Se retenir en se mordant le poing pour ne pas exploser quand, insatisfait d’une situation et malgré force protestations, on ne réussit pas à obtenir gain de cause, telle serait l’idée d’abord contenue dans l’expression que d’aucuns prétendent marseillaise.
Elle connut un certain succès au XIXe siècle.
Un goût de revenez-y
On dit aussi parfois un goût de reviens-y.
Bien des mets ont ce goût si vous avez « la goule fine » (voir supra) : un civet de chevreuil sauce grand veneur, un coq au chambertin, une éclade de moules ou des escargots à la saintongeaise (pour les Charentais), une bouillabaisse (pour les Marseillais), un cassoulet (pour les Castelnaudariens), une choucroute (pour les Alsaciens), un aligot (pour les natifs de l’Aubrac), un excellent champagne, une tarte au fraises, etc. Ce goût de revenez-y, c’est celui qui vous pousse irrésistiblement à vous resservir.
La cuisine de grand-mère avait toujours ce petit goût.
Au-delà des plaisirs de la table, le goût de revenez-y caractérise aussi tout ce qui est agréable et à quoi on revient avec plaisir (D’Hautel, 1808).
On trouve dans La Muse normande de David Ferrand (1638) : « Il y a bien du revenezy : Il y a retour à un ancien état de choses. »
Les routes sont bonnes par ici…
On précise, si nécessaire : « on verse peu ! » L’expression joue sur le double sens de verser, « basculer et tomber sur le côté en parlant d’un véhicule » et « faire couler un liquide ».
Grand-père disait cela quand il était invité et que son verre restait désespérément vide. Si l’hôte ne comprenait toujours pas, il complétait la phrase : « … on verse peu ! » Bien sûr, à la table des parents, la précision n’était pas nécessaire : papa lui servait du vin en se confondant en excuses. Grand-père respectait ainsi deux règles élémentaires de savoir-vivre : l’une qui interdit de se servir quand on est invité, l’autre qui proscrit toute demande directe.
Manger à s’en faire péter la sous-ventrière
Au sens propre, une sous-ventrière, c’est la partie du harnais qui passe sous le ventre d’un cheval. Au sens figuré, le mot est un équivalent familier de « ceinture » et si cette ceinture passe sous le ventre, on peut en conclure que celui qui la porte a déjà l’estomac bien rebondi. Il fait donc partie des mangeurs excessifs, de ceux qui s’empiffrent, qui engloutissent de si grandes quantités qu’ils peuvent en faire « péter » leur ceinture.
Delvau (1866) donne S’en faire péter la sous-ventrière comme synonyme de S’en faire péter le cylindre : « Se dit, dans l’argot des faubouriens, de toute chose faite avec excès, comme de manger, de boire, etc., et qui pourrait faire éclater un homme, — c’est-à-dire le tuer. »
Tout lui fait ventre
Petit, je n’étais pas difficile à nourrir. Je mangeais toujours ce que l’on mettait dans mon assiette, sans renâcler. Il m’arrivait même de faire des mélanges insolites (genre melon pain d’épices ou banane rillettes), voire, par grandes faims et disettes passagères, d’avaler des aliments plus très frais comme pain rassis ou fromage racorni, ce que voyant, grand-mère ne manquait pas de feindre la stupéfaction : « Celui-là, tout lui fait ventre ! »
C’est avec une signification approchante que le Grand vocabulaire françois de 1773 mentionne l’expression : « On dit proverbialement et figurément, tout fait ventre ; pour dire que les viandes les plus communes rassasient, nourrissent comme les plus délicates. » En Provence, on précise : Tout fai ventre mai que i’entre, « tout fait ventre pourvu que tout y entre » ou « tout ce qui entre fait ventre », le proverbe signifiant aussi, plus généralement : on est prêt à accepter, sans faire la fine bouche, tout ce qui peut servir notre intérêt. « Faire flèche (ou feu) de tout bois » dit à peu près la même chose.
Ventre affamé n’a point d’oreille
La faim peut devenir une obsession telle que seul le besoin de l’assouvir vous occupe l’esprit et que l’on ne peut ni ne veut rien entendre d’autre.
Le proverbe est cité par Rabelais. Au chapitre X de Pantagruel (1532), le héros rencontre un curieux personnage qui lui débite le proverbe en latin : « Venter famelicus auriculis carere dicitur. » Dans le Quart livre (1548-52), Rabelais reprend la même idée : « Gaster sans aureilles feut créé » et, plus loin, « Je vous certifie qu’au mandement de messere Gaster tout le ciel tremble […] » (ch. LVII). C’est aussi, chez La Fontaine, la moralité de la fable Le Milan et le Rossignol (IX, 18).
La faim et les périodes de famine étant aussi vieilles que le monde, on comprend que la métaphore soit apparue dès l’Antiquité. Dans sa Vie des hommes illustres, Plutarque en attribue la paternité à Caton l’Ancien : « Un jour, le peuple romain réclamait instamment et hors de propos une distribution de blé ; Caton, qui voulait l’en détourner, commença ainsi son discours : “Citoyens, il est difficile de parler à un ventre qui n’a point d’oreilles.” » (II, 239, traduction d’Alexis Pierron).
Avoir la reconnaissance du ventre
On parlait parfois du fils Tartempion qui, à seize ans, avait fui le domicile de sa mère (son père ayant lui-même, depuis des lunes, pris la clé des champs) pour intégrer quelque secte d’où il ne donnait plus aucune nouvelle. « Il n’a même pas la reconnaissance du ventre », disait grand-mère. Comprenant « il n’a même pas de reconnaissance pour celle qui l’a porté dans son ventre », je faisais fausse route.
La reconnaissance du ventre, c’est la gratitude que l’on éprouve pour qui vous a nourri et, par extension, pour qui vous a procuré un bien-être matériel. On la distingue souvent de la « reconnaissance du cœur », affection que l’on éprouve en total désintéressement. L’historien Édouard Fleury oppose ces deux sentiments à propos de Camille Desmoulins : « Camille avait si souvent et si bien dîné chez le général [Dillon], qu’il eut pour son hôte la reconnaissance du ventre, quand il n’avait pas su trouver en lui-même la reconnaissance du cœur pour tant d’autres de ses amis « (Saint-Just et la terreur, vol. 1, ch. VIII, 1852).
Avoir les yeux plus grands que le ventre
Constatation rituelle quand, m’étant servi copieusement de dessert ou de plat de résistance, j’en laissais une bonne partie dans l’assiette. Il est vrai que devant une tarte aux mirabelles ou un hachis Parmentier (grand-mère était, pour l’un comme pour l’autre, championne du monde), je préjugeais souvent de mon appétit.
L’expression est aussi utilisée dans d’autres contextes que celui de la nourriture : quand on voit trop grand, que l’on pense pouvoir faire plus que ce dont on est capable. C’est ainsi que Montaigne nous dit dans ses Essais (1580) à propos de la découverte de nouveaux mondes : « J’ay peur que nous ayons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiosité, que nous n’avons de capacité. Nous embrassons tout, mais nous n’étreignons que du vent » (Livre I, ch. XXX, Des Cannibales).