Se monter le bourrichon, « se monter la tête, se faire des illusions », pratiquer l’autopersuasion, l’expression se trouve chez Flaubert dès avril 1860. C’est d’ailleurs la toute première occurrence du mot : « Oh ! Comme il faut se monter le bourrichon pour faire de la littérature ! Et que bien heureux sont les épiciers ! » (Lettre à Louis Bouilhet).
Monter le bourrichon à quelqu’un, « lui en faire accroire, le bercer d’illusions » apparaît aussi chez Flaubert : « il faut que je monte joliment le bourrichon à mon public : il faut que je fasse baiser un homme, qui croira enfiler la lune, avec une femme qui croira être baisée par le soleil » (29 novembre 1860, cité dans le Journal des Goncourt).
Flaubert, qui a décidément aimé le mot, utilise également Se remonter le bourrichon au sens de « se remonter le moral » : « Je crois que tu te désoles, peut-être, en vain. Il faut se remonter le bourrichon. Tu as déjà passé par de mauvaises phases. » (Lettre à Jules Duplan du 7 août 1861.)
Tourner en bourrique
Une bourrique et un âne (ou une ânesse), c’est kif-kif bourricot (voir infra)… sauf que les mots de bourrique, bourricot et bourriquet (de l’espagnol borrico, « âne ») sont souvent plus péjoratifs. Quelle bourrique ! Tu es têtue comme une bourrique ! Qui est ainsi traité se voit accusé d’un coup de bêtise et d’entêtement. Être une bourrique, c’est non seulement ne rien comprendre mais, qui plus est, ne faire aucun effort pour comprendre ; ce peut être aussi s’obstiner bêtement. La bourrique est donc un âne bâté, au sens figuré comme au sens propre puisque la raison d’être d’un bât est d’équiper les bêtes de somme d’où une autre expression, être chargé comme une bourrique, signifiant « porter de lourds et nombreux fardeaux ».
D’un amalgame de ces diverses locutions est sans doute né tourner en bourrique qui accumule les notions de bêtise et de charges exténuantes. Faire tourner quelqu’un en bourrique, c’est en effet l’abrutir (faire d’elle une brute) en lui imposant d’insupportables exigences. Diantre, voilà qui n’est pas rien ! Pas d’affolement, cependant, car la formule relève le plus souvent de la synecdoque, c’est-à-dire qu’elle dit le plus pour le moins. Quand, en effet, une maman reproche à ses sales gosses de la faire tourner en bourrique, elle veut juste leur faire comprendre qu’ils l’énervent, qu’ils lui font perdre patience, qu’elle est excédée par leur agitation ou leurs jérémiades.
Selon Esnault (1965), bourrique a également revêtu des significations argotiques : gourgandine en 1809, agent de la sûreté en 1877, délateur en 1883, gendarme en 1917. En 1894, Virmaître ne lui donnait toutefois que le sens d’« indicateur » (argot des voleurs) ; on dirait aujourd’hui « balance ».
Faire voir sa boutique
Dans mon enfance, les tabous sexuels étaient la norme : appeler de leur nom véritable les « parties naturelles » était inimaginable dans la conversation courante et grand-mère usait de métaphores pour nous rappeler, mon frère et moi, à l’élémentaire pudeur. Elle nous parlait de « petit oiseau » ou, plus souvent, de boutique : « Ne fais pas voir ta boutique à tout le monde ! », ou encore, « Ce n’est pas beau de mettre ainsi sa boutique à l’air ! ». Ce mot n’eut longtemps pour nous que ce sens, un peu licencieux malgré tout.
L’image était cohérente puisque le mot boutique est lié à l’idée d’étalage, de marchandises que l’on montre, et elle ne date pas d’hier puisqu’en 1640, dans ses Curiosités françaises, Antoine Oudin nous apprend que l’on disait « la Boutique, pour la nature ou le membre viril » et que « la Boutique est fermée, se [disait]d’une femme qui ne fait plus d’enfants. »
En 1954, l’année de mes sept ans, l’actrice et chanteuse Mistinguett utilisait la métaphore à propos d’un souvenir d’enfance où il est justement question d’un exhibitionniste : « Le jour où j’avais averti ma mère, elle m’avait dit de marcher devant, comme si de rien n’était. L’autre commençait à montrer sa boutique comme d’habitude, mais quand il aperçut ma mère, il se cavala comme un fou. Il avait raison ! » (Toute ma vie, volume 1, p. 23.)
C’est le cadet de mes soucis
Cadet ! Le mot fait ressurgir deux vieilles images. La première : un soldat de la Révolution, bon enfant et qui multiplie tout par trois : Cadet Rousselle. La seconde : un petit monsieur en haut-de-forme avec une bouche grotesque et dans la main gauche un encrier d’où sort une énorme plume : une caricature de l’acteur Coquelin Cadet qui trônait sur un manteau de cheminée. Évidemment, quand grand-mère faisait taire mes récriminations d’un catégorique C’est le cadet de mes soucis, ces images me venaient alternativement à l’esprit et le cadet en question signifiait tout sauf « le dernier, le moindre, le plus petit ».
L’histoire de ce mot est épatante : cadet, « chef », « capitaine » et « cadeau » ont la même origine ! Au commencement fut la lettre capitale (du latin médiéval capitellus, « petite tête », diminutif de caput, « tête »). Cette lettre capitale se disait capdel ou cabdel en ancien provençal, le mot ayant aussi le sens de « chef », c’est-à-dire « tête » mais aussi « celui qui commande[7] ». La lettre capitale était, en tête d’un texte ou d’un chapitre, toujours enjolivée, historiée selon la tradition des enluminures médiévales. On parlait alors de lettre cadelée (XVe siècle), mot qui est à l’origine de « cadeau », mais c’est là une autre histoire. Cadet est l’équivalent gascon du provençal capdel. Comment, de ce premier sens de « chef », le mot cadet en est-il venu à désigner le deuxième né d’une famille ? Une tradition remontant au XVe siècle nous donne la clef de l’énigme : les fils puînés (nés après les aînés) des familles gasconnes devenaient généralement chefs militaires (mousquetaires) dans les armées du roi de France, enrôlés par exemple dans la compagnie des « cadets de Gascogne ». Le chef-d’œuvre d’Alexandre Dumas (1802–1870) les a immortalisés. La tradition concerna aussi d’autres écoles militaires. Par la suite, le sens de cadet a évolué de « celui qui est né après l’aîné » à « celui qui est le plus jeune ».
Faire devenir chèvre
« Vous finirez par me faire devenir chèvre ! » s’écriait grand-mère quand on la faisait… bisquer (verbe qui vient du provençal bisco, « mauvaise humeur », lui-même issu de bico, « bique, chèvre »).