Выбрать главу

— Banzai ! Arigato !

Ils attaquèrent de nouveau, sans une pause. Je m’attendais que l’adjudant s’envole une seconde fois, mais il y eut un rapide tourbillon de bras et de jambes et, quand il se ralentit, je pus voir que Zim s’était emparé du pied gauche de Shujumi qu’il repliait vers son oreille droite. Shujumi frappa le sol de sa main libre. Zim le libéra aussitôt. Ils se saluèrent et Shujumi demanda :

— Une autre petite chute, mon adjudant ?

— Non, désolé. Nous avons du travail. Une autre fois, hein ? Rien que pour le plaisir… et l’honneur. Peut-être aurais-je dû vous le dire : c’est votre honorable père qui m’a instruit.

— Je m’en doutais un peu, mon adjudant. A une autre fois.

Zim lui claqua violemment l’épaule et lança :

— A votre rang, soldat. COMpp…NIE !

Et, durant vingt minutes, nous eûmes droit à des jeux qui me firent passer de mon bloc de glace à un volcan calibre moyen. Zim en tête, marquant la cadence. Quand tout fut terminé, il ne respirait pas plus vite. Ce fut le seul matin où il dirigea l’exercice. Les jours suivants, il ne fit pas son apparition avant l’heure du déjeuner. Le grade a ses privilèges.

En tout cas, ce premier matin, il nous raccompagna au pas de course vers la tente du mess.

— Plus vite ! Ça traîne ! On se remue !

Au Camp Arthur Currie, de toute manière, on courait pour tout. Je n’ai jamais su qui était ce Currie, mais je le soupçonne d’avoir été une sorte de garde-barrière.

Breckinridge était déjà au mess, le poignet dans le plâtre, le pouce et les doigts libres. Je l’entendis déclarer :

— Non, rien qu’une p’tite fracture. J’aurais pu le tenir encore un bon quart d’heure, mais attendez… J’laurai bien.

J’en doutais. Shujumi, peut-être, mais pas ce gorille. Il ne savait même pas reconnaître un adversaire supérieur. Zim m’avait déplu dès la première seconde, mais il avait de la classe.

Le repas était bien. Ça ne rappelait pas le genre d’inepties auquel les internes ont droit dans les écoles. Si vous vouliez manger avec les doigts, personne n’était là pour vous en empêcher. C’était agréable. L’heure du repas était le seul moment où vous n’aviez personne sur le dos. Evidemment, les menus ne rappelaient rien de ce que j’avais connu à la maison et les civils qui nous servaient avaient une façon de manier la nourriture à la truelle qui aurait fait s’évanouir maman. Mais c’était chaud, abondant et la cuisine était acceptable. Pour ce premier repas, je mangeai quatre fois plus que d’habitude et j’engloutis des litres de café au lait bien sucré. J’aurais mangé un requin complet avec sa peau et toutes ses dents.

Jenkins a rappliqué avec le caporal Bronski au moment où je me lançais dans un deuxième service. Ils se sont d’abord arrêtés à la table où Zim mangeait seul, puis Jenkins s’est laissé tomber sur le tabouret vacant, juste à côté de moi. Il avait l’air complètement exténué, blême, le souffle court.

Je lui ai dit :

— Laisse-moi te verser un peu de café.

Il a secoué la tête.

— Tu ferais mieux de manger. Prends des œufs brouillés. Ça descend facilement.

— J’peux pas manger. Cette espèce de sale…

Il s’est lancé dans un chapelet d’insultes qu’il débitait sur un ton monotone.

— … Je lui ai seulement demandé de me laisser un peu. Mais il voulait que je voie le commandant de compagnie. Je lui ai dit que j’étais malade… Je lui ai dit. Il m’a pris le pouls et il m’a répondu que la consultation des malades, c’était à 9 heures. Il ne m’a même pas laissé retourner à la tente. Salopard ! Un de ces soirs, je m’en vais te le prendre…

Ça ne m’a pas empêché de lui servir des œufs et du café. Il s’est mis à manger. L’adjudant Zim s’est levé pour sortir. En passant près de notre table, il s’est arrêté.

— Jenkins !

— Mmm… Oui, mon adjudant ?

— A 9 heures, rassemblement pour la consultation. Vous irez voir le docteur.

