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Pauvre comme Job

Selon un manichéisme d’une aimable naïveté, grand-mère avait tendance à diviser la société entre les « riches comme Crésus » (ceux qui ont la bourse au roi de Chine) et les pauvres comme Job, se rangeant un peu exagérément dans cette seconde catégorie.

Job est un patriarche biblique dont le nom signifie « haï » en hébreu. Bien qu’il incarne l’homme juste, il est victime des multiples malheurs que Satan lui envoie et, du « plus grand des fils de l’Orient », il devient le plus démuni des serviteurs de Dieu : « Mes soupirs sont ma nourriture, et mes cris se répandent comme l’eau. Ce que je crains, c’est ce qui m’arrive ; ce que je redoute, c’est ce qui m’atteint. Je n’ai ni tranquillité, ni paix, ni repos, et le trouble s’est emparé de moi » (Job, III, 24–26). Ainsi se plaint-il dans le livre de l’Ancien Testament qui porte son nom (le premier des Livres poétiques). Pauvre, Job l’est donc devenu, assurément, d’un point de vue moral tout autant que matériel puisque la tradition le représente nu sur un fumier, mais il continue pourtant de croire en la perfection divine. « Quand vous auriez tous les sceptres, toutes les couronnes, l’empire de l’univers, si vous n’avez pas Dieu, vous n’avez rien ; et quand vous seriez sur le fumier comme Job, si vous avez Dieu, vous avez tout », nous dit le prédicateur Jean-Baptiste Massillon (1663–1742) dans son Sermon pour le jour de Pâques. Force est pourtant de constater que l’expression Pauvre comme Job ne retient que la déchéance du personnage, non son inébranlable foi !

Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier

« J’ai avisé à tout. Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier ! J’ai des cartouches et des souliers dans un souterrain, un ancien tombeau sous la colline Saint-Michel, à deux pas d’ici… J’ai des balles et de l’eau-de-vie dans trois villages de la côte. J’ai du riz et des gibernes dans les ruines du couvent. J’ai… » (George Sand, Cadio, huitième partie, scène première, 1868). Ainsi s’exprime l’aubergiste et royaliste Rebec dans la pièce que George Sand situe au printemps 1793, pendant l’insurrection contre-révolutionnaire de Vendée. La prudence et la prévoyance du personnage sont affaire de bon sens et rendent parfaitement compte du proverbe qu’il cite : savoir répartir ses biens en plusieurs endroits afin de ne pas se retrouver démuni en cas de coup dur. L’image est explicite : quelle que soit la solidité du panier, s’il vient à tomber, tous les œufs que vous y avez mis seront perdus. De la même manière, le richard qui investit toute sa fortune en une seule société risque fort de se retrouver sur la paille en cas de krach.

Pour grand-mère, bien sûr, il s’agissait plus d’épargne que de spéculation boursière : ne pas placer tous ses œufs dans le même panier revenait à mettre quelques économies sur un livret de l’écureuil et à en échanger d’autres contre quelques napoléons.

Toucher le pactole

Il faut, pour cela, gagner à la loterie ou hériter d’un oncle d’Amérique. « Source d’une fortune, de profits imprévus », telle est, depuis 1800, la signification de pactole.

Pactole (Paktôlos, en grec) fut d’abord le nom d’une rivière (aujourd’hui le Sart Çay) confluant avec l’Hermos dont le nom actuel est Gediz, en Turquie. Le Pactole traversait le royaume de Lydie. La légende nous dit que, sur les conseils de Dionysos, Midas, roi de la Phrygie voisine, s’y lava les mains pour conjurer le vœu qu’il avait bien imprudemment émis et que ce fourbe de Dionysos avait exaucé : transformer en or tout ce que le souverain phrygien touchait… tout, y compris, funeste imprévoyance, aliments et boissons. C’est à la suite de cet épisode que le Pactole se mit à rouler des sables aurifères, ce qui lui valut le surnom de Khrusorrhoas, « fleuve qui roule de l’or ». L’infortune du roi de Phrygie fit la fortune du roi de Lydie qui se trouva vite en possession d’une immense richesse et sous son règne (561–542 av. J.-C.), cette ancienne contrée de l’Asie mineure connut l’opulence. Au fait, quel est le nom du souverain Lydien ? Crésus, bien sûr !

Coucher sur la paille

Coucher sur la paille (l’expression apparaît chez Furetière en 1690) fut autrefois le lot des prisonniers (la fameuse « paille humide des cachots »), des militaires en manœuvres ou encore des moines et moniales entendant suivre la Règle « qui oblige à coucher sur la paille et à faire maigre quatre jours de la semaine et durant l’Avent » (Adrien Augustin de Bussy de Lamet, Germain Fromageau, Dictionnaire des cas de conscience, 1740). Qu’il soit voulu (par mortification religieuse ou ascèse philosophique) ou subi, ce mode de couchage symbolise l’extrême dénuement. Les modèles ne manquent pas, qu’ils soient bibliques (Job sur son fumier, l’enfant Jésus dans la crèche) ou philosophiques (Diogène de Sinope dormant dans une jarre garnie de paille). L’équation « paille = misère » se retrouve dans être sur la paille, « être dans le besoin », finir sur la paille, « mourir dans le dénuement » et mettre quelqu’un sur la paille, « le ruiner ».

Ça ne mange pas de pain

« Fais-nous donc un petit sourire, ça ne mange pas de pain ! » disait grand-mère quand elle me voyait triste.

Cela ne coûte rien et peut faire plaisir ou rapporter un petit quelque chose, tel est en effet le sens actuel de cette locution familière, plus ou moins équivalente de « si ça ne fait pas de bien, ça ne peut pas faire de mal ». L’allusion au pain que l’on mange est évidemment une métaphore de l’argent que l’on dépense, par nécessité, le pain étant la base de l’alimentation. L’expression était déjà mentionnée par Furetière (1690), mais avec une signification plus négative puisqu’il y est question de choses sans intérêt : « On dit aussi, des papiers et autres choses inutiles qu’on garde, Cela ne mange point de pain. »

Gaston Esnault (1965) nous apprend que Manger du pain rouge, c’est « vivre d’assassinats », comme dans cet extrait d’Eugène Sue : « Il m’a fait observer que s’il ne mangeait pas de pain rouge, il ne fallait pas en dégoûter les autres […] » (Les Mystères de Paris, première partie, ch. XII, 1842).

C’est un panier percé

Défaut impardonnable pour grand-mère qui savait économiser jusqu’au moindre bouton de culotte (il faut dire qu’elle était couturière et que sa grosse boîte en fer où elle gardait des boutons de toutes tailles, de toutes formes, de toutes couleurs et de toutes matières était un véritable coffre aux trésors !) : « Comment ! Il ne te reste plus rien de l’argent de poche que ta mère t’a donné ! Tu es un vrai panier percé ! »