Chez Dache
Envoyer à Dache, c’est congédier, mettre à la porte, envoyer promener. Dache y représente Dâche (autrefois Diache), signifiant « diable », notamment dans le Nord-Pas-de-Calais : Va t’in dire cha à Dâche ! Selon Esnault (1965), le mot serait attesté dès 1866 dans l’argot des ouvriers. Envoyer à Dache, c’est donc « envoyer au diable ». Quelque vingt ans plus tard, chez les militaires du Second Empire, on complétait ainsi la formule : « à Dache, perruquier des zouaves », lui donnant ainsi une connotation toute coloniale et la rapprochant d’une expression synonyme : « Envoyer chez Plumeau » (voir infra).
Quand je demandais à grand-mère où elle allait et qu’elle me répondait : Chez Dache ! je ne pouvais donc qu’être perplexe et même quand elle ajoutait parfois, pour la rime et le rire : « marchand de pataches », je savais bien que Dache n’était pas l’épicier du coin.
Quelle (sale) engeance !
Petite entorse à la thématique : c’est plutôt une expression de mon grand-père qui, libre penseur, anticlérical et digne partisan de cette Troisième République qui avait bercé une grande partie de sa vie, disait des curés (qu’il traitait aussi de « corbeaux ») : « C’est une sale engeance ! »
Engeance ne revêt plus guère aujourd’hui que cette acception péjorative : « catégorie de personnes considérées comme méprisables ou détestables », mais le mot avait aussi chez Littré cette autre signification : « Race, en parlant de certains animaux domestiques. »
À l’origine, un verbe disparu au XVIe siècle : engier, « accroître, augmenter, faire pulluler ». Engier (ou aengier) eut aussi, par extension, le sens d’« embarrasser d’une sotte ou d’une mauvaise engeance » (chez Littré, à l’entrée enger), définition qui vaut également pour engeancer, verbe de la même famille, aujourd’hui vieilli : « On a souvent à se repentir de s’être engeancé de certaines gens. » (Frères Bescherelle, Dictionnaire usuel de tous les verbes français, 1843). L’un des premiers emplois d’engeancer paraît lié à l’agriculture et aux jardins, comme chez Olivier de Serres : « Aucune plante n’y a-t-il au jardin plus aisée à s’engeancer et à se maintenir, que le houblon, lequel tiré des bayes et buissons (où il croist sans artifice) par jettons enracinés, se reprend très-facilement en toute terre » (Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, 1600).
Toutes ces idées devaient être présentes dans la tête de grand-père quand il traitait la gent ecclésiastique de sale engeance et sans doute pensait-il, en bon bouffeur de curés, qu’il en va de quelques espèces d’hommes comme de certaines mauvaises herbes : elles prolifèrent comme du chiendent.
Ce n’est pas une enfant de Marie
Grand-mère était croyante avec simplicité, sans prosélytisme ni ostentation. Comment parvint-elle à supporter toute une longue vie son mécréant de mari qui, par exemple, lui lançait d’un air goguenard chaque dimanche matin quand elle allait à la messe : « Donne bien le bonjour de ma part à Monsieur le curé et à sa dame ! » ? Prénommée Marie, elle vouait un culte secret à la Sainte Vierge. Avait-elle, dans son adolescence, rejoint les Enfants de Marie, congrégation dont l’enseignement était fondé sur la dévotion mariale et dont chaque jeune fille membre était « appelée à une plus haute perfection que le commun des fidèles » ?
De cette congrégation est née une image d’Épinal, celle de la demoiselle pure, ingénue, discrète, prude et soumise, à qui l’on donna le qualificatif d’enfant de Marie. L’expression fut vite mise à la négative pour désigner toute jeune fille libérée, à qui on ne la fait pas, bravant les règles, voire carrément dévergondée, bref, tout le contraire d’une sainte-nitouche.
Bâton merdeux
Au sens propre (si l’on ose dire !), il s’agit d’un ustensile si souillé qu’on ne peut le saisir par aucun bout. Au sens figuré, c’est un individu acariâtre au caractère si détestable qu’on ne sait comment l’aborder. C’est en ce sens que grand-mère disait (rarement et à voix basse) de quelque connaissance peu fréquentable : « C’est un bâton merdeux. » L’expression a ensuite évolué pour désigner toute situation si délicate, tout problème si épineux qu’on ne sait comment les appréhender. Le bâton en question a peut-être été l’accessoire principal d’un jeu d’enfants, celui que cite Rabelais au chapitre XXII de Gargantua (1534), entre « pet en gueulle » et « brandelle », parmi quelque deux cent vingt autres auxquels s’adonnait le fils de Grandgousier : « Guillemin, baille my ma lance. » La règle de ce jeu est donnée par l’abbé François Guyet (1575–1655) dans l’une des nombreuses notes qu’il écrivit en marge de son Rabelais : « On bande les yeux à l’un de la troupe, lequel on traite de Chevalier. En cet état il commande à son Écuyer, soit Guillemin ou Robin, de lui bailler sa lance. “Attendez, Monsieur”, répond l’Écuyer, “je vous l’agence”. L’Écuyer disant ensuite à son Maître qu’il lui présente effectivement une lance : dans le temps que Monsieur le Chevalier ouvre la main pour empoigner cette lance, son Écuyer lui met en main un bâton qu’il a pris le loisir d’enduire de m… à l’endroit que l’autre doit toucher. » On voit ici que « Guillemin » est construit sur l’ancien verbe guiller, « tromper, attraper », également à l’origine de « guilledou » (voir infra, Courir le guilledou).
Est-ce la véritable origine du bâton merdeux ? Une autre possible source est évoquée dans certaines pages de littérature pornographique qui, pas plus que le bâton en question, n’est à mettre entre toutes les mains, par exemple :
Quand on sait que « bougre » (déformation de « bulgare » datant du XIIe siècle) fut un surnom donné aux sodomites, on comprend l’allusion graveleuse.
Un drôle de paroissien
Comme « argousin » (voir supra) ou « zigomar » (voir infra), le paroissien est souvent qualifié de drôle quand il désigne, non le fidèle d’une paroisse, mais un individu peu recommandable bien que sympathique. Quand, à la suite d’une bêtise, grand-mère me disait : « Tu me fais un drôle de paroissien ! », je pouvais en conclure qu’elle ne m’en voulait pas trop. En ce sens, le mot est attesté dès 1585 dans les Contes et discours d’Eutrapel de Noël du Fail : « Je connois le paroissien, qui pour son vin du coucher, entonne volontiers, en franc fief et nouvel acquêt, un pot de vin tout comble […] » (ch. XIX).