La mâchoire tremblante, d’une voix lente, Jenkins a répondu :

— Pas besoin de pilules, mon adjudant… Ça ira.

— 9 heures, Jenkins. C’est un ordre.

Zim est sorti. Jenkins a repris son monologue. Finalement, il s’est calmé, il a avalé une bouchée et a déclaré un peu plus fort :

— Je me demande quelle sorte de mère a pu produire ça. J’aimerais la voir. Mais au fait : est-ce qu’il a eu une mère ?

Question purement rhétorique qui devait recevoir une réponse. Au bout de la table, à quelques tabourets de là, l’un des caporaux-instructeurs avait fini de manger et fumait une cigarette tout en se curant les dents. Il se tourna vers Jenkins.

— Jenkins.

— Caporal ?

— Vous ne saviez pas… à propos des adjudants ?

— Eh bien, j’essaie de savoir…

— Ils n’ont pas de mère. Demandez à n’importe quel soldat. (Il souffla une bouffée de fumée dans notre direction :) Ils se reproduisent par fission… comme les bactéries.

4

L’Eternel dit à Gédéon : Le peuple que tu as avec toi est trop nombreux pour que je livre Madian entre ses mains ; il pourrait en tirer gloire contre moi, et dire : C’est ma main qui m’a délivré.

Publie donc ceci aux oreilles du peuple : que celui qui est craintif et qui a peur s’en retourne et s’éloigne de la montagne de Galaad. Vingt-deux mille hommes parmi le peuple s’en retournèrent et il en resta dix mille.

L’Eternel dit à Gédéon : Le peuple est encore trop nombreux. Fais-les descendre vers l’eau et là je t’en ferai le triage ; celui dont je te dirai : Que celui-ci aille avec toi, ira avec toi ; et celui dont je te dirai : Que celui-ci n’aille pas avec toi, n’ira pas avec toi.

Juges VII : 2 — 7.

Deux semaines après notre arrivée, ils nous enlevèrent nos lits. C’est-à-dire que nous eûmes droit à cette partie de plaisir : plier les lits, les porter pendant six kilomètres et les ranger dans un hangar. A ce moment-là, ça n’avait plus d’importance ; le sol nous semblait bien plus tiède et presque doux, surtout quand on déclenchait l’alerte au milieu de la nuit et qu’il fallait ramper et jouer au soldat. Pas plus de trois fois par semaine. Mais, après chaque exercice, j’arrivais à me rendormir aussitôt. J’avais aussi appris à dormir n’importe où, n’importe quand. Assis, debout, et même en marchant. Je pouvais même dormir au « présentez-armes » et profiter de la musique sans qu’elle me tire du sommeil… pour m’éveiller instantanément aux ordres.

Au camp Currie, j’ai fait une découverte très importante. Le bonheur, c’est de dormir suffisamment. Rien que cela. Tous les gens riches et malheureux que vous rencontrez prennent des somnifères. Les fantassins n’en ont pas besoin. Vous donnez un bout de matelas et un bout de temps à n’importe quel soldat et vous le rendez heureux comme un ver dans une pomme. Il dort.

Théoriquement, on avait droit à huit heures de sac de couchage plus une heure et demie après le repas du soir. En vérité, les huit heures de sac comprenaient les alertes, exercices de nuit, marches forcées et autres volontés de Dieu et de vos supérieurs. Quant à la soirée libre, elle était souvent compromise par des corvées pour faute mineure ou agrémentée par quelques jeux en compagnie de chaussures et cirage, de vaisselle sale ou d’un coiffeur qui ne prenait aucun risque en pratiquant le style boule de billard. Mille autres variations étaient possibles à partir de l’équipement, des individus et des caprices des adjudants. Par exemple, nous avions appris à répondre à l’appel du matin par un : Douché ! signifiant que vous aviez pris au moins une douche depuis le réveil. Evidemment, on pouvait toujours mentir sur l’instant et se tirer d’affaire. Je l’avais fait moi-même quelquefois. Mais il était advenu qu’un gars de notre compagnie, qui avait tenté sa chance de cette manière alors que les évidences étaient contre lui, se retrouve sous la douche avec quelques camarades équipés de brosses ultradures, de savon pour le plancher, sous la direction avisée d’un caporal.