J’ai pris mon paquetage. C’était midi à ma porte. Je rentrais chez moi.
14
Suis-je le gardien de mon frère ?
Que vous en semble ? Si un homme a cent brebis, et que l’une d’elles s’égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes pour aller chercher celle qui s’est égarée ?
Combien un homme ne vaut-il pas plus qu’une brebis ?
Au nom de Dieu, le Bénéfique, le Miséricordieux… celui qui sauve toute l’humanité.
Chaque année, nous apprenons un peu. Nous devons garder le sens des proportions.
— Mon lieutenant, c’est l’heure.
L’officier cadet, le candidat, le « troisième lieutenant à titre provisoire » Patte d’Ours se tenait sur le seuil. Il semblait terriblement jeune. Aussi désarmé que ses ancêtres chasseurs de scalp.
— On y va, Jimmie.
J’étais déjà en scaphandre. Ensemble, nous nous sommes dirigés vers la chambre de saut.
— Juste un mot, Jimmie. Colle-toi derrière moi et ne me gêne pas. Amuse-toi bien et sers-toi de tes munitions. Si je me fais descendre, c’est toi le boss… mais sois assez malin pour laisser ton adjudant de section lancer les signaux. Vu ?
— Vu, mon lieutenant.
Nous sommes entrés dans la chambre de saut, et l’adjudant de section a lancé « garde-à-vous ! » et m’a salué. Je lui ai rendu son salut et j’ai dit : « Repos ! »
J’ai commencé l’inspection du premier groupe pendant que Jimmie s’occupait du deuxième.
Mon adjudant de section est encore plus méticuleux que moi et je n’ai rien trouvé à redire. Je ne trouve jamais rien. Mais les hommes aiment bien que le Vieux passe lui-même l’inspection. Et puis, c’est mon boulot.
Je me suis placé au milieu des rangs.
— Encore une chasse aux Punaises, les gars. Mais un petit peu différente, cette fois. Elles ont des prisonniers et on ne peut pas utiliser de bombe novae sur Klendathu. Alors cette fois, on y va. Et on nettoie tout. Le vaisseau ne nous récupérera pas. Vous aurez des munitions et des rations supplémentaires. Si vous êtes fait prisonnier, tenez bon et obéissez aux règles. N’oubliez pas que toute l’unité est derrière vous, toute la Fédération. On viendra vous libérer. Les gars du Swamp Fox et du Montgomery comptent sur nous. Ceux qui vivent encore nous attendent. Ils savent que nous arrivons. A nous le travail.
» N’oubliez pas non plus que nous avons des tas de renforts, autour de nous, au-dessus de nous. Nous n’avons à nous occuper que de notre petit numéro. Celui que nous avons répété.
» Un dernier mot. J’ai reçu une lettre du capitaine Jelal juste avant notre départ. Il dit que ses nouvelles jambes fonctionnent parfaitement. Il dit aussi qu’il pense à vous et qu’il compte bien que vous allez casser la baraque ! Et moi aussi ! Cinq minutes pour le Padre.
Ça y est. Je commençais à trembler. Vite, pour me soulager, j’ai ordonné :
— Garde-à-vous ! Par groupes… Bâbord et tribord ! Préparez-vous à sauter !
J’ai inspecté chaque homme dans sa capsule, avec l’aide de Jimmie et de l’adjudant de section. Puis on a bouclé Jimmie dans la capsule n° 3. Je me suis remis à trembler. L’adjudant de section a posé la main sur mon scaphandre et il m’a dit :
— Un simple exercice, fiston.
— Je sais, père. (Immédiatement, je me suis calmé.) C’est l’attente.
— Je sais, je sais. Encore quatre minutes. On y va, mon lieutenant ?
— On y va, père.
Je lui ai donné une dernière bourrade et les marins nous ont bouclé chacun dans notre capsule. Je ne tremblais plus.
— « Tête Dures » de Rico… paré pour le saut !
— Trente et une secondes, lieutenant, a dit la douce voix du commandant. Bonne chance, les gars ! Cette fois, on les tient !
— Juste, capitaine !
— Paré. Un peu de musique ?
A la gloire éternelle de l’Infanterie…
NOTE HISTORIQUE
YOUNG, RODGER W. soldat de 2e classe, 148e Régiment de la 37e Division d’Infanterie (Les Ohio Buckeyes) ; né à Tiffin, Ohio, le 28 avril 1918 ; mort le 31 juillet 1943 dans l’île de Nouvelle-Georgie, archipel des Salomons, Pacifique Sud, en attaquant seul et en réussissant à neutraliser un nid de mitrailleuses ennemi. Sa section était clouée au sol par le feu intense des mitrailleuses. Le soldat Young, bien que blessé par une première rafale, continua de ramper vers l’objectif. Il fut alors touché une seconde fois mais poursuivit son avance sans cesser de tirer. Il attaqua le nid de mitrailleuses et le détruisit à la grenade offensive. Touché une troisième fois, il devait mourir.
Son action valeureuse dans des circonstances désespérées permit à ses camarades de se retirer sans autres pertes. Le soldat Rodger W. Young s’est vu décerner la Médaille d’honneur à titre posthume.