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— Mon adjudant, mon colonel, dit l’Assassin, lentement.

— Mais oui ! Il est sûrement plus vieux que vous, il a avalé plus de sauts et il connaît certainement mieux son unité. Et comme il ne trimbale pas cette charge supplémentaire énorme qu’est le commandement, il pense sans doute plus clairement que vous. Demandez-lui conseil. Vous avez un circuit-radio pour ça ! Ça n’est pas pour ça que vous perdrez sa confiance. Il a l’habitude qu’on lui demande conseil. Si vous ne le faites pas, il vous considérera comme un imbécile, un incapable et un prétentieux. Et il n’aura pas tort.

» Mais vous n’êtes pas obligé de suivre son conseil. Vous pouvez vous servir de ses idées. Elles peuvent vous inspirer un plan. Mais, en tout cas, vous vous décidez et vous donnez vos ordres. Vite ! Parce que la seule chose qui puisse flanquer la trouille au meilleur des adjudants, c’est de s’apercevoir que son chef ne sait pas se décider !

» C’est dans les unités d’Infanterie Mobile qu’hommes de troupe et officiers dépendent le plus les uns des autres, et les adjudants en sont le ciment. Ne l’oubliez jamais.

Le commandant fit rouler sa chaise jusqu’à un petit placard, à côté de son bureau. A l’intérieur, il y avait des rangées de casiers et, dans chaque casier, une petite boîte. Il en prit une et l’ouvrit.

— Monsieur Hassan !

— Mon colonel ?

— Ces barrettes ont été portées par le capitaine Terence O’Kelly pour sa première croisière d’entraînement. Vous conviennent-elles ?

— Mon colonel… (L’Assassin avait la voix rauque, tout soudain, et je me dis que cette grande brute allait fondre en larmes :) Oui, mon colonel.

— Avancez, monsieur Hassan. (Le colonel épingla les barrettes et dit :) Portez-les aussi vaillamment que lui… mais rapportez-les ! Vous me comprenez ?

— Je ferai de mon mieux, mon colonel.

— J’en suis certain. Votre vaisseau décolle dans vingt-huit minutes. Une navette vous attend sur le toit. Prenez vos ordres, monsieur !

Hassan salua et se retira. Le colonel prenait déjà une autre petite boîte.

— Monsieur Byrd, êtes-vous superstitieux ?

— Non, mon colonel.

— Vraiment ? Moi, je le suis. Je me suis dit que vous ne verriez aucune objection à porter des barrettes après cinq autres officiers qui, tous, ont été tués au combat ?

— Non, mon colonel.

Birdie n’avait marqué qu’une hésitation à peine perceptible.

— C’est bien. Parce que ces cinq officiers ont raflé dix-sept citations, de la Médaille Terrienne au Lion Blessé. Approchez, monsieur Byrd… Cette barrette marquée de brun doit toujours être portée sur l’épaule gauche. Et pas autrement ! A moins que ce ne soit nécessaire, mais vous le saurez. Voici la liste des cinq officiers. Il vous reste trente minutes avant le départ de votre navette. Courez jusqu’au hall du Souvenir et jetez donc un coup d’œil sur leurs biographies.

— Oui, mon colonel !

— Prenez vos ordres.

Enfin, il se tourna vers moi, me regarda et demanda sèchement :

— Vous pensez à quelque chose, fiston ? Parlez !

— Mon colonel… ce troisième lieutenant qui a été condamné… Comment puis-je savoir ce qui s’est passé exactement ?

— Oh… Jeune homme, mon intention n’était pas de vous épouvanter avec cette histoire mais simplement de vous rafraîchir les idées… C’était pendant la bataille de juin 1813 entre le bâtiment américain Chesapeake et le voilier britannique Shannon. Mais vous trouverez l’Encyclopédie Navale dans la bibliothèque de votre vaisseau. (Il revint au placard à barrettes et fronça les sourcils :) Monsieur Rico, j’ai ici une lettre émanant d’un de vos anciens professeurs, officier à la retraite, qui voudrait que vous portiez ses barrettes de troisième lieutenant. Je suis désolé mais il me faut lui répondre : non.

