Les animaux ont longtemps partagé le quotidien des hommes : l’animal domestique, avant l’avènement de l’ère industrielle, remplit les fonctions d’un outil au service de son maître, qui se décharge d’une partie de ses peines sur ce compagnon de labeur.
Le mot bât, issu du latin populaire bastum, « ce qui porte », désigne depuis le Moyen Âge le dispositif, le plus souvent en bois, que l’on attache sur le dos de l’âne, du cheval ou du mulet pour porter une charge. D’un homme trop vêtu, on a dit qu’il était rembourré comme le bât d’un mulet. Ce mot s’est effacé au profit de somme, dans bête de somme, « bête de charge », et la confusion fréquente avec l’homophone bas confirme l’oubli dans lequel est tombé cette pièce du harnais.
Mal attaché ou trop chargé, trop étroit ou trop large, le bât provoque des plaies sur le dos de l’animal. On conçoit aisément que l’expression ait pu naître de l’observation de ces souffrances : là où le bât blesse, c’est la situation source de difficulté, la faiblesse, le point précis où peut apparaître une blessure, plus souvent psychologique ou morale que physique. S’il est vrai que chacun d’entre nous porte son bât, image plus modeste que celle de la croix, et connaît son lot d’épreuves, il faut se garder de révéler à une personne mal intentionnée là où ce bât est susceptible de nous blesser.
Aussi, comme aurait pu l’écrire La Fontaine dans l’une de ses fables, qui illustrent habilement la manière dont le règne animal nourrit la langue et l’imaginaire des hommes, mieux vaut rester muet comme une carpe et se montrer rusé comme un renard que risquer de passer pour un âne bâté !
bât
[ bɑ ] nom masculin
ÉTYM. 1268 ♦ bas latin °bastum, de °bastare « porter » ou du latin populaire °basitare, de basis « base, support »
■ Dispositif que l’on place sur le dos des bêtes de somme pour le transport de leur charge. […]
À bâtons rompus
On pouvait autrefois, manger, dormir et même travailler à bâtons rompus, c’est-à-dire de manière irrégulière, peu suivie. Aujourd’hui, l’expression ne s’emploie plus qu’au sujet d’un échange de propos informel, et si son sens semble parfois flou, son origine est encore plus incertaine.
Que sont ces bâtons ? Le mot a de nombreuses acceptions qui pourraient donner lieu à autant d’explications. Selon Littré, il s’agirait en l’occurrence des baguettes de tambour et le verbe rompre ne serait pas à entendre au sens de « briser » mais à celui de « interrompre », comme on ordonne au soldat de rompre le pas ou les rangs. Une batterie à bâtons rompus s’exécute en frappant de manière intermittente, produisant un son moins régulier qui ajoute du rythme au roulement continu.
Mais la clé du mystère pourrait se situer du côté de l’héraldique : nous avons en effet affaire à deux termes propres à la description des armoiries. Dans le blason, un bâton est une barre qui n’a que le tiers de la largeur normale. L’adjectif rompu qualifie la pièce brisée. L’expression s’est d’ailleurs également appliquée à différents motifs ornementaux à baguettes brisées.
Dans les deux cas, c’est bien le caractère discontinu qui prime, ce qui est parfois oublié de nos jours. Une discussion à bâtons rompus, c’est donc une parlote où l’on change fréquemment de sujet, où l’on passe du coq à l’âne, autre expression qui montre que, même lorsqu’on a de la suite dans les idées, on n’en a pas toujours dans les conversations.
« Ce sont des causeries à bâtons rompus dont le sens souvent échappe. »
Sortir des sentiers battus
Quiconque s’est adonné au plaisir de la randonnée connaît l’importance de suivre le tracé du sentier sur lequel on s’est engagé. Si on le perd, ou pire, si le sentier disparaît sous les herbes et les arbustes, il n’y a plus qu’à rebrousser chemin ou à s’orienter en fonction du soleil et des étoiles.
On peut faire confiance au sentier : il a été formé par le passage répété des hommes ou du bétail, et vous mènera nécessairement quelque part. Souvent, il est marqué par des signes qui permettent de s’assurer qu’on le suit. Le sentier conserve le souvenir de cette présence collective, même lorsqu’on marche seul.
L’adjectif battu signifie « foulé par les pieds des marcheurs ». On retrouve là le sens premier de battre, qui désigne le fait de « frapper de coups répétés ». Ici ce sont les pieds ou les sabots qui battent le sol, tant et si bien que sur la terre, marquée par les piétinements répétés, plus rien ne pousse.
La terre battue, avant de revêtir les courts de tennis, constituait le sol des humbles demeures. Pierre-Jakez Hélias évoque dans Le Cheval d’orgueil ces assemblées de voisins, dansant au son des cornemuses et des bombardes, et martelant en cadence la terre argileuse avec leurs sabots de bois pour aplanir le sol de la pièce à vivre ou de l’aire à battre (pour le battage des céréales, on reste en famille).
Au figuré, celui qui suit les sentiers ou les chemins battus suit les procédés ordinaires, les moyens connus, les usages établis. Au contraire, sortir des sentiers battus c’est se démarquer, faire preuve d’audace, d’anticonformisme. C’est comme de skier hors piste.
Qui choisit de sortir des sentiers battus décide de s’aventurer en terre inconnue : il s’agit de prendre les chemins de traverse ou de frayer sa propre route, quitte à affronter les obstacles et les dangers. Attitude téméraire qui suppose que l’on sache s’orienter autrement qu’en suivant une voie toute tracée !
« Faire sortir l’esprit de son ornière, le mener chercher fortune “hors des sentiers battus”. »
Tailler une bavette
Furetière l’expliquait clairement et de manière un peu sexiste dans son Dictionnaire : « On dit proverbialement et bassement, que des femmes vont tailler des bavettes, quand elles s’assemblent pour caqueter ». Autrement dit, quand on taille une bavette, on bavarde ou on tient le crachoir. Bref, on a besoin de salive pour ne pas rester sec.
Cette bavette ne renvoie pas au morceau que le boucher découpe dans l’aloyau, même si l’art du boucher et celui du bavard ont des points communs. On taille et on débite une pièce de bœuf, comme on détaille ses histoires et on débite des arguments. On entame une histoire comme un jambon. Le morceau de bœuf doit son nom à la bavette qui protège les bébés : sa forme plate et large rappelle celle du bavoir. Cet objet n’est pas non plus à l’origine de notre expression, même si on le découpe dans des pièces de tissu.