La bisbille est une querelle sans lendemain, une querelle de comédie. On ne s’étonnera donc pas que le mot nous soit venu du pays qui vit naître la commedia dell’arte et l’opéra bouffe, ces spectacles qui mettent en scène d’innombrables disputes, aussi sonores que légères.
« Brouillé avec son ex, en bisbille avec ses sœurs et sans nouvelles de sa mère depuis sept ans, il a claqué la porte de chez son père en mars dernier. »
Bisque, bisque, rage !
La taquinerie enfantine ne manque pas de ressources pour faire tourner son prochain en bourrique. Elle se trouve illustrée par une amusante expression devenue quelque peu désuète : bisque, bisque, rage ! Cette formule, plus ou moins méchante, est en tout cas plus énergique que nanananère.
Il n’est en rien question de la bisque, ce potage onctueux fait avec des crustacés. Tout comme rage est celui de rager, bisque est ici un impératif : celui de bisquer, « éprouver du dépit, de la mauvaise humeur », qui s’emploie encore dans une autre expression, faire bisquer quelqu’un, « le faire enrager ».
L’origine de ce verbe demeure obscure. Certains y voient une dérivation du provençal bisco « mauvaise humeur, fâcherie, impatience », lui-même emprunté à un mot dialectal italien biscare, « s’emporter ». Mais cette explication peu appuyée n’est guère convaincante.
D’autres le rapprochent plutôt de l’occitan biscaïn « de Biscaye » : tout comme les Gascons étaient vantards et les Basques couraient vite, les habitants de cette région d’Espagne auraient eu au XVIIe siècle la réputation d’avoir très mauvais caractère. Belle illustration des préjugés qui avaient cours alors !
On a aussi rattaché bisquer au vieux verbe bisicare « aller de biais, de travers », dont viendrait également le dialectal bisco « chèvre », sans rapport avec bique. La chèvre est têtue, c’est un fait. Et l’on ne peut qu’être séduit par cette hypothèse qui nous rappelle une autre expression utilisée pour dire que l’on fait enrager quelqu’un : faire devenir chèvre.
« Nous commençâmes de courir autour d’elle ; nous tirions ses boucles et nous échappions en frottant un index contre l’autre : “bisque, bisque, rage…” »
Être agité du bocal
Les laboratoires sont des lieux où voisinent en bonne intelligence les bocaux et ces petites baguettes de verre qu’on appelle des agitateurs. L’expression être agité du bocal n’a pourtant rien à voir avec les expériences scientifiques.
Agiter, par son origine latine, c’est agir avec excès, et l’agitation est une somme de mouvements irréguliers. Quant au bocal, récipient dont le contenu est tranquille, on ne voit pas en lui un lieu agité, même avec des poissons rouges à l’intérieur. Mais comme tout récipient, la carafe, la cafetière, le pot, qui se disait en latin testa, le bocal était guetté par la métaphore de la tête.
Déjà, pendant la guerre de 1914–1918, les poilus avaient appelé bocal un casque de fantassin. Du casque au crâne, il n’y avait qu’un pas. Or, depuis Les Misérables de Victor Hugo, on savait qu’il pouvait y avoir « une tempête sous un crâne ». L’agitation des pensées, l’excitation, sont propres aux manieurs d’idées. Et dire d’une personne imprévisible, changeante dans ses idées, en un mot un peu folle, ou simplement nerveuse, qu’elle était agitée, non seulement du corps, mais de la tête, du bocal, fut une plaisanterie sans méchanceté.
Dans la lutte des idées, quand deux bocaux de cette espèce se rencontrent, ça peut cogner. Ce fut le cas lorsque Céline, génial écrivain aux idées dangereuses, parfois détestables, s’en prit à un grand penseur qui l’insupportait, Jean-Paul Sartre. Il intitula un pamphlet dirigé contre lui À l’agité du bocal, mais on peut penser que l’agitation de son esprit était plus grande encore. Comme disent les enfants : « c’est celui qui dit qui l’est ».
« Il était très copain avec Sachs, un autre généraliste agité du bocal qui pompait l’air des gynécos au CHU, et qui avait bossé à l’unité 77 avec lui. »
Être à la bourre
Lundi matin, 8 heures, vous voilà à la bourre pour aller au travail : vous êtes en retard. Pourtant vous n’êtes pas bourré, ni fatigué d’avoir dansé la bourrée la veille avec des amis auvergnats. Non, c’est le surmenage qui vous gagne : bourreau de travail, vous bourrez votre agenda de réunions et de projets. Si bien qu’épuisé sous votre couette rembourrée, vous n’avez pas entendu le réveil. C’est donc tout ébouriffé et bourru que vous vous rendez au bureau en bourrant sur le chemin.
Aussi étonnant que cela paraisse, le mot bourre est à l’origine de tous ces vocables aux consonances proches. Issu du latin burra « étoffe grossière », il a désigné les déchets d’une fibre, puis encore aujourd’hui l’amas de poils qu’on détachait des peaux à tanner, et servant notamment à garnir les selles et les harnais.
De ces emplois originels de bourre est né le verbe bourrer, employé avec plusieurs sens dans le langage des chasseurs. On disait qu’un chien bourrait un lièvre quand il lui arrachait du poil d’un coup de dent en le poursuivant. De là vient se tirer la bourre qu’on dit lorsqu’on lutte pour la première place. C’est le sens de « courir après sa proie » qui aurait donné le sens familier « se dépêcher ». D’où les expressions être à la bourre « avoir à se hâter » et coup de bourre « temps où l’on doit s’activer pour mener à bien un travail ».
Le pauvre lièvre pourrait bien être l’animal emblématique des gens pressés : qu’il se fasse poursuivre par des chiens de chasse ou qu’il se fasse doubler, comme dans la fable de La Fontaine, par une tortue, il court, il court…
« Je raccroche parce que je n’ai pas le temps, ce matin je suis plutôt à la bourre. »
Monter le bourrichon à quelqu’un