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C’est le bouquet !

Bouquet et « bosquet » ont la même étymologie : le francique °bosk, « buisson ». Du bouquet d’arbres on est passé au bouquet de fleurs, bouquet symbolisant dès lors ce qu’il y a de plus beau, au sens propre comme au sens figuré. Notons que « anthologie » (du grec anthos, « fleur » et legein, « cueillir ») et « florilège » (du latin florilegium) nous racontent une histoire similaire.

Depuis 1798 (cinquième édition du Dictionnaire de l’Académie française), le mot bouquet s’applique au bouquet d’artifice : « Paquet de différentes pièces d’artifice qui partent ensemble. La gerbe de fusée, ou girandole, qui termine le feu d’artifice, s’appelle par excellence, Le Bouquet. »

C’est à ce bouquet-là que l’expression fait référence mais ironiquement, car il n’est pas l’apothéose d’une série festive mais le dernier numéro d’un feuilleton catastrophique. Ce bouquet-là, c’est le pompon.

Le mot de Cambronne

Tout le monde le connaît. Chacun l’a dit au moins X fois dans sa vie, sauf grand-mère, du moins, jamais devant moi. En avait-elle la velléité que seule la première syllabe fusait et que, par la grâce d’une censure immédiate, le mot se métamorphosait en « mer…credi ». Cependant, comme il fallait bien, de temps en temps, y faire allusion, ne serait-ce qu’en rapportant un témoignage ou pour souhaiter bonne chance au petit-fils qui passait son bachot, des périphrases venaient à propos : « Il était dans une telle colère qu’il lui a sorti le mot de cinq lettres ! », ou bien, « Je ne te souhaite pas bonne chance mais je te dis le mot de Cambronne ! » Grand-mère se privait ainsi d’un plaisir non négligeable, car, mis à part le vœu de réussite, le mot de Cambronne permet de ne rien garder sur le cœur. On peut même, grâce à lui, exprimer toutes sortes de sentiments, en jouant sur l’intonation : la colère (intonation longue et criarde), le refus (intonation courte et mezzo voce), l’émerveillement (après « oh ! » et dans un registre aigu), la surprise (même tessiture, mais précédé de « oh ! » et suivi de « alors »).

Pierre Jacques Étienne Cambronne (1770–1842), général d’Empire commandant la Vieille Garde à Waterloo, aurait d’ abord répondu par deux fois au général anglais Colville qui le sommait de se rendre : « La Garde meurt mais ne se rend pas ! » Devant l’insistance de Colville, Cambronne aurait ensuite, d’une voix de stentor, proféré un « merde ! » retentissant. Le fait, longtemps mis en doute, est attesté par Antoine Deleau qui se trouvait à côté de Cambronne en ce 18 juin 1815 mais le témoignage de Deleau est lui-même contesté. Merde, alors !

Où est Untel ? Dans sa chemise !

« Grand-mère, peux-tu me dire où est maman ? — Oui, dans sa chemise ! » Encore une réplique qui me mettait en rogne. Pourquoi ne pas me dire franchement : « Je n’en sais rien » ou « cherche-la, tu finiras bien par la trouver ! » ou « Elle ne doit pas être bien loin ». Grand-mère souriait : je me faisais avoir à chaque fois.

On trouve en Picardie une plaisanterie analogue et encore plus explicite :

« D’où qu’il est ? — Il est din s’kémise et pi s’tète ale passe !  »

Traduction : « Où est-il ? — Il est dans sa chemise et sa tête dépasse ! »

Il semble bien que ce soit là l’origine de cette petite blague.

