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Plus la guerre se prolongeait, plus la situation des officiers empirait, le taux de leurs pertes étant plus important. Et, dans l’I.M., on ne nomme jamais un officier pour pourvoir à un poste vacant. C’est le rôle de chaque régiment de fournir sa part d’officiers, et le déficit ne peut être rattrapé sans abaisser les normes de sélection. Pour la force d’invasion du Tours, treize officiers étaient nécessaires : six chefs de section, deux commandants de compagnie, deux adjoints, un commandant en chef assisté de deux officiers d’état-major. Il y en avait six… plus moi.

« Demi-Bataillon »

Tableau d’organisation

Capitaine Blackstone

Adjudant-chef d’ordonnance

Compagnie C (« Les Voraces de Warren »)

1er lieutenant Warren

1e sect. – 1er lt. Bayonne

2e sect. – 2e lt. Sukarno

3e sect. – 3e lt. N’gam

Compagnie D (« Blackies »)

Cpt. Blackstone (cdt. en second)

1e sect. – 1er lt. Silva

2e sect. – 2e lt. Khoroshen

3e sect. – 2 e lt. Graham

J’aurais dû me trouver sous les ordres du lieutenant Silva, mais il avait été hospitalisé le jour même de mon arrivée, victime de terribles convulsions. Ça ne signifiait pas nécessairement que le commandement de sa section me revenait. Je n’étais que troisième lieutenant à titre provisoire. Le capitaine Blackstone pouvait me placer sous les ordres du lieutenant Bayonne et confier sa première section à un adjudant, ou encore la prendre lui-même sous son aile, ce qui ne lui ferait jamais qu’un troisième commandement à assurer.

En fait, il opta pour toutes ces solutions et ne m’en confia pas moins la première section des « Blackies » de la compagnie D. Il se débrouilla pour emprunter un sergent aux « Voraces » comme ordonnance et pour affecter son propre adjudant-chef à la première section – ce qui équivalait presque à le dégrader. Puis il m’expliqua par le menu ces modifications et me fit bien entrer dans la tête que si j’apparaissais comme chef de la première section sur le T.O., celle-ci n’en serait pas moins commandée par Blackie lui-même et son adjudant-chef.

Je serais autorisé à sauter en tant que chef de section, mais il suffirait d’un mot, d’un seul mot de mon adjudant de section au commandant de compagnie pour qu’on me serre la vis.

J’étais d’accord. La section était à moi aussi longtemps que je m’en tirais bien. Dans le cas contraire, il valait mieux pour tout le monde qu’on me mette sur la touche aussi vite que possible. Et je me disais qu’il valait mieux récupérer le commandement d’une section comme cela plutôt qu’en pleine bataille.

Je prenais ma tâche au sérieux. C’était ma section. C’était marqué sur le T.O. Mais je n’avais pas encore appris à déléguer mon autorité et, pendant toute une semaine, je passai beaucoup trop de temps avec les hommes. Blackie me convoqua.

— Dis-moi, fiston, qu’est-ce que tu as derrière la tête ?

Je répondis avec raideur que j’essayais de préparer ma section au combat.

— Vraiment ? On ne le dirait pas. On penserait plutôt que tu veux en faire un essaim de guêpes en folie. Pourquoi, bon Dieu, crois-tu que je t’ai donné le meilleur adjudant-chef ? Veux-tu me faire le plaisir de regagner ta cabine, de te suspendre à un crochet et de ne plus bouger ? Jusqu’à ce qu’on sonne le branle-bas, c’est l’adjudant-chef qui s’occupera de ta section et qui te la réglera comme un violon !

— Comme le capitaine le désire.

— Autre chose aussi… Je ne supporterai pas un officier qui réagit comme un petit cadet pris en faute. Ne joue pas à l’idiot en me parlant à la troisième personne ! Réserve ça pour les généraux et les capitaines de vaisseaux ! Et cesse de raidir les épaules et de claquer les talons ! Ecoute-moi, fiston : les officiers doivent avoir une allure décontractée.

