Une personne bien comme il faut
Grand-mère parlait ainsi de son vieil ami d’enfance, petit monsieur vieille France, toujours élégant, poli, travailleur, honnête, avec une bonne situation, etc. Bien comme il faut signifiait pour elle le summum de la bienséance, du correct, du recommandable.
Notons que dans la bouche de grand-mère, bien comme il faut était supérieur au simple comme il faut qui, lui, ne dépasse pas le « juste convenable ».
Appréhendée globalement, l’expression comme il faut est, depuis le XVIIIe siècle, utilisée, non plus comme adverbe, mais bien en tant qu’adjectif qualificatif, chez Stendhal, par exemple en 1830 dans Le Rouge et le Noir : […] « tout le monde ici va vous appeler monsieur, et vous sentirez l’avantage d’entrer dans une maison de gens comme il faut […] » (vol. 1, ch. VI). Le journaliste Eugène Chapus publie même en 1855 (sous le pseudonyme de M. le vicomte de Marennes) un Manuel de l’homme et de la femme comme il faut, paru dix-huit ans plus tôt sous le titre Théorie de l’élégance.
CUPIDON
Il y a anguille sous roche
Tel croit guiller Guillot que Guillot guille. Cet ancien proverbe que nous rapporte Littré utilise un verbe au moins tout aussi ancien, guiller, signifiant « tromper, séduire ». Le sens de guiller subsiste probablement dans guilledou et peut-être aussi dans guilleret, mots où … s’insinuent des connotations égrillardes, surtout si l’on évoque le sens particulier que guiller revêt en Poitou : « se glisser, se faufiler ». Pierre Guiraud (1982) fait référence à guiller pour expliquer notre anguille sous roche. Il est plausible que la symbolique sexuelle de cette visiteuse de la mer des Sargasses — la familière anguille de caleçon en est une belle illustration — se soit aussi faufilée dans la genèse de notre expression. La localisation sous roche correspond à une réalité zoologique : l’anguille en effet se réfugie volontiers dans des crevasses pour se protéger de la lumière du jour.
Guiller, guilledou, faufilage, insinuation au propre et au figuré, autant d’éléments pouvant rendre compte du sens vraisemblablement premier de il y a anguille sous roche, expression évoquant les soupçons que l’on nourrit notamment à propos d’une liaison sentimentale tenue secrète. Tel est le cas, par exemple, dans Le Bourgeois gentilhomme quand Nicole dit à Mme Jourdain, après avoir appris que M. Jourdain, avec la complicité de Dorante, aspire à « toucher le cœur » de sa « belle marquise » : « Ma foi, madame, la curiosité m’a coûté quelque chose ; mais je crois qu’il y a quelque anguille sous roche, et ils parlent de quelque affaire où ils ne veulent pas que vous soyez » (Molière, Le Bourgeois gentilhomme, acte III, scène 7, 1670). La locution a pris un sens plus général : « Pour entreprise qui se trame sous main, conspiration cachée et secrète, dessein ou fourberie concertée en cachette », selon la jolie définition de Philibert-Joseph Le Roux (1735).
Avoir le béguin
« J’ai bien vu les yeux doux que tu lui faisais : tu as le béguin pour elle ! » me disait grand-mère en se moquant gentiment d’une amourette naissante. Elle disait aussi : « Tu en pinces pour elle. »
L’expression avoir le béguin est le résultat d’une évolution en trois étapes.
Étape n°1 : fondation au XIIe siècle à Liège d’une communauté de religieuses : les béguines. Ces moniales se consacraient à Dieu sans prononcer de vœux perpétuels. Béguine peut être issu de °beggen, « réciter des prières » en moyen néerlandais (cf. l’anglais to beg).
Étape n°2 : ces religieuses portaient une coiffe qui reçut, par métonymie, le nom de béguin, mot qui s’appliqua ensuite à toutes sortes de coiffes attachées sous le menton.
Étape n°3 : rencontre de l’expression se coiffer d’une femme, « en devenir amoureux » (attestée chez Oudin en 1640) avec « être coiffé d’un béguin ». Être embéguiné prend alors le sens de « tomber amoureux », « se laisser prendre aux charmes de ».
Dernière étape : être embéguiné est concurrencé par avoir le béguin, expression qui va connaître une faveur toute particulière à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.
Elle tient mieux sur le dos qu’une bique sur ses cornes
Les filles faciles ont toujours eu mauvaise réputation, surtout avant que se produise la libération des mœurs. Cette émancipation n’était pas encore advenue du temps de nos grands-mères et, la vieille morale chrétienne assimilant les filles libérées à des catins, bien des moqueries couraient sur celles qui n’étaient pas « comme il faut ». Elles avaient droit aussi aux surnoms les plus méprisants (voir infra Une Marie-couche-toi-là).
Elle tient mieux sur le dos qu’une bique sur ses cornes, disait… mon grand-père (jamais de la vie grand-mère ne se serait permis un tel écart de langage !) de telle drôlesse dont le comportement olé-olé défrayait le Landerneau local. La comparaison, peu flatteuse, aurait de quoi faire bondir les féministes. Qui plus est, bique est parfois employé péjorativement pour « femme » ou « jeune fille » : une « vieille bique » est une femme méchante, une « grande bique », une grande jeune fille maigre. Abandonnons donc ces plaisanteries d’un autre âge, désormais politiquement incorrectes.
Vaut mieux être cocu que ministre, on n’assiste pas aux séances
Autre expression de grand-père. Préférer le cocufiage à un portefeuille ministériel a de quoi surprendre. La raison invoquée nous éclaire-t-elle sur ce qu’il pensait des charges ministérielles en particulier et des hommes politiques en général[10] ? Je crois plutôt qu’il ne résistait pas à l’envie de faire un bon mot et participait de bon cœur à cette grivoiserie franchouillarde qui, depuis la nuit des temps, fait des maris cocus un sempiternel vaudeville. À propos, saviez-vous pourquoi cocu vient de « coucou » ? Deux bonnes raisons à cela : d’une part, la femelle pond ses œufs dans le nid d’oiseaux étrangers, d’autre part, le mâle se désintéresse de sa progéniture et n’a pas l’instinct de vivre en couple.
Dormir à l’hôtel du cul tourné
L’hôtel du cul tourné va généralement de pair avec la « soupe à la grimace » (voir supra) : cette manière pour un couple de dormir dos à dos est la suite logique d’une scène de ménage : « Il a été obligé de se faire violence pour paraître ferme, ils se sont couchés fâchés et elle a dormi à l’hôtel du Cul Tourné » (Anna Gavalda, L’Échappée belle, 2001).