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Ne pas demander son reste

La locution est répertoriée dans la première édition (1694) du Dictionnaire de l’Académie française : « On dit qu’un homme ne demande pas son reste, s’en va sans demander son reste, pour dire qu’ayant reçu quelque mauvais traitement il se retire promptement de crainte de pis. » Le Grand vocabulaire françois de 1773 précise : « Mauvais traitement de fait ou de paroles. » Le contexte en est souvent une correction que l’on inflige à un vaurien :

« […] je me suis foulé le genou.

— Vraiment ?

— D’honneur ! Heureusement pour le maraud, car je ne l’aurais laissé que mort sur la place, je vous en réponds.

— Et qu’est-il devenu ?

— Oh ! Je n’en sais rien ; il en a eu assez, et il est parti sans demander son reste. »

(Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires, vol. 1, ch. XXV, 1844.)

Le reste en question fait ironiquement allusion à la somme d’argent que l’on vous doit.

L’allusion est plus explicite dans cette autre expression, partir sans attendre la monnaie, qui reprend l’idée contenue dans rendre à quelqu’un la monnaie de sa pièce, « lui rendre la pareille, en termes de coup bas ou d’insulte ».

R majuscule ou minuscule ?

Je crus longtemps qu’en disant de quelqu’un qu’il avait joué ripe, comprenons, qu’il avait fichu le camp, on faisait allusion à Rip, opéra-comique en trois actes de Robert Planquette, dont mon père, baryton amateur, chantait souvent le fameux « air de la paresse ». Planquette composa l’œuvre en 1884 d’après une pièce de Boucicault, elle-même adaptée du roman Rip Van Winkle de Washington Irving. Il est vrai que le personnage éponyme part dans les montagnes pour fuir sa marâtre de femme. Fausse piste étymologique ? Pas si sûr. Esnault (1965) nous dit que dans l’argot du théâtre américain, jouer (to play) Rip Van Winkle, c’est « faire relâche ». Il semble cependant plus probable que jouer rip soit construit d’après riper, synonyme familier de « partir, s’en aller ». Toujours selon Esnault, faire la ripe signifiait « partir rapidement » dans l’argot des ouvriers. Delvau (1866) et Virmaître (1894) donnent à riper le sens d’ « embrasser furtivement ».

Il ne faut pas être plus royaliste que le roi

C’était pour grand-mère une exhortation à nous contenter de ce que nous avions mais le véritable sens du précepte nous parle plutôt de zèle : celui dont font preuve tous ceux qui, par leurs opinions, veulent aller plus loin que leur chef de file. C’est en effet dans un contexte politique que l’expression vit le jour, comme nous le rappelle Chateaubriand : « La grande phrase reçue, c’est qu’il ne faut pas être plus royaliste que le roi. Cette phrase n’est pas du moment ; elle fut inventée sous Louis XVI : elle enchaîna les mains des fidèles, pour ne laisser de libre que le bras du bourreau » (De la monarchie selon la charte, deuxième partie, ch. XLI : La faction poursuit les royalistes, 1816).

Je te vois venir avec tes gros sabots

Nous montrions-nous plus tendres qu’à l’habitude, avec force câlins et bisous, que grand-mère, par cette affirmation, nous montrait qu’elle n’était pas dupe. Pour sûr, notre soudaine gentillesse ne la trompait pas le moins du monde : elle lisait dans nos ruses comme dans un livre ouvert. Autant dire que nos intentions étaient cousues de fil blanc. Avec des gros sabots, on marche en effet sans discrétion, leur claquement prévenant tout le monde de notre arrivée.

Dans ses Prologues tant sérieux que facétieux (1610), Jean Gracieux, alias Bruscambille, comédien de l’Hôtel de Bourgogne, critique ainsi les attentes des spectateurs en matière d’effets que l’on qualifierait aujourd’hui de « spéciaux » : « Quant aux feintes, je vous entends venir, vous avez des sabots chaussés ; c’est qu’il faudrait faire voler quatre diables en l’air, vous infecter d’une puante fumée de foudre, et faire plus de bruit que tous les armuriers de la rue de la Heaumerie. »

C’est une façon bien imagée de dire « s’en aller discrètement, filer à l’anglaise » ou encore « jouer ripe » (voir supra). L’expression est nordique, utilisée à Valenciennes et, dans la forme « saint Fous-le-camp », à Cambrai. Je crois bien cependant l’avoir entendu dire à ma grand-mère saintongeaise : importation datant de la Grande Guerre ?

Parmi les quelque 3 000 chansons composées par Albert Willemetz (1887–1964), il en est une, éloquemment intitulée Sur la route de Saint-Foulcamp et ironiquement sous-intitulée « chanson de route et de déroute », qui fait allusion à la retraite de l’armée franco-britannique pendant la bataille de la Somme à l’été 1916.

Foulcamp, saint fantaisiste qui est censé protéger les péteux et les couards, est une belle trouvaille de l’imagination populaire, au même titre que saint Lambin, qui veille sur les nonchalants, que sainte Caquette sous l’égide de laquelle se placent les bavardes, etc.

Avoir la danse de Saint-Guy

C’est d’abord un mal qui, au Moyen Âge, frappa une grande partie de l’Europe. Des convulsions, des mouvements saccadés, désordonnés et involontaires en étaient les symptômes les plus spectaculaires. On avait cru remarquer que la maladie gagnait en intensité à mesure que l’on se rapprochait du 15 juin, fête de saint Guy (ou saint Vit). On en conclut le saint responsable et on se mit à l’invoquer pour obtenir la guérison de ce mal endémique.

Saint Guy est présenté par l’hagiographie comme un enfant d’une douzaine d’années, originaire de Lucanie (ancienne région d’Italie). Il aurait accompli des miracles, guérissant notamment de l’épilepsie le fils de Dioclétien, ce qui n’empêcha pas le cruel empereur, persécuteur des chrétiens, de le martyriser vers 303. On l’invoque contre la morsure des animaux venimeux, la léthargie et, bien sûr, la danse de Saint-Guy, pathologie aujourd’hui connue sous le nom de « chorée », du grec khoros, « troupe de danseurs » (que l’on retrouve dans « chorégraphie »). La danse de Saint-Guy est aujourd’hui devenue rare mais l’expression était encore employée par grand-mère pour se moquer de nous quand, par jeu, nous nous mettions à gigoter dans tous les sens : « As-tu attrapé la danse de Saint-Guy ? »

As-tu fini de me seguer ?

Manière régionale de dire : « As-tu fini de me suivre, d’être toujours sur mes talons ? » Les glossaires du Poitou, de Saintonge et de l’Aunis donnent deux autres infinitifs : sègre et sigre. L’étymologie est le latin sequi, « suivre », qui a donné le français « suivre » (via le bas latin sequere), l’espagnol seguir, et l’italien seguire dont la forme segue, proche de notre variante saintongeaise, se lit sur les partitions musicales pour indiquer que l’on doit jouer ce qui suit comme on a joué ce qui précède.