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Faire devenir chèvre est, de nos jours, un équivalent de Faire tourner en bourrique (voir supra) mais tel ne fut pas le premier sens de l’expression. On trouve chez Rabelais le verbe chevreter[8] : « Advenent le cas, ne seroit-ce que pour chevreter ? Autresfoys est-il advenu : advenir encores pourroit » (Tiers livre, Prologue de l’auteur, 1546). Devenir chèvre, c’est donc se dépiter, c’est-à-dire éprouver du chagrin mêlé de colère. On dit aussi d’une personne qu’elle prend la chèvre quand elle s’emporte pour un rien, qui, facilement, prend la mouche (voir infra). Molière utilise l’expression dans Sganarelle ou Le Cocu imaginaire (1660) : « Mais c’est prendre la chèvre un peu bien vite aussi » (scène XII). Ce caractère colérique et braque de notre caprin se retrouve dans des mots de même étymologie comme caprice ou se cabrer (du latin capra, « chèvre »).

Se noyer dans un crachat

Furetière (1690) explique ainsi l’expression : « On dit hyperboliquement d’un malheureux qu’il se noyeroit dans un crachat. » L’hyperbole est précisée dans les additions du Dictionnaire de l’Académie française (1re édition, 1694) : « On dit proverbialement d’un homme malheureux et malhabile qu’il se noyeroit dans son crachat […]. » Aujourd’hui, le désarroi et l’affolement devant un problème à résoudre, si insignifiant soit-il, ont supplanté le malheur et la maladresse, noyer revêtant le même sens figuré que la locution quasi synonyme, « se laisser submerger ». Ces nuances apparaissent au XIXe siècle, notamment chez Littré (1872-77), avec, en plus, la notion d’échec : « Se noyer dans son crachat, dans un crachat, échouer, se perdre en des cas ou rien n’était si facile que de réussir. » Se noyer dans une goutte d’eau était aussi en usage au XVIIe siècle, comme dans cet extrait de Bossuet : « Vous voyez très-bien le foible de celui du pauvre M. de Cambrai, qui s’égare dans le grand chemin, et qui a voulu se noyer dans une goutte d’eau » (Lettre à M. de La Loubère du 1er juin 1698).

Le « verre d’eau » remplace souvent aujourd’hui la « goutte » ou le « crachat », mais le pusillanime n’en est pas pour autant sauvé de la noyade.

Être (comme) cul et chemise

« Ces deux-là, ils sont cul et chemise ! »

En disant cela de deux personnes qu’elle connaissait (mais évitait de fréquenter), grand-mère n’en soulignait pas seulement la proximité, l’inséparabilité, mais aussi la coupable complicité, l’indécence du mot cul devant nécessairement donner à la phrase un tour péjoratif.

Dès 1640, Antoine Oudin nous fournit une expression approchante : « Ce n’est qu’un cul et une chemise. Ils sont toujours ensemble ; ils ont de grandes intelligences » et Fleury de Bellingen, en 1656, en emploie une autre : « […] elle a ajouté que c’estoient deux culs dans une chemise ; c’est à dire deux intimes et parfaits amis, qui semblaient avoir un même esprit, un même sentiment, et une même inclination » (L’Étymologie ou Explication des proverbes françois, XXVIII).

Virer sa cuti

Le jour de la cuti était un jour de larmes, le scarificateur étant pour la plupart des écoliers un instrument de sacrificateur. C’était le médecin scolaire qui pratiquait naguère la cuti (abréviation de « cutiréaction », du latin cutis, « peau »).

Une réaction négative prouvait que le bacille de la tuberculose ne nous avait jamais rendu visite. On devait alors se préparer à une autre journée de pleurs : celle où on nous injecterait le vaccin contre la tuberculose (le fameux B.C.G., sigle pour bacille Calmette Guérin, du nom des inventeurs de cette inhumaine torture). Si la réaction était positive (rougeur et durcissement de la peau), cela voulait dire que l’on avait été en contact avec le microbe et que, ouf ! on était immunisé par la bienheureuse entremise d’une primo-infection naturelle. On disait alors que l’on avait viré sa cuti. L’expression ne tarda pas à prendre un sens figuré et, dans les années 1950, l’on se mit à dire de celui qui changeait de mode, d’opinion, de conviction, notamment dans le domaine politique, qu’il avait viré sa cuti : « L’intellectuel de gauche avait, selon l’expression des militaires d’Algérie, “viré sa cuti” » (Pierre Miquel, La IVe République, Hommes et pouvoirs, Bordas, 1972).

La belle éloise !

Le soir du 14 juillet, après la retraite aux flambeaux, l’exclamation ne cessait de fuser (c’est le cas de le dire) pendant le feu d’artifice tiré sur la plage de Fouras et grand-mère n’était pas en reste : « Oh, la belle verte ! Oh la belle bleue ! Oh la belle éloise ! » Ces cris d’admiration saluaient les gerbes illuminant le ciel car, en Saintonge (comme en Vendée, en Angoumois et en Poitou), une éloise (prononcez éloèze) est un « éclair ».

Le mot est attesté en vieux français, notamment chez Montaigne pour qui notre vie « n’est qu’une éloise dans le cours d’une nuit éternelle » (Essais, livre second, chapitre XII, 1582). Dans Origines de la langue française, le grammairien Gilles Ménage (1613–1692) prend cette citation pour illustrer le mot éloise dont il dit : « C’est un vieux mot qui signifie éclair, et dont on use encore à présent en quelques provinces de France, et particulièrement en Poitou […] Il vient d’elucia qui a été fait d’elucere, “luire, briller” en latin. Existe aussi cet autre régionalisme, éloiser, “faire des éclairs” ».

Se regarder en chiens de faïence

C’est ainsi que nous nous toisions, mon frère et moi, quand l’un avait fait une crasse à l’autre. « Avez-vous fini de vous regarder en chiens de faïence ? » demandait grand-mère.

Les chiens de faïence, je connaissais. Parmi de nombreux autres bibelots (maman parlait d’acqueries, mot charentais désignant de « vieux objets sans valeur », des « nids à poussière »), deux dogues semblaient se défier du regard, face à face, immobiles, sur le buffet des grands-parents. Je n’appris que bien plus tard d’où venait la faïence dont ils étaient faits.

On a d’abord dit terre de Fayence (1532), puis Faenze (1589), Faiance (1642) et enfin faïence (fin XVIIe siècle) pour désigner cette célèbre céramique originaire de Faenza. Cette petite ville italienne de la région d’Émilie possède d’ailleurs un musée international de la céramique. La fabrication de vaisselle de céramique qui remonte au XIIe siècle y est toujours un artisanat florissant.

Se lever du pied gauche

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8

Dans l’édition variorum de 1823, le glossaire donne cette définition : « Se despiter comme font les chèvres, qui sautellent et trépignent quand on les fasche. »