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Les tests écrits ou oraux étaient de la même veine, si je puis dire, mais les examinateurs semblaient très fiers de les avoir conçus et je ne voulais pas les vexer. La seule chose à laquelle je m’attachais avec soin, c’était la liste de mes options. Bien sûr, je commençai par tous les emplois possibles dans la Marine Spatiale. Qui allaient de technicien aux maîtres coqs. N’importe quel poste dans la Marine était préférable à l’Armée. En fait, je voulais VOYAGER.

Puis venait le service de Renseignement. Un espion voyage également et, selon moi, ce genre d’emploi n’avait rien de routinier. Evidemment, j’étais dans l’erreur. Puis venaient les armes psychologiques, chimiques, biologiques, l’écologie tactique (j’ignorais vraiment tout de cette discipline, mais le nom sonnait bien) et la logistique (erreur absolue : c’est la logique que j’avais étudiée !), plus quelques dizaines d’autres armes. Tout au bas de la liste, après quelque hésitation, j’inscrivis : CROC et Infanterie. Je ne me lançai pas dans l’énumération détaillée des diverses formations auxiliaires non combattantes. Si je devais échouer là-dedans peu importait que l’on m’expédie dans les chantiers de Terraformation de Vénus ou qu’on m’utilise comme cobaye.

M. Weiss, l’officier d’affectation, me convoqua une semaine après notre prestation de serment. Il avait appartenu, durant son service actif, aux services psychologiques, mais s’il était encore officier à titre provisoire, il tenait à ce qu’on l’appelle « monsieur » et il ne portait jamais d’uniforme. Avec lui, pas de protocole. On pouvait se détendre un peu. En arrivant, je vis qu’il avait ma liste d’options, les résultats de tous mes tests et une copie de mes certificats scolaires, ce qui n’était pas pour me déplaire, vu mes notes. J’avais toujours été parmi les meilleurs sans toutefois me mêler aux premiers de la classe et autres lèche-bottes. Je n’avais jamais manqué aucun cours et je m’étais toujours plutôt bien débrouillé dans tous les secteurs : natation, course, débats, trésorerie, médaille d’argent au concours littéraire annuel, président du comité d’accueil, tout ça… Un dossier bien rond.

— Assieds-toi, Johnnie, dit Weiss en replongeant dans mes notes une seconde avant de les poser sur les autres documents. Dis-moi : aimes-tu les chiens ?

— Pardon, monsieur ?

— Est-ce que tu les aimes vraiment ? Est-ce que ton chien dormait dans ton lit ? Et, à propos, qu’en as-tu fait ?

— Mais… Eh bien, je n’ai pas de chien en ce moment. Mais j’en ai eu un. Il ne dormait pas dans mon lit parce que ma mère ne voulait pas d’animaux dans la maison, vous comprenez…

— Et il ne t’est jamais arrivé de le faire rentrer en douce ?

— Euh… (Un instant, j’ai eu envie de lui expliquer la terrible tactique de ma mère quand on faisait quelque chose contre elle. Pas la colère, mais beaucoup beaucoup de chagrin. Puis j’y ai renoncé :) Non, jamais, monsieur.

— Mmm… As-tu déjà vu un néochien ?

— Oui, une fois. Il y a deux ans, au Théâtre Mac-Arthur. Mais ils ont eu des ennuis avec la S.P.A.

— Je vais te dire comment ça se passe dans une section CROC. Un néochien n’est pas seulement un toutou doué de la parole.

— Au théâtre, je n’ai rien compris à ce qu’il disait. Ils peuvent vraiment parler ?

