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Furieux, « Rusty » avait renoncé. Même un second lieutenant n’est pas assez stupide pour donner un tel ordre par écrit. « Rusty » partageait ma cabine et il était en même temps mon prof de maths, ce qui ne me rendait pas particulièrement heureux. Mais, ensemble, nous avons procédé à l’inventaire. Plus tard, je me fis engueuler par le lieutenant Warren qui me reprocha mon esprit étroitement bureaucratique mais qui ouvrit quand même son coffre pour me permettre d’enregistrer les différentes publications relevant de la bibliothèque du bord. Le capitaine Blackstone, quant à lui, n’avait pas fait d’histoires.

Hélas pour « Rusty », la caisse n’était pas aussi bien tenue que la bibliothèque… Il avait accepté les yeux fermés l’inventaire de son prédécesseur alors que le bilan était faux. Et non seulement son prédécesseur avait disparu, mais il était mort ! « Rusty » passa une nuit blanche (et moi aussi !) avant d’aller trouver Blackie pour lui avouer la vérité.

Blackie l’engueula copieusement avant de se pencher sur les divers « trous » et de trouver divers moyens de les attribuer à certaines « pertes au combat ».

Mais toutes les tâches du « George » n’étaient pas de tels casse-tête. Par exemple, il n’y avait plus de cour martiale à rassembler. C’était incompatible avec une bonne unité de combat. Il n’était pas question de censure non plus puisque le vaisseau était en effet Cherenkov. Idem pour la gestion de la caisse commune. J’avais confié l’athlétisme à Brumby et « l’officier des détails » que j’étais jugeait la nourriture du mess excellente. Je vérifiais les menus et j’inspectais plusieurs fois les magasins.

En tout, mes devoirs de « George » me prenaient deux heures par jour.

Vous faites le calcul. Dix heures passées sur le matériel et l’armement, trois heures de maths, une heure et demie pour les repas, une heure de bricolages militaires divers, une heure de vie personnelle, deux heures de « George » et huit heures de sommeil. Total : vingt-six heures et demie. Et le vaisseau n’était même plus réglé sur les vingt-cinq heures de Sanctuaire mais sur le calendrier universel et Greenwich.

Je ne pouvais donc prendre que sur mon temps de sommeil.

Il devait être 1 heure du matin et j’étais dans la chambre des cartes en train de piocher mes maths quand le capitaine Blackstone entra.

— Bonsoir, capitaine, dis-je.

— Tu veux dire bonjour… Qu’est-ce que tu as, fiston ? Tu fais de l’insomnie ?

— Pas exactement.

Il prit au hasard quelques feuilles, y jeta un coup d’œil.

— Est-ce que ton adjudant ne peut pas faire toute cette paperasse pour toi… Oh, je vois… Va te coucher.

— Mais, capitaine…

— Alors, assieds-toi, Johnnie… Je voulais te parler. Je ne savais pas que tu passais tes soirées là. Quand je te cherche dans ta cabine, tu es à ton bureau. Quand ton voisin se couche, tu viens ici. Qu’est-ce qui se passe au juste ?

— C’est… c’est comme si je ne m’en sortais pas.

— Personne ne s’en sort jamais. Comment ça va, à l’armurerie ?

— Assez bien. Je pense qu’on s’en tirera.

— Je le pense aussi. Ecoute, fiston, il faut que tu gardes le sens des proportions. Tu as deux tâches essentielles. D’abord, veiller à l’équipement de ta section. C’est ce que tu fais. Je te l’ai déjà dit : inutile de te préoccuper des hommes eux-mêmes. Ensuite – et c’est tout aussi important – il faut te préparer au combat. Et tu ne le fais pas.

— Je serai prêt à me battre, capitaine.

