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Bavette est en réalité à mettre en relation avec un ancien sens de bave. Jusqu’au XVIe siècle, tout en étant déjà un synonyme peu ragoûtant de salive, il signifiait aussi « babil, loquacité ». Cet emploi est à l’origine de bavard, bavardage et bavarder. Baver, comme cracher, signifie « parler » dans de nombreux usages populaires. On retrouve cette idée avec baver sur quelqu’un qui signifie « dire des médisances ». Quant au verbe tailler, comme débiter, il a longtemps été employé dans le contexte de la parole : tailler bien la parole à quelqu’un, c’était lui parler avec éloquence.

Cette expression n’a désormais plus de mystère pour vous. Gardez bien son explication en tête : elle sera un bon sujet de conversation la prochaine fois que vous voudrez discuter le bout de gras.

À titre d’exemple

« Parlez-vous français ? Elle me fait risette. — No… Je fais claquer mes doigts. Impossible de tailler une bavette dans ces conditions… »

San-Antonio, Sérénade pour une souris défunte, 1954.

Tomber sur un bec

rencontrer un obstacle imprévu, insurmontable

Rencontrer une difficulté inattendue est une expérience désagréable. Le rapport avec le bec de l’oiseau n’est pas évident. Cet appendice pointu peut provoquer quelques dommages mais c’est lui qui vient piquer ; pourquoi tomberait-on dessus ?

C’est sur la voie publique que se trouve l’origine de cette expression. Ou plutôt se trouvait car ce type de mobilier urbain a disparu. Au début du XIXe siècle, l’éclairage public était assuré par le gaz, un gaz baptisé « d’éclairage » ayant été découvert à la fin du XVIIIe siècle. Sous la Restauration, le gaz fut une noble lumière : la « Compagnie Royale d’Éclairage par le Gaz » honorait Louis XVIII. L’allumeur de réverbères cher au Petit Prince dut alors se convertir en allumeur de gaz.

Les lampadaires étaient appelés becs de gaz et « les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune » put écrire Guillaume Apollinaire. Le bec du réverbère était précisément la partie de la lampe où se produit la combustion, l’extrémité du brûleur. On peut évoquer le bec Bunsen, cet instrument de laboratoire inventé par Faraday et qui produit une flamme ouverte. Ce bec, source de flamme, avait une tête vitrée qui réverbérait la lumière et un corps en forme de colonne.

Rencontrer la colonne d’un bec de gaz était un incident douloureux qui survenait aux ivrognes titubant dans la rue et insoucieux des obstacles, ou encore aux distraits qui flânent le nez en l’air. De nos jours, bec et gaz étant signes d’un ancien temps, l’obstacle est figuré par toute difficulté inopinée sur laquelle on peut tomber.

À titre d’exemple

« Il séduit, pousse son avantage, puis il se débarrasse de la maîtresse encombrante. Ce coup-là, il est tombé sur un bec. Un frère ou le mari. »

Alain de Libera, Morgen Schtarbe, 1999.

Avoir la berlue

avoir des visions

Madame de Sévigné annonce un jour à son cousin Monsieur de Coulanges : « la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouïe […] ; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ». Cette chose, c’est le mariage au Louvre de la Grande Mademoiselle, cousine du roi, avec le duc de Lauzun, courtisan ambitieux et sans scrupules.

Au-delà du carnet mondain de l’an 1670, on voit bien que avoir la berlue va plus loin que ne pas en croire ses yeux. On a oublié cette berlue, variante de bellue qui désignait au Moyen Âge une fable, un discours merveilleux et trompeur. Le mot réapparaît au XVIe siècle en médecine. On se plaignait alors de berlue lorsqu’on était victime de troubles de la vue déformant la réalité ou faisant apparaître des mirages.

Il y a tant d’hypothèses savantes sur l’origine du mot qu’on en a la berlue. Bellue pourrait provenir d’un ancien verbe belluer « éblouir, duper » mystérieux et où se cache peut-être la lumière, lux en latin. Ce dont on est sûr, c’est que berlue est à l’origine d’un mot bien connu, éberlué, synonyme de ébahi et de stupéfait. On peut regretter l’oubli d’une autre expression, avoir la berlue pour quelqu’un, « être ébloui par quelqu’un, en être épris ».

Toujours est-il que Madame de Sévigné, au lieu d’avoir la berlue, est finalement « tombée du haut des nues* » car l’ambitieux duc de Lauzun n’épousa pas Mademoiselle de Montpensier, sur interdiction formelle de Sa Majesté Louis XIV.

À titre d’exemple

« Si, je n’ai la berlue, Je le vois qui revient.

Molière, L’École des femmes, 1662.

Être en bisbille avec quelqu’un

se quereller avec quelqu’un pour des motifs futiles

Quand deux personnes sont en bisbille, elles sont fâchées l’une contre l’autre, mais leur querelle ressemble davantage à une dispute d’enfants qu’à une crise diplomatique : la brouille est passagère et de peu d’importance.

La futilité du motif semble se manifester jusque dans les sonorités de bisbille : telle une brouille pour un sac de billes, ou une bouderie, ce mot ne laisse entendre ni cris ni coups, plutôt quelque broutille, et qu’on bredouille des reproches pour marquer son mécontentement. Il sonne comme un bourdonnement, ce que confirme son origine : bisbille est un mot emprunté à l’italien bisbiglio qui veut dire « murmure ». Le glissement de sens du murmure à la dispute se devine : murmure signifie aujourd’hui « chuchotement » et « bruit léger et doux », mais son sens originel est « grondement, bourdonnement ». On parlait ainsi des murmures d’une foule en colère.

L’expression souligne à quel point la querelle sonne faux. Non seulement elle est vaine, mais, comme le rappelle George Sand dans La Petite Fadette, elle peut même être inventée de toutes pièces : « Si quelque badaud s’étonnait de les voir en bisbille, ils se cachaient pour rire de lui, et on les entendait babiller et chanter ensemble comme deux merles dans une branche. »