— Mon colonel ?…

J’étais heureux d’apprendre que le colonel Dubois n’avait pas perdu ma trace, qu’il veillait toujours sur moi… et déçu, dans le même temps.

— Parce que je ne peux pas, monsieur Rico ! J’ai confié ces barrettes à un élève il y a deux ans… et il ne les a pas rapportées. Mais… (Il prit une boîte, me regarda :) Vous pourriez peut-être essayer cette paire. Ce qui compte, c’est que votre professeur ait fait cette demande, n’est-ce pas ?

— Je pense que vous avez raison, mon colonel.

— Ces barrettes ont été portées cinq fois. Les quatre derniers candidats n’ont pas obtenu leur promotion. Oh… rien de déshonorant. La malchance, c’est tout. Etes-vous prêt à conjurer le mauvais sort, monsieur Rico ? A faire de ces barrettes des porte-bonheur ?

— Je vais essayer, mon colonel, dis-je.

J’aurais préféré emporter une mygale dans mon paquetage.

— Très bien.

Il épingla les barrettes sur mes épaules.

— Je vous remercie, monsieur Rico. Voyez-vous, j’ai été le premier à les porter. J’aimerais que vous me les rapportiez, qu’elles n’aient plus le mauvais sort et que vous réussissiez.

Je me sentis grandir vertigineusement.

— Je ferai tout mon possible, mon colonel !

— Ça, je le sais. Prenez vos ordres, à présent. Vous serez dans la même navette que Byrd… Un instant : vos traités de maths sont-ils dans votre paquetage ?

— Euh… non, mon colonel.

— Prenez-les. L’Intendant de votre vaisseau a été prévenu de cet excédent de bagage.

Je le saluai et pris congé au pas de course. J’étais redescendu des cimes dès qu’il avait prononcé le mot maths.

Mes bouquins étaient sur mon bureau. Quelqu’un en avait fait un paquet, avec la feuille d’exercice du jour. J’avais comme l’impression que le colonel Nielssen ne laissait jamais rien au hasard.

Birdie m’attendait sur le toit, près de la navette. Il jeta un coup d’œil sur mes bouquins et sourit.

— Triste ! Si on est sur le même vaisseau, je te donnerai un coup de main.

— Je suis sur le Tours.

— Désolé. J’embarque sur le Moskova.

Nous sommes montés à bord. J’ai vérifié l’auto-pilotage de la navette, fermé la porte et on a décollé.

— Tu t’en tires bien, a ajouté Birdie. L’Assassin a non seulement eu droit à ses livres de maths mais à deux autres matières.

Birdie ne s’était pas vanté en proposant de m’aider si nous étions sur le même vaisseau. C’était un soldat mais également un prof. Un peu à la façon du petit Shujumi, qui donnait des cours de judo au Camp Currie, Birdie enseignait les maths. Dans l’Infanterie Mobile, on ne gaspillait aucun talent. Birdie avait été très vite repéré car il avait dû obtenir sa licence en maths pour son dix-huitième anniversaire. Le cours de maths qu’il donnait à l’école était simplement une corvée supplémentaire. Qui ne le dispensait nullement de se faire ramasser pour les autres cours. Mais pas souvent, je dois le dire. Birdie était un mélange rare : brillant intellect, bonne éducation, solide sens commun et courage à toute épreuve. De quoi fabriquer un général.

Nous nous disions tous qu’il était parti pour commander une brigade à trente ans.

Quant à moi, mes ambitions n’allaient pas aussi haut.

— Ce serait vraiment un sale coup si l’Assassin échouait, dis-je en guise de commentaire, tout en pensant que ce serait vraiment un sale coup si Johnnie Rico échouait.