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— Alors ? demanda-t-il quand elle revint.

— Rien. Seulement ça. – Elle jeta une carte postale sur le lit. Un coucher de soleil entre des palmiers. Adressé à elle.

— Je ne pensais pas que ces gars-là savaient écrire.

— Jock ? Oh ! il m’envoie constamment des trucs. Tiens, ça – elle saisit une poignée de son peignoir rutilant – ça vient du Japon.

Birdie émit un grognement. Lui-même avait eu l’intention d’acheter un cadeau à Frances en signe de reconnaissance, mais il n’avait plus un sou. Il vivait, en attendant sa lettre, avec ce qu’il pouvait lui emprunter.

— On ne peut pas dire que ce soit passionnant, ce qu’il raconte.

— Non, on peut pas dire.

Elle avait l’air déprimée. Avant d’aller chercher le courrier, elle avait été gaie comme une pute. La carte postale avait dû l’affecter plus qu’elle ne voulait le laisser paraître. Peut-être était-elle amoureuse de ce Jock ? Pourtant en juin, la nuit de leur première saoulographie à cœur ouvert, après qu’il lui eut parlé de Milly, elle lui avait confié qu’elle attendait toujours le prince charmant.

Quelle qu’en fût la cause, il décida de ne pas se laisser gagner par son cafard, et se brancha sur l’idée de s’habiller. Il sortirait ses bleu-ciel et son foulard vert et irait se balader du côté du fleuve dans ses pieds-nus bien propres. Ensuite vers les quartiers nord. Pas jusqu’à la Onzième Rue, non. De toute manière c’était jeudi et Milly ne rentrait jamais chez elle le jeudi après-midi. De toute manière il avait décidé de ne pas aller la voir avant de pouvoir lui balancer l’histoire de son succès en plein dans sa jolie petite figure.

— Elle arrivera sans doute demain.

— Sans doute.

Frances était assise par terre en tailleur et coiffait ses cheveux d’un brun terne en les ramenant devant son visage.

— Ça va faire deux semaines.

— Birdie ?

— C’est mon nom.

— Hier quand j’étais à Stuyvesant Town, au marché, tu sais ? – Elle trouva sa raie et tira de côté une moitié du voile. – J’ai acheté deux pilules.

— Extra, ça.

— Pas du genre que tu crois. Des pilules qu’on prend pour… tu sais, pour pouvoir de nouveau avoir des enfants. Elles changent le truc qu’ils mettent dans l’eau. Je me suis dit que peut-être si on en prenait chacun une…

— Tu sais bien qu’on ne peut pas faire ça comme ça, Frances. Mais enfin bon Dieu, ils te feraient avorter avant que t’aies le temps de dire Lucille Mortimer Randolph-Clapp.

C’était la plaisanterie préférée de Frances, et elle l’avait trouvée elle-même, mais cette fois elle n’esquissa même pas un sourire.

— On ne serait pas obligés de leur signaler. Je veux dire, pas avant qu’il soit trop tard.

— Tu sais ce qu’ils font, non, aux gens qui essaient de faire ce coup-là en douce ? À l’homme comme à la femme ?

— Ça m’est égal.

— Eh bien moi pas. – Puis, pour mettre un point final à la discussion : « Nom de Dieu ! »

Elle ramena ses cheveux vers l’arrière et les attacha maladroitement avec un bout de ruban jaune. Elle essaya de faire croire qu’elle venait d’avoir une idée.

— On pourrait aller au Mexique.

— Au Mexique ! Mais bon Dieu, tu ne lis donc jamais que des bandes dessinées ? L’indignation de Birdie était d’autant plus violente que dans un passé fort proche il avait fait essentiellement la même proposition à Milly. – Au Mexique ! Mais c’est pas vrai, ma parole !

Frances, blessée, alla se poster devant la glace et se mit au travail avec sa crème. Birdie l’avait vue passer jusqu’à une demi-journée à décaper, à frotter et à lisser. Pour tout résultat, elle obtenait invariablement le même visage abîmé de femme entre deux âges. Frances avait dix-sept ans.

Leurs regards se rencontrèrent l’espace d’un instant dans la glace. Celui de Frances se déroba. Il comprit que sa lettre était arrivée. Qu’elle l’avait lue. Qu’elle savait.

Il s’approcha d’elle par derrière et saisit ses bras maigres à travers l’étoffe épaisse de son peignoir.

— Où est-elle, Frances ?

— Où est quoi ? – Mais elle savait, elle savait.

Il rapprocha ses coudes l’un de l’autre comme s’il actionnait un musculateur à ressort.

— Je… je l’ai jetée.

— Tu l’as jetée ! Ma lettre personnelle ?

— Je suis désolée. Je n’aurais pas dû. Je voulais que tu sois… je voulais juste qu’on passe encore une journée comme celles qu’on a passées ces derniers temps.

— Qu’est-ce qu’elle disait ?

— Birdie, arrête !

— Tu vas me le dire, oui ou merde ?

— Trois points. Tu as gagné trois points.

Il la lâcha.

— C’est tout ? C’est tout ce qu’elle disait ?

Elle se frotta les bras là où il l’avait saisie.

— Elle disait que tu pouvais être fier de ce que tu avais écrit.

Trois points, c’est une bonne note. L’équipe qui t’a noté ne savait pas combien de points il te fallait. Tu n’as qu’à la lire toi-même si tu ne me crois pas. Elle est là.

Elle ouvrit un tiroir, révélant l’enveloppe jaune avec son cachet d’Albany et le flambeau du savoir dans le coin opposé.

— Tu ne la lis pas ?

— Je te crois sur parole.

— Elle dit que si tu veux le point qui te manque, tu peux l’obtenir en t’engageant dans l’Armée.

— Comme ton copain Jock, hein ?

— Je suis désolée, Birdie.

— Moi aussi.

— Peut-être que maintenant tu voudras bien changer d’avis.

— Au sujet de quoi ?

— Des pilules que j’ai achetées.

— Tu vas pas bientôt me foutre la paix avec cette histoire de pilules ? Hein, dis ?

— Je ne leur dirai jamais qui est le père. Je le jure. Birdie, regarde-moi. Je le jure.

Il regarda les yeux noirs et humides, la peau grasse et pelée, les lèvres minces et dures qui ne souriaient jamais assez loin pour trahir ses dents.

— Je préférerais me branler dans les chiottes plutôt que de t’en donner. Tu sais ce que tu es ? T’es une débile.

— Tu peux me traiter des noms que tu veux, Birdie. Ça m’est égal.

— T’es rien qu’une pauvre tarée.

— Je t’aime.

Il savait ce qu’il lui restait à faire. Il avait repéré la chose la semaine passée en fouillant dans ses tiroirs. Ce n’était pas vraiment un fouet, mais il ne connaissait pas le nom exact. Il le retrouva sous le linge.

— Qu’est-ce que tu viens de dire ? – Il lui fourra la chose sous le nez.

— Je t’aime, Birdie. En vrai. Et je crois que je suis la seule personne au monde qui t’aime vraiment.