Выбрать главу

Il a semblé outré.

— Moi ? Ecoute-moi bien, petit : est-ce que j’ai l’air aussi stupide ? Je suis un employé civil !

— Oh ! Excusez-moi, monsieur.

— Pas de quoi ! Le service militaire, petit, c’est bon pour les fourmis. Crois-moi : je les vois partir, je les vois revenir – quand ils reviennent. Et je vois aussi ce qu’on leur fait. Pourquoi, selon toi ? Pour un privilège politique purement nominal qui ne leur rapporte pas un clou et que la plupart sont incapables d’utiliser plus tard. Sans doute parce qu’ils sont trop abrutis. Si les docteurs avaient leur mot à dire… mais n’en parlons plus. Tu pourrais croire que je t’incite à la trahison. Je peux te dire une chose, petit : si tu as assez de jugeote pour compter jusqu’à dix, tire-toi de là pendant qu’il en est encore temps. Tiens, prends ces paperasses et donne-les au sergent… Et n’oublie pas ce que je t’ai dit.

J’ai regagné la rotonde. Carl était déjà là. Le sergent a jeté un coup d’œil sur mes papiers et a dit d’un air lugubre :

— Apparemment, vous êtes tous les deux dans un état de santé scandaleux, si on excepte les trous que vous avez dans la cervelle. Bon, laissez-moi appeler des témoins.

Il a appuyé sur un bouton et deux employées sont arrivées : une vieille bique et une plus jeune, pas mal.

Le sergent a désigné nos certificats d’examen physio, de naissance et a pris un ton solennel :

— Je vous demande et vous ordonne, à chacune et individuellement, d’examiner ces documents, de déterminer leur nature et, indépendamment, les relations que chacun des dits documents pourrait avoir avec les deux individus en votre présence.

Pour les deux témoins, j’en suis certain, c’était la plus banale des routines. Pourtant, elles ont passé chaque papier au crible, elles ont pris nos empreintes (une fois encore !) et la plus jeune les a comparées à la loupe à nos empreintes d’enfant. Même cérémonie pour nos signatures. A ce stade, j’ai commencé à douter de mon identité.

Le sergent a repris :

— Ces documents recèlent-ils des éléments prouvant que les intéressés soient actuellement en mesure de prêter le serment d’engagement et quels sont ces éléments ?

La vieille bique a déclaré :

— Chacun des certificats d’examen physiologique est accompagné d’une attestation dûment certifiée émise par un comité de psychiatres et selon laquelle chacun des postulants est mentalement en mesure de prêter serment, ni l’un ni l’autre n’étant sous l’influence de l’alcool, de narcotiques ou autre drogue incapacitante, ni sous contrôle hypnotique.

— Très bien.

Le sergent s’est tourné vers nous :

— Maintenant, répétez après moi… D’âge légal et agissant de ma propre volonté…

Nous lui avons fait écho à l’unisson :

— … D’âge légal et agissant de ma propre volonté…

— … sans coercition, incitation ni promesse d’aucune sorte et après avoir été pleinement averti et éclairé quant aux conséquences de mon serment, je déclare m’engager ce jour au Service de la Fédération Terrienne pour un temps qui ne saurait être inférieur à deux années et qui peut être prolongé au gré des nécessités du Service…

Là, j’ai légèrement tiqué. J’avais toujours considéré que la durée d’un engagement était de deux années, sans doute parce qu’il en était ainsi dans l’idée de tous les civils. En fait, nous étions en train de nous engager pour la vie.

