avoir qu’une syllabe donne à mont et val, au pluriel monts et vaux, l’occasion de représenter par une expression rapide la totalité de la surface terrestre, hormis celle des eaux. Parcourir montagnes et vallées est descriptif et clair, mais nous préférons dire par monts et par vaux, plus vif, plus dansant peut-être, exprimant mieux les errances, les surprises du voyage sans but précis.

L’association de ces deux monosyllabes, monts et vaux, a eu, vers les XVe et XVIe siècles, un succès remarquable pour exprimer la totalité : promettre, faire croire, jurer les monts et les vaux, faire les monts et les vaux, autrement dit, « la totale ». Pour « monter et descendre », et même « aller et venir », c’était aller à mont et à val, ou à val et à mont. Ne (ni) mont ni val, c’était « rien du tout ». Parfois, le mot plaine remplaçait val, mais, allez savoir pourquoi, c’est le val puis les vaux qui ont gagné la partie.

Et on a continué à aller par monts et par vaux, autrement dit en amont comme en aval. Façon imagée de parcourir un monde sans villes, sans pollution et sans autoroutes. Précieux souvenir.

À titre d’exemple

« Il allait par monts et par vaux, cherchant périls et aventures, il traversait d’antiques forêts, de vastes bruyères, de profondes solitudes. »

Chateaubriand, Le Génie du christianisme, 1802.

Jeu(x) de main,

jeu(x) de vilain(s)

les jeux de main finissent presque toujours mal

Quel parent ne l’a pas dit un jour à des enfants agités, pressentant que le chahut allait dégénérer en bagarre ? Des enfants qui se battent sont des garnements qu’il est tentant de traiter de vilains. Pourtant cet adjectif ne détient pas la clé de cette mise en garde.

Il faut remonter à l’époque médiévale et à l’organisation féodale qui distinguait deux catégories de paysans, les serfs et les vilains, seuls ces derniers étant de condition libre. C’est cette paysanne au jupon troué, moquée par des militaires, que chantait Brassens : « Les sabots d’Hélène Étaient tout crottés Les trois capitaines L’auraient appelée vilaine ». Habitant la campagne, le vilain s’oppose au bourgeois des bourgs, devenus des villes, et, roturier, il s’oppose au noble titré.

Vilain vient du latin villanus, de villa « ferme, domaine agricole ». Le latin disposait de deux autres mots pour désigner les habitants de la campagne. Paganus, qui donnera païen, parce que les habitants des campagnes étaient aux yeux de l’Église obstinés dans leurs croyances anciennes. Rusticus, de rus « campagne » nous a donné rural, rustique et rustre. Rustre, rustaud, et vilain partageaient l’idée de brutalité, de grossièreté, opposée à l’urbanité supposée des habitants de la ville (urbs).