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Alors, pourquoi ne pas y faire carrière ?

D’accord, d’accord !… Mais cette stupide suggestion de devenir officier ? Ça, c’était un autre problème. Je me voyais dans vingt ans, la poitrine pleine de décorations, passant mes soirées au Club des Vétérans à raconter mes campagnes. Mais suivre le peloton !… Comme me l’avait dit Jenkins, lors d’une de nos interminables discussions : « Je suis simple soldat ! Et je veux le rester ! Aussi longtemps que tu es un simple soldat, on ne te demande rien. Qui donc souhaiterait devenir officier, hein ? Ou même adjudant ? Tu respires le même air qu’eux, non ? Tu sautes avec eux sur les mêmes planètes… mais tu ne te casses pas la tête. »

Un point pour Al également. Mes galons ne m’avaient jamais rapporté que quelques pépins supplémentaires.

Pourtant, je savais que je serais adjudant si on m’en donnait la chance. On ne refuse jamais. En règle générale, un fantassin ne refuse jamais rien. Y compris des galons d’officier, je pense.

Mais ça n’était pas possible. Comment pouvais-je donc espérer être un jour ce que le Lieutenant avait été ?

Tout en flânant, j’étais arrivé près de l’école des candidats. Sur le terrain de parade, une compagnie de cadets était à l’exercice. Je les observai un moment. Il faisait un beau soleil et ils transpiraient dans leurs uniformes, accompagnés par les aboiements des adjudants. Cette bonne vieille routine ! Je hochai la tête et regagnai le casernement. J’allai droit au quartier des officiers. Jelly était dans sa chambre. Il lisait un magazine, les pieds sur une table. La porte était ouverte et je cognai contre le chambranle. Il leva la tête :

— Oui ?

— Mon adj… je veux dire, mon lieutenant…

— Vas-y !

— Je veux faire carrière…

Immédiatement, il ôta ses pieds de la table et dit :

— Lève la main droite.

J’ai prêté serment. Il a tiré une liasse de documents du tiroir. Tout était déjà prêt. Je n’avais plus qu’à signer. Il attendait. Mais je n’avais discuté de ça qu’avec Ace. Comment était-ce possible ?

12

En aucun cas la compétence d’un officier ne saurait lui suffire… Il se doit également d’être un gentilhomme d’éducation libérale, faisant montre de manières raffinées et d’une courtoisie sans défaut, avec un sens élevé de l’honneur personnel… Nul acte méritoire d’un de ses subalternes ne doit lui échapper, la récompense dût-elle être un simple mot d’approbation. De même manière, il n’est pas de faute qui doive lui échapper.

Aussi vrais que soient les principes politiques que nous soutenons aujourd’hui… nos vaisseaux doivent être commandés selon le despotisme le plus absolu.

J’espère avoir mis en évidence les lourdes responsabilités qui sont les nôtres… Nous devons faire de notre mieux avec ce que nous avons.

John Paul Jones, 14 septembre 1775

— Extraits d’une lettre adressée au comité naval des insurgés.

Une fois encore, le Rodger Young regagnait sa Base pour renouveler capsules et personnel. Al Jenkins y avait eu droit, au cours de cette mission, alors qu’il se portait au secours d’un blessé. Nous avions aussi perdu le Padre. Et il fallait que je sois remplacé. Je portais mes galons d’adjudant flambant neufs, j’avais pris la succession de Migliaccio, mais je savais que c’était surtout à titre honorifique. Ace serait promu dès qu’on aurait touché le sol. J’étais détaché au peloton des officiers et Jelly avait voulu me dire au revoir à sa manière. Mais ça ne m’empêchait pas d’en être fier.

Dès l’arrivée, je me dirigeai la tête haute vers le bureau administratif pour faire viser mes ordres. Quelqu’un me demanda alors, sur un ton poli, respectueux :

— Excusez-moi, mon adjudant, mais la navette qui vient de se poser… Est-ce qu’elle ne vient pas du Rodger Young ?…

Je me retournai. C’était un petit caporal aux épaules voûtées, sans nul doute un de nos…

— Père !

