Une Marie-couche-toi-là
Du temps de grand-mère, la morale judéo-chrétienne vouait encore les pécheresses aux flammes de l’enfer et, bien que Jésus ait pardonné les péchés de Marie Madeleine, l’opprobre que suscitaient les femmes faciles (« trop facile », ajoute Delvau en 1866) s’exprimait par bien des noms d’oiseaux : « C’est une traînée, une chienne, une dévergondée, une catin, une roulure, une pute. » Grand-mère parlait plutôt de Marie-couche-toi-là, qualificatif plus imagé, moins vulgaire et moins violent.
On a vu qu’en langage populaire le prénom Marie entre dans plusieurs expressions désignant le trait physique ou moral dominant chez une femme (voir supra, Une Marie-j’ordonne). Marie-couche-toi-là (avec « m » majuscule ou minuscule) en fait partie.
« Les fleuristes, murmura Lorilleux, toutes des Marie-couche-toi-là.
— Eh bien, et moi ! reprit la grande veuve, les lèvres pincées. Vous êtes galant. Vous savez, je ne suis pas une chienne, je ne me mets pas les pattes en l’air, quand on siffle ! »
Faire du plat à quelqu’un
« Ma parole, il t’a fait du plat ! » s’amusait grand-mère quand maman s’était un peu trop attardée à parler avec un voisin ou un commerçant. L’équivalent « il t’a fait la cour » aurait été trop « prout-proute ma chère » et « Il t’a conté fleurette », trop archaïque.
Faire du plat ? Est-il question de cuisine, d’un plat aux petits oignons qu’un galant vous servirait en faisant le joli cœur ? Pas du tout, le plat serait ici la variante abrégée du plat de la langue présent dans une ancienne locution, donner du plat de la langue, ainsi définie par Oudin (1640) : « Flatter, parler avec éloquence. » Claude Duneton (2001) voit plutôt dans ce plat un raccourci de platine, terme d’argot mentionné chez Delvau (1866) avec cette signification : « Faconde, éloquence gasconne » et illustré par « Avoir un fière platine. Parler longtemps ; Mentir avec assurance. » D’Hautel (1808) avait déjà relevé platine comme synonyme de « bonne langue », « voix forte », « gosier rustique », précisant, « Il a une bonne platine, se dit d’un grand babillard ». Lorédan Larchey (1855) assimile platine à « bagou ».
Bref, selon les cas, celui qui fait du plat à une femme est un beau parleur, un fieffé baratineur ou un sacré bonimenteur.
Avoir un polichinelle dans le tiroir
L’expression se trouve chez Lorédan Larchey (1855) avec cette citation d’Émile Villars : « Sais-tu ? lui dit sa femme, je crois avoir un polichinelle dans le tiroir. Le mari comprend, la femme est intéressante. » (Voir infra, être dans une situation intéressante).
Avoir un polichinelle dans le tiroir, c’est un équivalent comique et quelque peu irrévérencieux pour « être enceinte ». Plutôt que le personnage querelleur, balourd, ridicule et vantard de la commedia dell’arte (Polichinelle s’écrirait dans ce cas avec une majuscule et ne serait pas précédé de l’article), c’est la marionnette, bossue derrière et devant, coiffée d’un tricorne, que l’expression évoque. On trouve Polichinelle dans Un secret de Polichinelle, le personnage, parlant à tort et à travers, est en effet incapable de garder un secret. On peut d’ailleurs se demander si l’idée de quelque secret honteux, qu’on ne peut dissimiler bien longtemps, n’est pas connotée dans Avoir un polichinelle dans le tiroir.
Courir la prétentaine
C’est une autre façon de courir le guilledou (voir supra), donc « être toujours en quête d’escapades, d’aventures amoureuses ». Avant de revêtir ces connotations érotiques, l’expression n’a rien signifié d’autre qu’« aller par monts et par vaux, courir çà et là, sans but ». La notion de gaudriole n’est attestée qu’au XVIIIe siècle chez Furetière (1690) et ne concerne, semble-t-il, que les femmes : « PRÉTENTAINE. Terme burlesque, qui ne se dit qu’en cette phrase proverbiale : ils ont été tout le jour courir la prétentaine ; pour dire, ils sont allés deçà et delà, sans dessein. On dit qu’une femme court la prétentaine, pour dire, qu’elle fait des promenades, des voyages contre la bienséance, ou dans un esprit de libertinage. »
Bourde courante : prétentaine est déformé en « prétrentaine », comme s’il s’agissait d’une fantaisie qui vous prend avant votre trentième année. D’après Furetière qui cite Virgile à l’appui de son explication, prétentaine viendrait du « bruit que font les chevaux en galopant ». Bloch et Wartburg confirment en rapprochant prétentaine de pretintaille, mot normand signifiant « collier de cheval garni de grelots ». Ajoutons que pretintaille a aussi désigné aux XVIIe et XVIIIe siècles un ornement que les femmes mettaient sur leurs robes. Dans le Perche et le Morvan pertintaille signifie « bibelot », « fanfreluche », « bagatelle ». Curieuse coïncidence lexicale : « bagatelles » (au pluriel) a eu le sens d’ « amourette » et aujourd’hui la « bagatelle » c’est, familièrement, l’amour physique.
Jouer les sainte-nitouche
« Les uns cryoient : Saincte Barbe !
Les aultres : Sainct George !
Les aultres : Saincte Nytouche ! »
C’est dans le chapitre XXVII du Gargantua de Rabelais (1534) que sainte Nytouche apparaîtrait pour la première fois. Elle s’y trouve en bonne compagnie : sainte Barbe, patronne des artilleurs et des canonniers (qui a donné son nom au magasin à poudre sur un navire) et saint Georges, patron des cavaliers. Sainte Nitouche (on a dit aussi « sainte Mitouche ») symbolise les fausses prudes qui affectent la vertu et l’innocence alors que tout le monde sait bien leur penchant pour la bagatelle. Son nom est malicieusement forgé sur l’expression « n’y pas toucher » ou « n’y touche pas » que l’on peut comprendre de deux façons : une interdiction à celui qui voudrait tenter sa chance (« bas les pattes ! ») ou un certificat de bonnes mœurs pour la demoiselle qui ne saurait « manger de ce pain-là » (« je ne suis pas celle que vous croyez ! »). Tout semble indiquer que ce diable d’Alcofribas Nasier (anagramme forgé par et pour François Rabelais) serait le créateur de sainte Nitouche.
Être dans une situation intéressante