— … Je jure de soutenir et de défendre la Constitution de la Fédération face à tous les ennemis originaires de la Terre ou d’Outre-Terre, de protéger et de défendre les libertés et privilèges constitutionnels de tout citoyen ou résident légal de la Fédération ou de ses Etats et territoires alliés, d’assumer, sur Terre et Outre-Terre, toute tâche légale à moi confiée par l’autorité légale, directement ou par délégation…

« D’obéir à tous les ordres légaux émanant du Commandement en Chef Terrestre et de tous les officiers ou personnes assermentées supérieures dans la hiérarchie…

« De requérir semblable obéissance de tout membre du Service, humain ou non humain, légalement placé sous mes ordres…

« Et, ayant accompli mon temps de service actif, libéré de toutes obligations ou placé en état de service inactif, je jure de me conformer aux obligations d’un citoyen de la Fédération, de m’acquitter des devoirs attachés à ce titre et de jouir des privilèges du droit de cité absolu pour le temps de ma vie naturelle, sans limitation d’obligations, devoirs et privilèges, sous réserve que ces droits ne me soient retirés par le déshonneur d’un verdict rendu par la cour de mes pairs souverains.

Ouf ! M. Dubois nous avait fait analyser le serment du Service phrase par phrase en histoire et philo, mais il était impossible de comprendre l’importance de la chose avant qu’elle ne pèse sur vos épaules, d’un poids formidable, écrasant.

J’ai compris alors que je n’étais plus un civil. Mais ce que j’étais devenu, je ne le savais pas encore.

« Aidez-moi, Seigneur ! » C’était la dernière formule. Nous avons fait le signe de croix et, ensuite, il a fallu distribuer des empreintes, des signatures, des photos qui, aussitôt, étaient glissées dans des dossiers.

— Bien, a dit le sergent. L’heure du déjeuner est largement passée, les gars. Un petit casse-croûte ?

— Euh… sergent. (J’avais la bouche sèche.)

— Oui ? Parlez.

— Est-ce que je pourrais appeler chez moi ? Leur dire que je… leur dire comment ça s’est passé.

— Mieux que ça !

— Pardon ?

— Vous avez quarante-huit heures de permission. (Il eut un sourire froid :) Et vous savez ce qui se passera si vous ne revenez pas à l’heure ?

— Euh… La Cour Martiale ?

— Pas du tout. Aucun risque. Non… Vos dossiers auront simplement droit à une petite annotation : Résultats insuffisants. Après ça, pas de seconde chance. C’est la période de rodage. Ça nous permet d’éliminer les bébés un peu trop précoces qui ne sont pas vraiment sincères avec eux-mêmes et qui ne devraient pas prêter serment. Economie d’argent pour le gouvernement, économie de regrets pour les candidats et leurs parents. D’ailleurs, vous n’avez même pas besoin de le dire à vos parents, en pareil cas. (Il éloigna sa chaise du bureau et ajouta :) Après-demain à midi. Si vous revenez… n’oubliez pas vos effets personnels.

Ce fut une sortie ratée. Mon père se mit à hurler et décida de ne plus m’adresser la parole. Ma mère dut s’aliter. Quand je quittai la maison, une heure plus tôt que prévu, seuls le cuisinier et les domestiques remarquèrent mon départ.

Je me présentai devant le bureau du sergent, songeai une seconde à saluer, puis décidai que j’ignorais tout de la technique.

Il leva les yeux sur moi.

— Oh !… voici tes papiers. Rends-toi au bureau 201. C’est là que ça commence. Frappe avant d’entrer.

Deux jours plus tard, je savais que je ne serais pas pilote. Voici quelques-unes des observations de mes examinateurs : Appréhension intuitive des relations spatiales insuffisante – Préparation mathématique incomplète – Délais de réaction acceptables – Bonne vue… Heureusement, il y avait ces deux dernières mentions. Je savais au moins que j’étais capable de compter sur mes doigts.

L’officier d’affectation me fit consigner mes options par ordre préférentiel et je fus lancé à nouveau, pour quatre jours, dans la plus terrible série de tests que j’aie jamais affrontée. Pour tout dire ils se passionnaient pour un rien : ils voulaient savoir pourquoi, par exemple, une dactylo grimpe sur sa chaise en hurlant qu’elle a vu un serpent alors qu’il ne s’agit que d’un tuyau de plastique.