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Les meilleurs pilotes de la Marine sont les femmes. Elles sont indispensables pour chaque opération de saut et de récupération. Mais je soupçonne aussi que leur affectation plus fréquente aux transports de troupes se justifie par des impératifs psychologiques. Leur seule présence à bord est bénéfique au moral des troupes.

Mais oublions un instant les traditions de l’Infanterie.

Dans un vaisseau mixte, le dernier son qu’un soldat entend avant de toucher le sol (et souvent avant de mourir) est une voix de femme, qui lui souhaite bonne chance. Si vous estimez que ça n’est pas important, c’est probablement parce que vous avez démissionné de la race humaine.

Le Tours comptait quinze officiers : huit femmes et sept hommes. Il y avait également à bord huit officiers d’Infanterie dont, à mon grand orgueil, je faisais partie. Je n’irai pas jusqu’à déclarer que la fameuse « cloison n° 30 » avait motivé mes études d’officier, mais le seul privilège de prendre ses repas en compagnie de demoiselles vaut bien des augmentations de solde. Le capitaine, le pacha, était la présidente du mess. Mon chef, le capitaine Blackstone, était vice-président. Non pas à cause de son grade (trois officiers de Marine lui étaient supérieurs) mais en tant que chef de la force d’invasion.

Chaque repas obéissait à des règles strictes. Nous attendions dans la chambre des cartes jusqu’à l’heure H. Puis, à la suite du capitaine Blackstone, nous gagnions nos chaises. Le pacha entrait alors, suivie par ses demoiselles et, lorsqu’elle s’arrêtait à l’extrémité de la table, le capitaine s’inclinait et disait : « Madame la Présidente… Mesdames… » Ce à quoi elle répondait : « Monsieur le Vice-président… Messieurs… » Et chacun des hommes invitait la demoiselle placée à sa droite à s’asseoir.

Après ce rite, qui était purement social, chacun usait du grade ou du rang, à l’exception des officiers de Marine cadets et de moi-même. On nous appelait « monsieur » ou « mademoiselle ».

Lors du premier repas, à mon grand étonnement, j’entendis chacun appeler « major » le capitaine Blackstone. Le nombre de ses barrettes était pourtant sans équivoque. Plus tard, on m’expliqua que, à bord d’un bâtiment de la Marine, il ne pouvait y avoir deux « capitaines ». Pour des raisons de pure courtoisie, un capitaine de l’Infanterie, dès son embarquement, prenait le grade de « major » jusqu’à l’heure du saut. De même, si les circonstances faisaient qu’un authentique capitaine de la Marine monte à bord sans exercer les fonctions de commandant, il se trouvait promu « Commodore » pour quelque temps.

Cette coutume, qui nous semblait stupide, était bien entendu limitée au mess.

Le capitaine du vaisseau, à chaque repas, prenait place à une extrémité de la table et le commandant de la force d’invasion à l’autre, avec l’aspirant-cadet de la Marine à sa droite. Je me retrouvai moi-même à la droite du capitaine. J’aurais mille fois préféré la compagnie de l’aspirant-cadet qui était particulièrement adorable, mais cette disposition correspondait à une sorte de chaperonnage et je n’ai jamais su le prénom de mon aspirant-cadet.

Etant l’officier mâle le moins élevé en grade, il était normal que je me trouve ainsi placé, à la droite du capitaine du vaisseau. Mais j’ignorais qu’il me revenait de la faire asseoir. Au premier repas, je ne fis rien et personne ne s’assit, jusqu’au moment où le troisième assistant-ingénieur me tapota l’épaule. Le capitaine Jorgenson fit comme si de rien n’était, mais je ne m’étais pas senti aussi gêné depuis une ancienne mésaventure qui datait du jardin d’enfant.

Le repas s’achève à la seconde où le capitaine se lève. Et il advint une fois où le capitaine Jorgenson ne resta devant son assiette que quelques minutes avant de se redresser. Le capitaine Blackstone prit un air contrarié et dit :

— Capitaine…

— Oui, major ?

