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La musique ne pouvait pas nous accompagner pour les marches, évidemment, puisqu’elle n’avait droit à aucune dispense spéciale. Il fallait bien laisser tambours et tubas au camp puisque chaque musicien devait emporter son barda comme tout le monde. Mais l’Infanterie Mobile avait quelques instruments particuliers. Par exemple une petite boîte électronique à peine plus grosse qu’un harmonica, qui pouvait à merveille imiter le clairon.

La musique s’éloigna et, peu à peu, les chants cessèrent avec la disparition du rythme des tambours.

C’est à cet instant que je pris conscience d’un nouveau bien-être.

Je me demandai quelle en était la raison. Etait-ce parce que nous serions bientôt au camp et que je pourrais enfin donner ma démission ?

Non. Je n’avais pris cette décision que pour me calmer, pour pouvoir trouver le sommeil. C’était autre chose. Quelque chose d’immotivé… Et puis, je compris : je venais de franchir la barre !

La fameuse barre dont le lieutenant-colonel Dubois me parlait dans sa lettre. Je l’avais passée et je redescendais la pente. La prairie, dans cette région, était aussi plate qu’un cake bien gratiné, mais j’avais la sensation très nette d’avoir passé cette barre, ce sommet, à un certain point, et de redescendre, maintenant, sur l’autre versant. Je me sentais moins triste et mon barda me semblait plus léger.

A notre retour au camp, je ne me présentai pas à l’adjudant Zim. Je n’en avais plus besoin. Au contraire, c’est lui qui m’adressa la parole.

— Oui, mon adjudant ?

— Je vais vous poser une question personnelle… et vous n’avez pas à y répondre si vous n’en avez pas envie. Aujourd’hui, au courrier, vous avez reçu une lettre. Incidemment, j’ai remarqué le nom de l’expéditeur. C’est un nom commun. L’adresse aussi est commune. Mais – et c’est là la question personnelle à laquelle vous n’êtes pas obligé de répondre – cette personne qui vous écrit aurait-elle été amputée de la main gauche ?

Je dus baisser la tête.

— Vous savez cela, mon adjudant ?

— Je n’étais pas très loin quand ça s’est passé. C’est le colonel Dubois, n’est-ce pas ?

— Oui, mon adjudant. C’était mon professeur d’histoire et de philosophie morale.

Je crois bien que ce fut la seule fois où j’impressionnai l’adjudant Zim, si peu que ce soit. Ses sourcils se haussèrent de quelques millimètres.

— Vraiment ? Quelle veine vous avez eue ! (Il ajouta :) Quand vous lui répondrez – si ça ne vous fait rien – pouvez-vous lui dire que l’adjudant Zim lui présente ses respects ?

— Oui, mon adjudant… Oh… je crois qu’il y a un message qui vous concerne, dans sa lettre.

— Quoi ?

— Euh… je n’en suis pas certain, mais… Il dit : « Si vous rencontrez certains de mes anciens camarades, transmettez-leur mon amitié. » Est-ce pour vous, mon adjudant ?

Zim demeura silencieux. Ses yeux regardaient très loin.

— Oui… Oui, c’est pour moi, dit-il enfin. Pour moi et pour beaucoup d’autres. Merci beaucoup. (Son expression se modifia brusquement et il ajouta :) Neuf minutes avant la revue. La douche d’abord et en tenue numéro un ensuite ! Au pas de course, soldat !

7

Le jeun’ soldat est idiot Il ne pense qu’à la mort Il n’a rien du héros Il a renié son honneur Mais jour après jour Ils vont le faire plier Vers ce grand jour Où il saura briller. Fini la lassitude Au revoir aux p’tits chagrins Fini les comm’ d’habitude Adieu les moins-que-bien.
Rudyard Kipling.

Je ne dirai plus grand-chose à propos de ma période d’instruction. Elle fut surtout faite de travail, beaucoup de travail, mais, désormais, j’étais formé.

