Expression synonyme, plus récente et nettement moins décente, « comme la vérole sur le bas clergé », clergé que l’on a qualifié d’abord d’ « espagnol » puis de « breton ».
Manger les pissenlits par la racine
Bien qu’il soit imprévisible, le destin nous assure tous de ce repas souterrain et post-mortem.
Le pissenlit fut autrefois baptisé dent-de-lion et encore aujourd’hui dans bien des langues (latin dens leonis, anglais dandelion, italien dente di leone, portugais dentedileão, allemande Löwenzahn, etc.) à cause de la forme caractéristique de ses feuilles mais, en français, ce sont ses vertus diurétiques qui lui ont donné son deuxième nom : pissenlit (d’abord « pisse-en-lit », dès le XVe siècle) car, bue en bouillon, la plante peut faire pisser au lit. Parce qu’elle est commune dans tous les jardins, tous les champs, toutes les prairies, tous les terrains, y compris les cimetières, la plante s’est retrouvée dans l’expression on ne peut plus imagée manger (bouffer) les pissenlits par la racine, « être mort et enterré ». Il semble que Victor Hugo soit le premier à l’avoir mentionnée, dans sa présentation du gamin de Paris : « Il a ses jeux à lui, ses malices à lui dont la haine des bourgeois fait le fond ; ses métaphores à lui ; être mort, cela s’appelle manger des pissenlits par la racine […] » (Les Misérables, tome III, livre premier, chapitre II, 1862).
Entre quatre planches
De temps en temps, grand-mère, lasse de tracas trop souvent répétés, aspirait à un repos véritable qu’elle ne connaîtrait, se lamentait-elle, qu’entre quatre planches, c’est-à-dire, et bien qu’il en faille au minimum six pour le construire (cette incohérence m’a toujours intrigué), dans un cercueil.
Notons que l’expression sert justement de titre au chapitre VI du huitième livre des Misérables, Jean Valjean échappant à Javert par le subterfuge d’une fausse inhumation, et Hugo de faire ce commentaire : « Les quatre planches du cercueil dégagent une sorte de paix terrible. Il semblait que quelque chose du repos des morts entrât dans la tranquillité de Jean Valjean. »
Ça lui passera avant que ça me reprenne
Quand, adolescent, il m’arrivait, par exemple, de rentrer tard le soir, mes parents s’inquiétaient de mes escapades. Grand-mère alors les rassurait d’un : « Ne vous en faites pas. Ça lui passera avant que ça me reprenne ! » Était-ce la voix de l’expérience, elle qui, disait-on, avait toujours eu la vie rangée d’une petite fille modèle ?
L’expression, apparue au début du XXe siècle, sous-entend en effet que l’on en est déjà passé par là et que, comme toutes les folies de la jeunesse, celle dont on fait grief aujourd’hui, disparaîtra bien un jour. Ça me revienne remplace parfois ça me reprenne comme chez Jean Giono dans Regain (1930) : « Tu veux que je la laisse ? — Non, mais c’est pour dire. Tu es un bandit, Gédémus ; tu ne peux plus vivre sans cette femme. — Ah ! tu te fais des idées. À mon âge… ça te passera avant que ça me revienne. Tu ne vois pas que je lui fais traîner la voiture ? »
FÂCHEUX
Quelle plaie !
Quand grand-mère parvenait à se débarrasser d’un gêneur qui lui avait trop longtemps tenu la jambe et le crachoir, elle accompagnait son ouf de soulagement d’un catégorique : « Quelle plaie, celui-là ! Dieu me préserve de tels casse-pieds ! » L’expression est toujours de mise mais avons-nous conscience de la référence biblique qu’elle contient implicitement, à savoir les dix plaies d’Égypte, catastrophes que Dieu fit s’abattre sur le pays de Pharaon pour inciter celui-ci à libérer le peuple d’Israël ? L’Exode, dans ses chapitres 7 à 12, nous énumère ces dix fléaux : l’eau du Nil changée en sang, le pullulement de grenouilles, l’invasion de moustiques, la vermine, la peste du bétail, les furoncles, la grêle, la pluie de sauterelles, les ténèbres, la mort des premiers-nés égyptiens.
Le mot « plaie », du latin plaga, « coup mortel », est de même étymologie que le verbe « plaindre », l’anglais plague, « fléau, plaie, mais aussi peste », ou l’allemand Plage, « calamité, tourment ».
Quel pot de colle !
Pour sûr, cet importun ne vous abandonne pas, hélas, si facilement et vous voudriez bien pourtant qu’il vous lâchât les basques, ou, forme actuelle dérivée, les baskets. En ce sens, quel pot de colle ! équivaut à quelle plaie ! (voir ci-dessus). Grand-mère pourtant employait l’interjection dans une tout autre circonstance : quand, en mal de tendresse, je l’embrassais comme du bon pain et qu’elle tentait de desserrer ma trop étouffante étreinte : « T’es un vrai pot de colle ! » J’étais coutumier de ces débordements d’affection, au point que mon frère aîné m’avait gentiment surnommé « La Glu ».
Pot de colle est souvent employé comme adjectif (« Ta copine, elle est un peu pot de colle ! »), emploi « vedettisé » en 1977 par le film de Philippe de Broca : Julie pot de colle.
Ton père n’est (n’était) pas vitrier
On connaît l’anecdote d’Alexandre le Grand qui, de passage à Corinthe, voulut rendre visite à Diogène de Sinope dont la réputation était parvenue jusqu’à lui. Arrivé devant le tonneau où le philosophe prétendait vivre comme un chien, Alexandre, qui aimait la philosophie pour avoir été l’élève d’Aristote, se fit grand seigneur : « Demande-moi ce que tu veux, dit-il au vieil homme, et tu l’auras. » Diogène répondit simplement : « Ôte-toi de mon soleil ! » On peut se demander qui, des deux personnages, faisait vraiment de l’ombre à l’autre. Si Diogène avait vécu de nos jours, la repartie aurait pu être : « Bouge de là ! Tu n’es pas transparent » ou encore : « Eh ! Ton père n’est pas vitrier ! », plaisanterie bienvenue pour faire comprendre à un enquiquineur qu’il est dans notre champ visuel, l’espèce de ces fâcheux qui se croient seuls au monde n’étant malheureusement pas en voie d’extinction.
FAMILLE
Qui baise berce
Merci au beau-frère qui m’a fait connaître cette formule qui vaut tant par sa brièveté que par son allitération : bè-bè. Compte tenu du premier verbe, elle appartient plus logiquement à un langage grand-paternel que grand-maternel. De bébé, il en est effectivement question, celui que la fille (ou belle-fille) a mis au monde et qu’elle voudrait bien faire garder par les parents (ou beaux-parents) le temps, par exemple, d’un week-end en amoureux. Pourtant, si « lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris », comme l’écrit Victor Hugo dans Les Feuilles d’automne, la liesse familiale ne va pas toujours jusqu’à vouloir jouer les nounous pendant que les parents se payent du bon temps. Qui baise berce n’admet donc pas de réplique : « Vous avez fait un enfant, vous devez vous en occuper ! »