— Le capitaine m’autorisera-t-il à être servi dans la chambre des cartes en compagnie de mes officiers ?

Elle répondit d’une voix glacée :

— Mais certainement, major.

Mais, bien sûr, aucun officier de Marine ne se joignit à nous.

Le samedi qui suivit, le capitaine Jorgenson exerça son privilège de passer en revue les fantassins du bord, chose que les commandants de vaisseaux ne font que rarement. Mais elle passa entre les rangs sans faire de commentaire. Elle n’était pas du genre pète-sec et elle avait quelquefois un gentil sourire. Le capitaine Blackstone avait désigné le second lieutenant « Rusty » Graham pour me tanner le cuir en maths et cela était venu aux oreilles du capitaine. Elle avait exigé, par l’intermédiaire du capitaine Blackstone, que je me présente dans son bureau tous les jours après le dîner. Une heure durant, elle me donnait elle-même un cours de perfectionnement et me persécutait régulièrement quand mes « devoirs » n’étaient pas satisfaisants.

Les six sections d’Infanterie Mobile du Tours constituaient les deux compagnies d’un « demi-bataillon ». C’était le capitaine Blackstone lui-même qui commandait la compagnie D (les « Blackies ») en même temps que l’ensemble du demi-bataillon. Le chef du bataillon officiel, le major Xera, se trouvait avec les compagnies A et B, à bord du Normandy Beach, à quelques heures-lumière de distance. Le capitaine Blackie ne lui transmettait que quelques messages et rapports. Pour le reste, il communiquait directement avec la Flotte ou la Base. Blackie avait d’ailleurs un adjudant magique qui le secondait pour tout ce qui concernait la compagnie ou le demi-bataillon.

Pour une formation armée répartie sur des centaines de vaisseaux dispersés à travers des années-lumière, les détails administratifs n’ont rien de simple. Entre le Valley Forge, le Rodger Young et le Tours, je n’avais pas changé de régiment. J’appartenais encore au Troisième Régiment (dit « Les Petits Mignons ») de la Troisième Division d’Infanterie Mobile (dite « Division Polaris »). Les deux bataillons reformés pour l’Opération D.D.T. à partir des unités disponibles avaient été baptisés « Troisième Régiment », mais je n’avais pas vu « mon » régiment. Je n’avais vu alors que la première classe Bamburger et pas mal de Punaises, et même beaucoup trop.

Je pouvais parfaitement être promu officier des « Petits Mignons », y vieillir jusqu’à la retraite et ne jamais rencontrer le commandant de mon régiment. Les « Têtes Dures » avaient bien un commandant de compagnie, eux aussi, mais il commandait également le premier groupe (dit « Les Frelons ») dans une autre corvette. J’avais toujours ignoré son nom jusqu’au moment où je l’avais lu sur mes ordres pour l’Ecole des Elèves Officiers. On raconte l’histoire, que je ne crois pas, d’ailleurs, d’une « section perdue » dont le commandant de compagnie avait été promu tandis que les autres sections étaient affectées à d’autres opérations. Cette histoire prétend que, après le départ de son officier, cette « section perdue » traîna pendant une bonne année dans les bouges de l’avenue Churchill, sur Sanctuaire, avant d’être portée manquante.

Mais peut-être est-ce possible, après tout.

La pénurie chronique en officiers avait une influence prépondérante sur mes responsabilités au sein des « Blackies ». C’est dans l’Infanterie Mobile que l’on trouve le plus faible pourcentage d’officiers de toute l’histoire des unités militaires, ce qui explique en partie le fameux « partage divisionnel ». Le « pardi » est une expression du jargon militaire. L’idée est simple : si vous disposez de 10 000 soldats, combien vont se battre ? Combien seront de corvée de patates ? Combien conduiront des camions, creuseront des tombes ou porteront des documents d’un P.C. à l’autre ?