Je dois cependant insister un peu sur les scaphandres propulsés, d’abord parce qu’ils me fascinaient et ensuite parce que mes premiers ennuis étaient venus d’eux. Non pas que je me plaigne : je méritais ce à quoi j’ai eu droit.

Un fantassin mobile dépend de son scaphandre tout comme un soldat du CROC de son partenaire chien. C’est le scaphandre propulsé qui justifie le nom d’« infanterie mobile ». Pour moitié, l’autre étant les astronefs et les capsules dans lesquelles on nous largue sur les théâtres d’opérations. Grâce à nos scaphandres, nous voyons et nous entendons mieux, nous sommes plus forts (ce qui nous permet d’emporter armes et munitions), nous courons plus vite et nous sommes mieux renseignés. Et puis, nous avons plus d’endurance, plus de puissance de feu… et nous sommes moins vulnérables.

Un scaphandre de fantassin n’est pas une véritable tenue spatiale, même s’il peut en remplir la fonction. Ce n’est pas non plus une armure, quoique je pense que les Chevaliers de la Table Ronde n’étaient pas aussi bien armés que nous. Ce n’est pas un tank, mais un fantassin isolé peut affronter plusieurs tanks… en supposant qu’il se trouve des pilotes assez fous pour se lancer dans cette entreprise suicidaire. Un scaphandre n’est pas un engin aérien, pas un vaisseau… mais il peut voler, ou voleter. Par contre, avions, hélis et astronefs n’ont aucune chance contre un fantassin en scaphandre propulsé. Ils peuvent à la rigueur incendier toute la zone où il est supposé se trouver, de la même manière que l’on peut pulvériser une maison pour écraser une puce. Mais le fantassin, lui, avec son scaphandre, peut faire bien des choses qui sont impossibles aux engins spatiaux, aériens ou sous-marins.

Il existe des dizaines de processus de destruction massive, à l’aide d’astronefs, de fusées, des dizaines de catastrophes totales et non sélectives qui mettent fin aux conflits en éliminant une nation, une planète. L’Infanterie procède tout autrement. Pour nous, la guerre est aussi personnelle qu’un coup de poing dans la figure. Nous pouvons être absolument sélectifs et appliquer la pression requise, pendant le temps requis, sur un point particulier et précis. Jamais nous n’avons reçu l’ordre de descendre sur un monde et de capturer ou de liquider n’importe qui dans telle ou telle zone. Si on nous l’ordonne, bien sûr, nous le ferons.

Mais notre travail, c’est de tomber dans une zone bien délimitée, à l’heure H, d’occuper une surface et de nous y tenir, de faire sortir l’ennemi de son trou pour l’amener à se rendre ou mourir. C’est nous les maudits fantassins, les pieds-plats qui vont coincer l’ennemi dans sa tanière. Les armes ont changé mais la tactique, très peu, tout au moins depuis le temps où, il y a cinq mille ans, Sargon le Grand obligea les Sumériens à crier grâce.

Peut-être, un jour, arrivera-t-on à se passer de nous. Peut-être qu’il se trouvera quelque génie fou, myope, avec un front immense et un esprit cybernétique pour donner aux hommes une arme qui rampera au sol, creusera des trous, affrontera l’ennemi et l’obligera à se rendre ou à mourir sans tous ces morts qui sont notre lot. Je l’ignore. Je ne suis pas un génie et je n’en connais pas. Je suis un fantassin mobile. Et, en attendant cette belle machine, c’est à mes camarades de faire ce boulot, et à moi de les aider, bien sûr.

Un jour, peut-être, les choses seront-elles calmes et belles et nous pourrons chanter « je n’apprendrai plus la guerre[2]». Peut-être. Mais je n’en sais pas plus à ce propos. Je ne suis pas prof de cosmopolitique. Je suis un fantassin mobile. Je vais là où m’envoie le gouvernement. Entre-temps, je dors autant que je peux.

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2

« We ain’t a-gonna study war no more. » (Refrain du calibre gospel : Down by the riverside.)