Выбрать главу

On peut dire qu’à notre manière, on a eu de la chance. Le Valley Forge a dégusté alors que nous n’avions pas encore touché le sol. Il est entré en collision avec l’Ypres. Rien d’étonnant avec cette formation serrée qui orbitait à cinq milles par seconde. Les deux vaisseaux furent anéantis. A l’état d’épave, le Valley Forge a continué d’éjecter des capsules. Pour ma part, je n’avais pas conscience de ça. J’étais dans mon cocon et je plongeais vers la surface de la planète. Je suppose que notre commandant de compagnie, lui, savait que le Valley Forge n’existait plus et qu’il avait déjà perdu la moitié de ses Chats Sauvages. Il avait été éjecté en tête et le contact radio avec le commandant de bord avait été interrompu presque aussitôt.

Mais ce n’est qu’une supposition. Je veux dire qu’il ne m’a jamais donné la réponse puisqu’il n’est pas revenu.

Peu à peu, j’ai eu l’impression que le débarquement tournait au désastre. Et puis, durant dix-huit heures, ce ne fut plus qu’un cauchemar. Je ne peux pas en dire grand-chose. Il ne me reste que des fragments, des flashes d’horreur.

Je n’ai jamais tellement apprécié les insectes et encore moins les araignées, venimeuses ou pas. A la maison, la moindre petite bestiole dans mon lit me filait des frissons. Je rejetais la simple idée d’une mygale ou d’une tarentule. Et il n’était pas question pour moi de manger du crabe, de la langouste ou même des crevettes.

La première fois que j’ai vu une Punaise, sur Klendathu, j’ai eu l’impression que mon esprit décollait de mon crâne et se mettait à ululer autour de moi. Il me fallut plusieurs secondes avant de comprendre que je l’avais tuée et que je devais cesser de tirer. C’était probablement une ouvrière. Avec la réaction que j’avais eue, je veux dire qu’un soldat ne m’aurait sans doute pas laissé la moindre chance de raconter tout cela.

Mais pour les gars des équipes CROC, ce fut pire. Ils devaient être largués à la périphérie de la zone à investir, la mission des néochiens étant de transmettre en permanence des renseignements tactiques aux unités chargées du bouclage. Les Calebs, bien sûr, n’avaient que leurs crocs pour se défendre. Ils n’emportaient qu’une radio et une bombe. Par la radio, un néochien transmet à son partenaire tout ce qu’il voit, entend et flaire. S’il est blessé ou capturé, il n’a plus qu’à utiliser la bombe. Mais ces malheureux néochiens n’attendirent même pas d’être capturés ou blessés pour se faire sauter. La plupart des bombes explosèrent dans les secondes qui suivirent l’arrivée au sol. En présence des Punaises, les néochiens avaient la même réaction que moi, multipliée par cent. Depuis l’opération D.D.T., on a trouvé le moyen d’élever des néochiens en les habituant à la vue et à l’odeur des Punaises.

Mais ce n’était pas le seul élément à craquer. Tout s’effritait, mais je ne le savais pas encore. Je collais à Dutch, grillant tout ce qui bougeait, balançant mes grenades dans tous les trous que j’apercevais. Au fur et à mesure que le massacre se développait, je devins capable de liquider les Punaises sans gaspiller mes munitions. Mais je n’avais toujours aucun moyen de faire la différence entre les soldats et les ouvrières. Et on comptait un soldat pour cinquante ouvrières inoffensives.

L’armement des Punaises n’était pas aussi important que le nôtre mais tout aussi efficace. Il y avait en particulier un rayon qui transperçait les scaphandres et découpait la chair et les os comme un fromage frais. De plus, leur coordination était supérieure à la nôtre puisque le cerveau pensant de chaque « peloton » ennemi était hors de portée, quelque part au fond d’un trou, très loin.