— Oui, mon capitaine.

— Et je ne veux plus que tu me dises « mon capitaine » pendant une semaine ! Même chose pour le salut. Et ne prends pas cet air buté de cadet vexé ! Souris !

— Euh… Oui.

— C’est mieux ! Appuie-toi contre la paroi. Gratte-toi le nez. Bâille… Comporte-toi comme un vrai petit soldat.

J’ai essayé… en souriant piteusement, parce qu’il est difficile de briser ses habitudes. S’appuyer contre la paroi me semblait plus difficile que de me mettre au garde-à-vous. Le capitaine m’épiait.

— Exerce-toi, dit-il. Un officier ne doit jamais avoir l’air tendu ou effrayé. C’est contagieux. Maintenant, Johnnie, dis-moi ce qu’il manque à ta section. Je ne veux pas entendre parler des bricoles. Je me fiche du nombre de paires de chaussettes par bonhomme, hein !

Je réfléchis à toute allure.

— Euh… Savez-vous si le lieutenant Silva avait l’intention de proposer Brumby pour le grade d’adjudant ?

— Oui, je le sais. Et toi, qu’en penses-tu ?

— Eh bien… Il a commandé la section dans les deux derniers mois et ses notes sont bonnes.

— Je te demande une appréciation.

— Désolé mais… Eh bien, je ne l’ai jamais vu au combat. Je ne peux pas savoir. Mais il fait fonction d’adjudant depuis trop longtemps pour qu’on puisse nommer un chef de peloton plutôt que lui. Il doit avoir ses galons avant de sauter… ou alors, il demandera son transfert quand nous reviendrons. Peut-être même avant, si une liaison spatiale est prévue.

Blackie grommela.

— Pour un troisième lieutenant, je te trouve plutôt gaspilleur.

Je me sentis devenir cramoisi.

— C’est un défaut dans ma section. Brumby doit être nommé ou transféré. Je ne veux pas qu’il se retrouve au même poste et qu’un autre soit promu à sa place. Il le prendrait mal et ce serait encore pire. Dans une autre unité, il aura sa chance. Envoyez-le au Dépôt de Reclassement.

— C’est comme ça, hein ? Après cette analyse magistrale, fais fonctionner ton sens de la déduction et dis-moi pourquoi le lieutenant Silva ne l’a pas fait transférer, il y a trois semaines, quand nous étions au large de Sanctuaire ?

Je m’étais posé cette question. Il faut toujours transférer un homme dès que l’on a décidé de le laisser partir. Et sans l’avertir. Cela vaut mieux pour lui et pour l’unité. C’est en tout cas ce que dit le manuel.

— Le lieutenant Silva était-il malade à cette époque ?

— Non.

— Alors, mon capitaine, je recommande Brumby pour une promotion immédiate.

Blackie haussa les sourcils.

— Il y a une minute, tu étais prêt à t’en débarrasser !

— Non, pas exactement. J’ai dit que c’était l’une ou l’autre solution. J’ignorais laquelle. Maintenant, je sais.

— Continue.

— En supposant que le lieutenant Silva est un officier capable.

— Hhmmffff ! Mon petit monsieur, pour votre gouverne, sachez que le lieutenant Silva a droit à la mention « Excellent - Recommandé pour une promotion » sur son Bulletin 31.

— Mais je sais que c’était un bon officier. Sinon, je n’aurais pas hérité d’une aussi bonne section. Mais un officier, même compétent, peut ne pas promouvoir un homme pour… Oh, pour pas mal de raisons… Qu’il n’est pas tenu de justifier officiellement. Mais dans ce cas, s’il ne pouvait pas faire nommer Brumby, il ne l’aurait pas gardé dans son unité. Il l’aurait fait transférer à la première occasion. Mais il ne l’a pas fait. Je sais donc qu’il avait bien l’intention de le recommander pour une promotion. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il ne l’a pas fait il y a trois semaines. Brumby aurait pu porter ses galons en permission…