Le caporal me prit entre ses bras.

— Juan ! Juan ! Mon petit Johnnie !

Je l’embrassai et je me mis à pleurer. Il est probable que le civil qui se trouvait derrière le bureau n’avait encore jamais vu deux sous-officiers s’embrasser. Mais si jamais je m’étais aperçu qu’il levait un sourcil, je l’aurais foudroyé sur place. C’est lui qui dut me rappeler de bien vouloir présenter mes ordres. Quand notre grande démonstration fut terminée et nos larmes séchées, nous avons réussi à parler.

— Père… il faut qu’on se trouve un coin tranquille pour discuter. Je veux savoir… Oh, je veux tout savoir ! J’ai cru… (Je repris mon souffle :) J’ai cru que tu étais mort…

— Non, mais j’ai bien failli l’être, une ou deux fois. Mais, fiston… Mon adjudant… je dois me présenter à cette navette et… Tu comprends…

— Oui, la navette du Rodger Young… Je viens justement…

Père eut l’air terriblement désappointé.

— Le Rodger Young ?… Alors, il ne faut pas que je perde de temps. Je dois me présenter à bord et… Mais toi aussi, Juanito ? Ou bien es-tu en permission ?

— Euh… non… Ecoute, père. Je connais les horaires de rotation de la navette du Rodger… Tu as encore un peu plus d’une heure devant toi. Le chargement passe avant. C’est au prochain passage que la navette doit rejoindre le Rodger en orbite courte… si le pilote n’est pas obligé d’attendre.

— Mais mes ordres stipulent que je dois me présenter au pilote du premier vaisseau de transfert…

— Ecoute, père… Ne te laisse pas impressionner par les ordres à ce point ! La fille qui pilote ce machin se fout pas mal que tu te présentes à bord maintenant ou pour la mise à feu… De toute façon, les haut-parleurs donneront le rassemblement dix minutes avant le décollage… Tu ne peux pas le rater !

Il m’a laissé le conduire dans un petit coin tranquille.

— Tu pars avec moi, Juan ? m’a-t-il demandé. Ou bien est-ce que nous nous retrouverons plus tard ?

— Euh…

J’ai hésité, puis je lui ai montré mes ordres. C’était la meilleure façon de tout lui apprendre. Il les a lus, il a eu les larmes aux yeux et j’ai dit, très vite :

— Ecoute, père, je vais tout faire pour revenir… Je ne veux pas d’autre unité que les Têtes Dures. Et maintenant que tu es là… Oh, je sais que c’est décevant, mais…

— Ce n’est pas décevant, Juan. Au contraire, je suis très fier. Mon petit Johnnie va devenir officier… Bien sûr, j’ai tant attendu cette rencontre. Mais j’attendrai encore un peu. (Il a souri à travers ses larmes :) Tu as grandi, mon garçon. Et tu as mûri, aussi.

— Peut-être, père… Mais, écoute, je ne suis pas encore officier et il se peut que je revienne à bord du Rodger dans quelques jours. Je veux dire que, quand on se fait éjecter du peloton, c’est assez rapide et…

— Tais-toi, fiston !

— Comment ?

— Tais-toi ! Tu sais que tu vas réussir ! (Il sourit brusquement :) Bon sang ! C’est bien la première fois que je la fais fermer à un adjudant !

— Père… Je vais faire mon possible pour réussir. Et si j’y arrive, je retrouverai ce bon vieux Rodger, mais…

— Oui, je sais. Ta demande ne signifiera pas grand-chose aussi longtemps que tu n’auras pas ton ordre de mission, c’est ça ?… Mais ne t’en fais pas. Si nous n’avons qu’une heure, profitons-en. Tu sais, je suis tellement fier de loi, que je sens que je vais craquer… Raconte-moi plutôt comment ça s’est passé pour toi, Johnnie.