— Idiot ! Tu ne prends pas d’exercice et tu ne dors pas suffisamment. C’est ainsi que tu te prépares à sauter ? Pour commander une section, mon petit, il faut être en forme. A partir de ce soir, tu t’entraîneras de 16 h 30 à 18 heures tous les jours. Tu seras couché à 23 heures, et si tu fais un quart d’heure d’insomnie deux soirs de suite, je t’envoie au rapport du toubib. C’est un ordre !

— Oui, capitaine. (J’avais l’impression que les cloisons du vaisseau se refermaient sur moi.) Capitaine… comment pourrai-je me coucher à 23 heures et tout faire ?

— Eh bien, tu ne feras pas tout. Comme je te l’ai dit, fiston, il faut que tu conserves le sens des proportions. Raconte-moi ton emploi du temps.

Je lui racontai. Il hocha la tête.

— C’est exactement ce que je supposais. (Il prit mon bouquin de « devoirs de maths » et le posa devant moi.) Prends ça. Bien sûr qu’il faut que tu pioches. Mais pourquoi le faire avant le combat ?

— Je me disais…

— Tu ne te dis rien… Il existe quatre possibilités. Et seule l’une d’elles exige que tu accomplisses tout cela. Un : tu peux te faire descendre. Deux : tu peux être blessé et être rapatrié avec une pension honorable. Trois : tu peux t’en tirer mais récolter une appréciation négative de ton examinateur, c’est-à-dire moi, en l’occurrence. Et tu travailles pour ça en ce moment même, fiston… Je ne te laisserai pas sauter si tu as les yeux rouges à force de manque de sommeil et les muscles tout flasques… Quatrième possibilité : tu te reprends… auquel cas je te laisse commander ta section. Admettons que tu y parviennes et que tu fasses mieux qu’Achille quand il a liquidé Hector. Je te donne ton certificat. C’est dans ce cas, et dans ce cas seulement qu’il faudra te rebrancher sur tes maths. Pendant le voyage de retour.

« Je vais avertir le pacha. Pour tout le reste, qu’il n’en soit plus question, dès maintenant. Tu auras tout le temps pour tes maths si tu t’en sors… Mais, de toute manière, tu ne te sortiras jamais de rien si tu ne sais pas distinguer les choses qui passent d’abord ! Va te coucher !

Une semaine plus tard, nous sommes sortis de l’effet Cherenkov. Le moment était venu de nous placer sur orbite de rendez-vous. Les vaisseaux de la flotte se regroupaient en échangeant des signaux, leur vitesse étant maintenant inférieure à celle de la lumière. On nous transmit le Plan de Base, le Plan de Bataille, notre Mission et nos Ordres. C’était aussi long qu’un roman et ça se terminait par l’interdiction de sauter.

Oh, bien sûr, nous allions participer à l’opération, mais nous devions débarquer comme des gentlemen, dans des navettes bien confortables. Ce n’était possible que parce que la Fédération occupait déjà le terrain. Les Seconde, Troisième et Cinquième divisions d’I.M. avaient payé cher pour ça.

Ce que ne semblait pas justifier l’état des lieux.

La planète P est plus petite que la Terre, la gravité au sol est de 0,7 et l’on y trouve un océan arctique, des rochers, des lichens et une faune absolument dépourvue d’intérêt. L’atmosphère n’est pas respirable, trop riche en ozone et contaminée par l’oxyde nitrique. L’unique continent est moitié moins grand que l’Australie.

Un monde qui exigerait sans doute une terraformation encore plus importante que Vénus.

Mais nous n’étions pas là pour conquérir une nouvelle colonie mais seulement parce que les Punaises s’y trouvaient déjà. Et, à en croire l’état-major, la planète P pouvait constituer une base avancée contre la Fédération.

Ce monde étant sans valeur, la Marine pouvait se charger de liquider l’unique base des Punaises à distance raisonnable et le transformer en une sphère inhabitable pour les humains aussi bien que pour les Punaises. Mais le commandement en chef avait d’autres projets en tête.