Une histoire à la graisse de chevaux de bois

Virmaître (1894) nous en donne le sens : « Quand un boniment [discours pour attirer la foule] est par trop fort, on dit dans le peuple : c’est un boniment à la graisse de chevaux de bois. » Nous sommes donc dans le langage des bonimenteurs, des charlatans dont les paroles, les arguments, ne sont que mensonges et ne valent pas plus que les remèdes qu’ils vantent. Les pseudo-remèdes en question pouvaient être des onguents justement fabriqués avec de la graisse de cheval. On trouve par exemple dans La Presse médicale belge du 13 février 1859 le compte rendu d’un procès engagé devant le tribunal du Havre contre un certain Odièvre, surnommé le sorcier de Saint-Eustache, qui prétendait soigner de pauvres bougres en leur vendant au prix fort des orviétans et pommades à base, notamment, de « graisse de cheval prise chez l’équarisseur ». Une première locution, à la graisse de cheval, a pu déjà signifier « sans effet, insignifiant, pas plus efficace que les onguents des bonimenteurs ».

Peut-on alors imaginer une substance encore plus inopérante que la graisse de cheval ? Oui, celle de chevaux de bois que l’on ne peut trouver qu’au pays de l’absurde, un pays à la Lewis Caroll où rien ne tient debout, où tout est à la graisse de chevaux de bois. Pour décliner cette formule saugrenue, on a inventé des graisses encore plus farfelues : d’abat-jour, de hareng saur, d’hérisson, la moins extravagante de toutes étant sans doute la graisse d’oie, réellement utilisée en gastronomie. En tout cas, voilà bien des formules pour qualifier ce qui est à la gomme, à la noix, et doit être tenu pour aussi méprisable que de la roupie de sansonnet.

En boucher un coin

Certaines nouvelles laissent sans voix ceux qui les apprennent. Abasourdis, ahuris, déconcertés, stupéfaits, il n’en croient pas leurs oreilles et restent bouche bée. Bouche bée, donc grande ouverte ? Il serait plus exact de dire « bouche bouchée », car la bouche est bien ce que l’expression désigne par coin, comprenons « angle en creux », « angle rentrant », ce qui correspond bien au dessin d’une bouche, surtout vue de profil. Ceux à qui l’on en bouche un coin sont en effet incapables d’articuler le moindre mot. Précisons au passage que « bouche » et boucher (« obturer ») n’ont pas la même étymologie : « bouche » vient du gaulois bocca qui a aussi, via le latin, donné « bec », et boucher est issu du latin populaire °bosca, « broussailles », les bouchons ayant d’abord été constitués de touffes de paille ou de feuillage (cf. le francique °bosc, « buisson »). Voilà de quoi en boucher un coin à tous ceux qui croyaient que « bouche », « bouchée », « boucher » et « bouchon » partageaient la même origine !

On a vu que cracher eut, dès le XVe siècle, le sens populaire de « parler, dire[21] » (voir supra, cracher au bassinet) et, plus précisément, « dire de manière affectée et méprisante » : « Maistre Florentin Teste-molle, / Crachant tousjours loy ou chapistre […] » (Guillaume Coquillard, L’Enquête d’entre la simple et la rusée, v. 887, 1478). Cette équation linguistique entre cracher et « parler » (comme entre « baver » et « bavarder ») explique le sens de tenir (ou conserver) le crachoir : « garder la parole sans laisser à son interlocuteur la possibilité de placer un mot ». Bien que le mot crachoir existe au moins depuis Rabelais (« Fiantoient au fiantoir, pissoient au pissoir, crachoient au crachoir, toussoient au toussoir […] » (Tiers livre, ch. XV, 1546), l’expression tenir le crachoir à quelqu’un ne semble pas antérieure au XIXe siècle, l’une des premières attestations figurant en 1846 dans le Dictionnaire des mots les plus usités dans le langage des prisons, supplément à un ouvrage écrit par un détenu anonyme : L’Intérieur des prisons. On peut penser qu’elle devint encore plus familière lorsque, dans les années 1890, les premières lois furent votées interdisant de cracher dans les lieux publics, lieux qui furent, dès lors, équipés de crachoirs.

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21

Idem pour « baver » (voir supra, Tailler une bavette).