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La gauche (je ne parle pas de politique !) a toujours eu mauvaise réputation. Est-ce parce que le mot est, selon certaines hypothèses, issu du verbe gauchir, lui-même dérivé, via l’ancien français guenchir, ganchir, « faire des détours », du francique °wenkjan, « vaciller » ? Toujours est-il que le côté en question, même au-delà le mot qui le désigne, est frappé d’anathème depuis l’Antiquité.

Les augures romains étaient investis du pouvoir de comprendre l’attitude des dieux à l’égard de Rome et de prédire l’avenir en interprétant divers signes dont le vol des oiseaux (le latin auspicum, « observation des oiseaux » a d’ailleurs donné le français « auspices », dont on sait qu’ils peuvent être bons ou mauvais comme l’augure peut être favorable ou non). La science divinatoire des augures leur permettait donc de conseiller sénateurs et magistrats. Si, par exemple, un vol d’oiseaux venait de la gauche, le présage était défavorable, d’où le sens de « sinistre », issu du latin sinistra, « main gauche ». L’augure était bon si le vol surgissait de la dextre (= droite). « Gauche » se substitua au français senestre, « côté gauche » (également dérivé de sinistra) quand « dextre » fut remplacé par « droit(e) ».

Gauche, sinistre ? Mêmes connotations. Comment après cela s’étonner que se lever du pied gauche soit associé à la mauvaise humeur et que la journée en soit mal engagée ?

« Bien sûr nous eûmes des orages… » Quel couple peut se vanter de n’en avoir jamais eus ? Orage ou brouille passagère, le résultat se traduit bien souvent par une soupe à la grimace, l’image étant celle d’un repas pris en face d’un visage revêche : celui de votre conjoint dont la moue renfrognée traduit l’inimitié. L’expression ne semble pas remonter au-delà du XXe siècle et l’idée de repas en a progressivement disparu, celle d’accueil hostile étant seule conservée.

Une autre, un peu plus ancienne, nous parle de « soupe aux larmes » mais, plus que de l’hostilité, c’est de la tristesse qu’elle exprime : « Londres est maintenant détestable, poursuivit Reggie avec un grand sérieux. Je n’aime pas, vous savez… La guerre… Partout à Londres, c’est comme une soupe aux larmes » (Francis Carco, Les Innocents, 1916).

Ajoutons que celui qui mange la soupe à la grimace doit aussi souvent « dormir à l’hôtel du cul tourné » (voir infra), la guéguerre conjugale étant ainsi pleinement consommée.

Avoir l’air grimaud

Toujours dans le registre de la mauvaise humeur, citons avoir l’air grimaud, expression aujourd’hui plutôt sarthoise mais issue du vieux français : « Voilà donc pourquoi Almanzine vous paroissoit avoir l’air grimaud, et les yeux loup-garou ! » (Alain-René Lesage, Achmet et Almanzine, I, IV, 1728). Grimaud est encore attesté chez Littré (1872-77) où l’adjectif est ainsi défini : « Qui est d’humeur chagrine, maussade. »

L’étymologie de grimaud est le francique °grima, « masque ». Entre autres significations aujourd’hui tombées dans l’oubli, Littré nous précise que grimaud est l’un des noms vulgaires de la chouette.

C’est le surnom que grand-mère donnait à toutes les femmes qui font marcher leur monde (et plus particulièrement leur mari) à la baguette, qui aiment commander :

« Caroline. Oh ! maman, sois tranquille, nous saurons bien nous en tirer, si Victor surtout veut me laisser faire.

Victor. Oui, cela ira à merveille pourvu que Caroline ne se mêle pas de faire sa Marie j’ordonne. »

(Victor Cholet, La soirée, scène I, in Petits proverbes dramatiques à l’usage des jeunes gens, 1837.)

Au XIXe siècle apparut faire sa demoiselle j’ordonne, appliquée à une petite fille qui veut tout régenter.

L’expression est au nombre de celles qui déclinent le très répandu prénom Marie pour dénoncer le trait dominant (moral ou physique) d’une femme : Marie-couche-toi-là (voir infra), Marie-bon-bec, « femme bavarde un peu forte en gueule », nous dit Alfred Delvau (1866). Charles Virmaître (1894) mentionne aussi Marie-sac-au-dos, « femme toujours prête », Marie-pique-rempart, « femme qui rôde la nuit sur les remparts, aux environs des postes de soldats ».

« Ce pelé, ce galeux, d’où venait tout leur mal »
(La Fontaine, Les Animaux malades de la peste, fables, VII, I).

Être méchant (ou mauvais) comme la gale, c’est être très méchant. Produite par un acarien (sarcopte) qui creuse des galeries dans la peau pour y déposer ses œufs, la gale est une maladie particulièrement contagieuse qui provoque d’insupportables démangeaisons. On comprend qu’elle soit qualifiée de mauvaise ou méchante et qu’elle soit, dans l’expression, le symbole de ce qu’il faut fuir. En l’occurrence, le mal est trois fois présent : chez celui qui en est atteint, chez celui qui l’attrape et dans la maladie elle-même. On dit aussi Mauvais comme une teigne, autre maladie très contagieuse, dermatose du cuir chevelu produite par des champignons microscopiques, à l’origine de pelades.

Ces expressions apparurent au XIXe siècle mais d’autres désignèrent dès le XVIIe siècle ce (ou ceux) dont il faut éviter la compagnie : « Qui se sent galeux, qu’il se gratte » et « cela tient comme teigne » (Oudin, 1640).

As-tu fini de melouner !

« Entre les dents, boun’gen ! sais pas ce qu’a meloune »

(Jean-Henri Burgaud des Marets, Fables et Contes en patois saintongeais, 1849).

En Vendée et dans les Charentes, on meloune quand on chantonne la bouche fermée. Il est probable que l’on imite ainsi le bourdonnement du … bourdon (le mot « bourdon » est d’ailleurs une onomatopée) que l’on appelle melon dans ces mêmes régions, peut-être parce qu’il cherche le miel (mel en latin).

Melouner signifie aussi « grommeler, ronchonner ».

Mon frère avait cette habitude, pendant qu’il s’affairait à une occupation captivante, d’exprimer sa joie de vivre en melounant (chantonnant) toutes sortes d’airs qu’il improvisait plus ou moins. Cela avait le don d’énerver grand-mère qui se mettait elle aussi à melouner (ronchonner) : « As-tu bientôt fini de melouner ? »