Dans son Dégoût du monde (1739), Eustache Le Noble cite la maxime après en avoir fait un commentaire moralisateur : « Il n’y a point de vengeance plus héroïque, que celle qui tourmente l’envie à force de bien faire. Fais bien et tu ne manqueras pas d’envieux ; fais mieux et tu les confondras. L’envie boit elle-même la plus grande partie de son venin. Le secret de tourmenter les envieux, c’est de bien vivre. Il vaut mieux faire envie que pitié » (Maxime 43).
À la bonne franquette
Grand-mère était bonne cuisinière mais ne s’en vantait pas. Quand elle invitait amis ou parents à déjeuner et qu’elle leur avait préparé un superbe repas, elle annonçait avec une modestie un tantinet hypocrite : « Oh, vous savez, je n’ai rien fait d’extraordinaire. À la bonne franquette, comme on dit ! » Suivaient, évidemment, de gastronomiques agapes.
Franquette est de même étymologie que franc, franche, et signifie donc littéralement « en toute franchise » puis, par extension, « sans chichis, en toute simplicité », ce qui, soulignons-le, n’exclu pas que le repas soit copieux et de qualité. Le repas à la bonne franquette n’équivaut donc pas exactement à celui que l’on offre « à la fortune du pot », c’est-à-dire, en s’accommodant des aliments dont on dispose. À la bonne flanquette fut autrefois une variante, sans doute due à une prononciation roulée du « r » initial. Jusqu’à la fin du XVIIIe, on a dit « parler à la franquette », « agir à la franquette », etc. dans le sens de « sans façon, ingénument, franchement » : « Hé ! oui, oui, vous autres grosses dames vous n’allez point tout d’abord à la franquette : vous faites toujours semblant de vous déguiser les choses » (La Fontaine, La Coupe enchantée, sc. II, 1688).
Préparer le frichti
En argot militaire, frichti (fricheti) signifia « festin » (d’abord en 1834 dans le parler lorrain de la Meuse, puis, selon Esnault, en 1855, chez les soldats de Crimée) puis simplement « repas ». Deux hypothèses étymologiques s’affrontent. L’une, très répandue[19], propose une altération de l’alsacien fristick, « petit déjeuner » (issu de l’allemand Frühstück), l’autre, proposée par Pierre Guiraud (1982) y voit un dérivé de « fricotis », à rapprocher de fricot, d’abord « viande en ragoût » puis « repas », dont l’étymologie est le verbe « fricasser », lui-même issu de « frire ». On dit aussi préparer le fricot. Notons que frichti est associé à l’idée de cuisiner, préparer le repas et non à celle de manger.
Faire godaille
Grand-père adorait ça. Quand il ne restait plus que quelques cuillérées de bouillon dans le fond de son assiette (à calotte), il y mélangeait un peu de vin rouge et portait l’assiette à la bouche.
On fait donc godaille en Saintonge et en Vendée comme on fait « chabrot » (ou « chabrol ») dans le Limousin et le Sud-Ouest. « Chabrot » vient de l’occitan cabro, chabro, « chèvre », car on boit le mélange en lapant comme une chèvre. D’ailleurs, on dit aussi en Saintonge « boire à chevrot ».
« Jhe manjhe la soupe, fais ine boune godaille avec dau vin roujhe… » (Évariste Poitevin dit Goulebenéze, Le Chérentais qui manjhe six fouées par jhour).
Godailler a existé en vieux français avec le sens de « boire avec excès et souvent », un godailleur étant celui qui aime à godailler (Littré mentionne les deux mots, godailler étant qualifié de populaire). Faire godaille n’a pas cet aspect péjoratif.
L’étymologie de godaille est l’anglais good ale, « bonne bière », puis « bonne boisson », l’ale étant en Angleterre une bière ambrée, dont la couleur n’est d’ailleurs pas sans rappeler le mélange bouillon et vin. L’expression aurait-elle été adoptée quand la Saintonge fut possession anglaise entre 1152 et 1371 ?
Avoir la goule fine
La goule désigne dans bien des dialectes régionaux la bouche, du latin gula, « gosier, gorge », le mot goulée signifiant « bouchée » ou « gorgée » (voir supra, Toute brebis qui bêle perd la goulée). Le Charentais « bade la goule » quand il est bouche bée (« bader » est de la même famille que « badaud »). Goule peut avoir le sens plus général de visage. Avoir la « goule enfarinée », c’est avoir le sourire béat de celui qui se réjouit à l’avance. Quand donc a-t-on la goule fine ? Quand on a un joli visage mais aussi et surtout quand on est gourmet, friand, capable d’apprécier ce qui est bon, ce qui est gouleyant. L’expression est aussi employée en Normandie. Pardonnez mon chauvinisme mais, phonétiquement, cette goule fine a une autre gueule que « fine gueule ».
Cailler sur le jabot
Si le jabot désigne en français une poche de l’œsophage précédant le gésier et, par extension, la partie de la chemise qui recouvre la poitrine, le même mot signifie, dans le Centre-Ouest, la base du cou, la gorge ou la poitrine. Cailler, c’est se transformer en caillot. L’image est donc celle d’une nourriture que l’on ne réussit pas à digérer (voire à totalement avaler), celle qui vous reste sur l’estomac, vous écœure et vous donne envie de vomir. Ainsi, quand je rechignais à manger ma soupe ou tout autre nourriture que je trouvais peu ragoûtante, grand-mère s’efforçait de m’y contraindre en me disant : « N’aie pas peur, ça ne va pas te cailler sur le jabot ! »
Un pet-de-nonne
Oh le joli bruit que fait la pâte à choux en plongeant dans l’huile de friture grésillante ! Ce doux chuintement explique à lui seul le nom de cette pâtisserie sans qu’il soit nécessaire de le justifier par une anecdote[20].
Le pet-de-nonne était la gourmandise traditionnelle de Mardi gras ou de la Chandeleur, en alternance avec les traditionnelles crêpes. Grand-mère les réussissait à merveille et j’aimais voir les petites boules de pâte se retourner toutes seules dans le bain de friture, comme par magie, quand le côté immergé était doré à point. J’avais pour mission de les retirer et de les saupoudrer de sucre. Le plus difficile était alors d’attendre que ces pets soient suffisamment refroidis pour me jeter dessus comme la misère sur le pauvre monde.
Mange ton poing et garde l’autre pour demain
« Grand-mère, j’ai (encore) faim !
— Eh bien, mange ton poing et garde l’autre pour demain ! »
C’était le genre de réponse qui me mettait hors de moi. D’autant que je ne savais pas moi-même quoi répliquer à une telle « faim » de non-recevoir. Du coup, je l’aurais bien mangé, mon poing… de rage ! Manger son poing, c’est ce que font les bébés quand la tétée se fait attendre. Fallait-il que je sois considéré comme un nourrisson que l’on ne nourrit pas, du moins pas assez ?
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Delvau (1866) confirme cette hypothèse mais l’associe plutôt à l’argot des ouvriers qu’à celui des militaires : « Ragoût aux pommes de terre, — dans l’argot des ouvriers, qui prononcent à leur manière le
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Dans sa