Dutch et moi, nous avons eu de la veine pendant un bon moment. Nous nous déplacions dans une zone d’environ mille six cents mètres carrés, arrosant les trous de bombes, tiraillant à droite et à gauche. Nous essayions autant que possible d’économiser nos fusées pour les cas d’urgence. Le plan de base était de nettoyer l’objectif pour permettre aux renforts et au matériel lourd d’investir le terrain sans trop de résistance. Je veux dire que ce n’était pas un raid mais une vraie bataille pour établir une tête de pont. Il fallait prendre la place et la tenir. A partir de là, les grosses unités et les troupes de relève partiraient à la conquête de la planète.

Mais ça ne s’est pas passé comme ça.

Notre groupe ne se comportait pas trop mal. On était dans un mauvais secteur. Plus de contact avec l’autre groupe. Le chef de section et son sergent avaient été tués. Mais nous avions creusé notre trou. Il était à nous jusqu’à ce que les gars de la relève se montrent.

Mais ils ne se sont jamais montrés. Ils ont été largués sur la zone où nous aurions dû nous trouver si tout s’était bien passé. Ils sont tombés sur les Punaises et nous ne les avons jamais vus. Alors on est restés sur notre position, comblant les pertes dans la mesure du possible. Les réserves de munitions diminuaient et on économisait l’énergie pour les scaphandres. Il s’est passé comme ça quelques milliers d’années.

A un moment, Dutch et moi nous filions en profitant du défilement d’un mur pour essayer de rejoindre le peloton des armes spéciales qui pouvait nous appuyer. Brusquement, le sol s’est ouvert juste devant Dutch, une Punaise a jailli et Dutch est tombé.

J’ai grillé la Punaise, balancé une grenade et le trou s’est refermé. Je me suis penché sur Dutch. Il n’avait pas l’air blessé. Un adjudant de section a la possibilité de faire la différence entre les morts et les blessés rapatriables par la lecture automatique des indicateurs physiologiques. On peut arriver au même résultat, manuellement, en manipulant les contrôles placés sur le ceinturon du scaphandre. Dutch n’a pas répondu quand je l’ai appelé. Sa température était de 38°. Mais respiration, rythme cardiaque et ondes encéphalo étaient au niveau zéro. C’était mauvais mais ça pouvait être faux tout aussi bien. Je veux dire que son scaphandre était peut-être mort, mais pas lui. J’oubliais que, dans ce cas, je n’aurais pas eu d’indication de température. Alors, j’ai pris l’ouvre-boîte dans mon ceinturon et j’ai commencé à extraire Dutch de son scaphandre tout en guettant les alentours. C’est alors que j’ai entendu cet appel que je ne veux plus jamais entendre, cette voix qui beuglait dans mon casque :

— Sauve qui peut ! Repliez-vous ! Repliez-vous ! Sauvez les blessés ! Six minutes ! Six minutes ! Appel à tous ! Décrochez ! Repliez-vous sur les points de ralliement ! Sauve qui…

Je n’ai pas perdu de temps. La tête de Dutch m’est restée dans les mains quand j’ai voulu le tirer. Je l’ai laissé là et j’ai sauté. Je n’ai même pas pensé à récupérer ses munitions. Je comptais mes sauts, c’est tout. Je filais droit sur le point d’appui qui nous avait été assigné.

Mais il avait déjà été évacué. Je me sentis tout à coup complètement perdu. Et abandonné. Et puis j’entendis le rappel. Ce n’était pas le Yankee Doodle d’une balise du Valley Forge, mais Sugar Bush, un air que je ne connaissais pas. Mais je fonçai droit dessus, en grillant mes dernières réserves. Je réussis à monter à bord alors qu’ils allaient décoller. Peu après, je me retrouvai sur le Voortrek dans un état de choc tel que je ne parvenais plus à me rappeler mon numéro matricule.

Plus tard, j’ai entendu parler de « victoire stratégique ». Mais moi je dis que nous avons pris une sacrée raclée.