En prendre plein les mirettes
« On en prend plein les mirettes ! » s’exclamait grand-mère pendant le bouquet d’un feu d’artifice ou au pied d’un sapin de Noël illuminé, mettant ainsi des mots sur notre émerveillement.
« Émerveillement » et mirettes ont d’ailleurs une étymologie commune, le latin mirus, « étonnant, merveilleux » que l’on retrouve dans le verbe mirari, « s’étonner, admirer » (à l’origine de « mirer ») et l’adjectif mirabilis, mirabilia qui a engendré « merveille ». Les mirettes sont donc les yeux, surtout quand ils permettent de s’émerveiller et manifestent admiration et/ou étonnement : « Il a fait de ces mirettes en découvrant son cadeau ! »
Le mot fut employé à partir de la fin du XIXe siècle dans « l’argot des voyous », pour Delvau (1866), celui « des voleurs », pour Virmaître (1894), souvent précédé de « belles » comme dans la chanson de Vincent Scotto :
Esnault (1965) mentionne l’expression « avoir du sommeil plein ses mirettes ».
En amoureux du bel argot, Pierre Perret utilise souvent le mot dans ses chansons, comme dans Marina : « Ils te prendraient pour la Sainte Vierge / Tes belles mirettes et tes vingt berges ».
Avoir du sang de navet (dans les veines)
Jugement définitif quand nous manquions de courage (pour descendre seuls à la cave, par exemple) ou de force (quand nous échouions, autre exemple, à desserrer le couvercle d’un bocal de confiture). Nous en concluions, incrédules, que les légumes avaient du sang (blanchâtre pour le navet) et qu’à la faveur de leur ingestion celui-ci passait dans nos veines. Autre conséquence, qui nous plaisait davantage car nous avions les navets en horreur, ne pas en manger nous empêchait ipso facto d’anémier plus avant notre bravoure et notre vigueur.
L’expression semble ne pas être apparue avant le début du XXe siècle.
Expliquant aussi la genèse de l’expression, d’autres connotations négatives associées au légume existent ou ont existé : œuvre d’art sans valeur ni intérêt (par analogie avec la fadeur du navet[9]), pet sonore (le navet provoque des flatulences), interjection signifiant « non ! », ces deux dernières acceptions étant répertoriées par Delvau (1866).
Avoir les nerfs en pelote
C’est la manifestation d’un agacement, d’une irritation extrême. Datée de 1901 (dans L’Argot au XXe siècle d’Aristide Bruant, à Colère), l’expression se mettre les nerfs en pelote fait partie de toute une liste où le mot nerfs au pluriel est associé aux notions d’exaspération, d’excitation, etc. : taper sur les nerfs, « énerver, irriter », (1816, porter sur les nerfs dans L’Hermite de Guyane d’Étienne de Jouy), un paquet (ou une boule) de nerfs, « personne très nerveuse », avoir les nerfs à fleur de peau, « être irritable », être sur les nerfs, « éprouver une grande tension nerveuse », autant d’états qui peuvent mener à la crise de nerfs (1825, dans la Physiologie du goût de Brillat-Savarin) au cours de laquelle on doit passer ses nerfs sur quelqu’un pour espérer retrouver son calme, etc.
Mener quelqu’un par le bout du nez
Grand-mère disait cela de certain fils ou gendre qui n’avait pas assez de caractère pour s’opposer aux volontés et caprices de sa femme : « Ce grand nigaud se laisse mener par le bout du nez ! »
Mener quelqu’un par le bout du nez, c’est, au sens figuré, le conduire sans effort là où on veut aller : pas besoin de l’attacher, juste le saisir par son appendice nasal !
L’expression existait déjà à la Renaissance sous une forme très proche, mener par le nez : « […] quand vous êtes tous ensemble, vous vous laissez mener par le nez à tels de qui chacun de vous à part ne voudrait pas prendre le conseil en ses privées affaires. » (Jacques Amyot, Caton le censeur, in traduction de Vies des hommes illustres de Plutarque, XV, 1559-65.)
Le bout du nez supplante le simple nez dès 1807 dans un compte-rendu de Il Podesta di Chioggia, opéra d’Orlandi : « Il est amoureux de Rosine, sa servante, qui se moque de lui et le mène comme un sot, par le bout du nez » (Mémorial dramatique, ou Almanach théâtral, pour l’an 1807).
Je m’en bats l’œil
« Après tout, fais comme tu veux ; moi, je m’en bats l’œil ! » Ainsi se traduisait tout le dépit de grand-mère quand on refusait de suivre ses conseils. Aurait-elle été plus vulgaire qu’elle aurait dit : « Je m’en tamponne le coquillard ! », le coquillard étant un dérivé argotique de « coquille », métaphore pour désigner l’anus. S’en tamponner le coquillard est donc synonyme de « s’en torcher ». Pourtant (mais grand-mère l’ignorait) s’en battre l’œil fait allusion à la même partie de l’individu : Le Roux, par exemple, nous précise que l’œil est une image « pour le trou du fondement, l’anus » et il compare S’en battre l’œil à « S’en battre les fesses ». La Fontaine et La Champmeslé ne devaient pas mieux que grand-mère saisir le sous-entendu en faisant dire à Blaise Bouvillon : « Je m’en bats l’œil. Suis-je un comédien ? Qu’un autre fasse mieux » (Ragotin ou Le Roman comique, IV, VII, 1684). Aujourd’hui, encore plus vulgairement, on se bat (toujours virtuellement) une autre partie anatomique quand on prétend se moquer de quelque chose, ou l’on dit, toujours avec autant de finesse, qu’on n’en a rien à secouer.
Il est un peu olé-olé
Ou ollé-ollé. Celui que grand-mère qualifiait ainsi était plutôt fantasque, peu sérieux, inconséquent, aimant la plaisanterie, ne censurant jamais ses propos, bref, quelqu’un de libre (trop libre ?) dans son comportement et son langage.
Petit à petit, l’expression a évolué vers la grivoiserie, olé-olé qualifiant alors histoires ou attitudes libertines, égrillardes, à assortir d’un carré blanc.
Cet olé-olé nous vient d’outre-Pyrénées, de l’exclamation olé ! (¡ole !), bravo débridé par lequel les fêtards espagnols manifestent leur joie et leur approbation, ou qui ponctuent les corridas quand les aficionados saluent les passes du torero.
9
Claude Duneton (2001) explique l’origine de ce navet par « navet épluché » ou « navet ratissé », surnoms que les jeunes artistes français d’avant la Révolution auraient donnés à l’Apollon du Belvédère lors de leur séjour culturel à Rome. Pour ces artistes contestataires, cette œuvre n’avait (navet ?) rien d’un chef-d’œuvre.