— Oui, ils parlent. Il faut seulement s’habituer à leur accent. Leur gueule ne peut former des sons comme le B, le M, le P ou le V et il faut assimiler leurs équivalents. C’est un peu comme quelqu’un qui aurait le palais blessé ! Quoi qu’il en soit, ils s’expriment comme un être humain. Mais un néochien n’a rien à voir avec un chien, bien qu’il dérive par mutation du génotype canin. Un néo, un Caleb bien entraîné, est capable de performances intellectuelles six fois supérieures à celles d’un chien ordinaire. Son intelligence peut être comparée à celle d’un humain idiot, quoique la comparaison soit injuste pour le néo qui n’est pas un élément régressif mais bien plutôt un génie par rapport à la tâche qui lui est dévolue. (M. Weiss fronça les sourcils et reprit :) Pour autant, évidemment, qu’il dispose d’un symbiote. Mmm… Tu es évidemment trop jeune pour avoir été marié, Johnnie, mais tes parents, par exemple, sont mariés. Peux-tu imaginer semblable union avec un Caleb ?

— Non… Non, je ne peux pas.

— Les relations émotionnelles entre l’homme-chien et le chien-homme au sein d’une équipe CROC du Corps de Regroupement des Organisations Canines sont tout à fait comparables aux liens du mariage et certainement plus durables. Si le maître humain est tué, nous abattons le néochien – immédiatement ! C’est tout ce que l’on peut faire pour la malheureuse créature. Si c’est le néochien qui meurt le premier…, eh bien, nous ne pouvons pas faire la même chose pour l’homme, ce qui serait pourtant la solution la plus simple. Non, nous l’hospitalisons et, avec beaucoup de patience, on arrive en général à le ramener à l’état normal. (Il prit un crayon et griffonna quelques notes :) Cependant, je ne pense pas que l’on puisse recommander pour le CROC un gars qui n’a jamais réussi à faire entrer son chien dans la maison pour qu’il dorme avec lui. Passons donc à autre chose…

A cet instant seulement, je compris que j’avais fait toute la liste, que je n’avais plus aucune chance pour toutes les options placées au-dessus du CROC, et même plus pour le CROC… J’en fus abasourdi et je faillis bien ne pas entendre M. Weiss qui déclarait d’un ton méditatif, comme s’il s’adressait à quelque esprit lointain :

— J’ai été dans le CROC, jadis… Quand mon Caleb a été blessé, on m’a mis sous tranquillisant pendant six semaines, et puis, on m’a trouvé un autre emploi. Johnnie… tu as suivi des tas de cours. Pourquoi n’as-tu donc rien appris d’utile ?

— Monsieur ?

— Bah ! Il est trop tard. Oublie ce que je viens de dire. Hmm… Ton professeur d’histoire et de philosophie morale semble avoir eu de l’estime pour toi.

— Vraiment ? Que dit-il ?

— Il dit, fit Weiss en souriant, que tu n’es pas stupide, mais simplement ignorant et victime de ton entourage. Je le connais et, de sa part, je considère cela comme un compliment.

Pour moi, ça ne sonnait pas exactement comme un compliment. Cette espèce de vieux truc !…

— … et, poursuivait Weiss, un garçon qui a un C en Appréciation Télévisée ne peut être vraiment médiocre. Alors, qu’est-ce que tu dirais de l’Infanterie, hein ?

Je quittai l’Immeuble Fédéral, déprimé mais pas réellement malheureux. Au moins, j’étais soldat. Les papiers que je détenais le prouvaient. La journée de travail était finie et je ne rencontrai que quelques attardés. Dans la rotonde, je me heurtai à quelqu’un qui s’apprêtait à sortir et dont le visage m’était vaguement familier.

Ce fut lui qui me reconnut :

— Bonsoir ! Alors, pas encore embarqué ?

C’était lui ! Le sergent qui nous avait accueillis !

Je devais avoir l’air plutôt ahuri : il était en civil et ses deux bras et ses deux jambes étaient bien à lui !

— Oh ! Euh… Bonsoir, sergent !

Il comprit le sens de mon expression. En souriant, il me dit :

— Ne t’en fais pas, mon gars. A cette heure, mon petit numéro d’épouvante est terminé. Tu n’as pas encore reçu ton affectation ?

— On vient juste de me la donner.

— Et c’est quoi ?

— L’Infanterie Mobile.

Un sourire ravi illumina son visage et il me tendit la main.