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Être (un) panier percé, c’est donc « dépenser sans compter » et ce, depuis Saint-Simon (1675–1755) qui en fait l’une de ses expressions favorites : « Ce cardinal était un panier percé qui, avec de grands biens, de grands bénéfices, et les premières charges de la cour de Rome, y était méprisé par le désordre de ses dépenses, de ses affaires, de sa conduite et de ses meurs […] » (Mémoires, tome cinquième, ch. XII, 1710). Ce panier percé est à rapprocher du tonneau des danaïdes qui, n’ayant pas de fond, se vide à mesure qu’on essaie de le remplir.

L’expression eut auparavant une autre signification, notée comme vulgaire chez Antoine Oudin (1640) : « Il est sot comme un panier percé, c’est un grand badin. » L’image est ici celle du cerveau qui ne parvient à s’imprégner de rien. Par une métaphore voisine, panier percé a aussi qualifié celui qui oublie tout ou qui ne peut garder un secret. Toutes ces significations sont chez Philibert-Joseph Le Roux (1735).

Un fils à papa

Il est né coiffé (allusion au morceau de membrane fœtale qui reste collé sur le crâne d’un bébé au moment de la naissance et qui est supposé lui porter chance) ou, comme disent nos voisins d’outre-Manche, avec une cuiller d’argent dans la bouche car fils à papa désigne tout jeune homme dont le confort matériel est assuré par la richesse et la haute situation de son père (30 % des élus de notre République, prétendait en 1990 un article du Nouvel Observateur) puis, par extension, les fils de bourgeois comparés au fils de prolétaires. Le succès de l’expression est sans doute lié à celui du vaudeville de Maurice Desvallières, justement intitulé Le Fils à Papa, créé en 1913, et qui fut à l’origine d’une opérette de Jean Gilbert, La Chaste Suzanne, datée de 1937, elle-même portée à l’écran la même année par André Berthomieu.

Traiter quelqu’un de fils à papa, c’est le déprécier en lui reprochant de ne rien faire, de vivre dans l’oisiveté, parfois dans l’égoïsme, souvent dans l’orgueil et de mépriser une certaine France, celle qui, pour reprendre la formule d’un ex-président, « se lève tôt » pour aller au travail.

Si ma grand-mère n’a pas connu le président en question, elle a connu des fils à papa et c’est peu dire qu’elle ne les aimait pas.

Péter dans la soie

Formule croustillante qui se moque des riches (qui couchent ou s’habillent dans de la soie, étoffe luxueuse par excellence) en les considérant d’un point de vue quasi scatologique (péter). Elle relativise le piédestal où certains placent une aristocratie qu’ils idéalisent et dont elle rabat l’orgueil (il est vrai que bien des nantis prétendent parfois péter plus haut que leur cul). Elle nous fait penser à la célèbre phrase de Montaigne : « Et au plus eslevé throne du monde, si ne sommes nous assis que sus nostre cul. » (Essais, Livre III, ch. 13, 1588), citation que l’on modernise en « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. »

Péter dans la soie en dit donc bien plus que l’explication qu’on lui attribue généralement, « vivre dans l’opulence ». L’expression apparaît dans le Nouveau Larousse illustré de 1898 avec une variante : « Péter dans la soie, dans le velours, etc. »

En 1900, dans Farandole des pauv’s P’tits fanfans morts (Soliloques du pauvre), le poète Jehan Rictus décline l’idée de belle façon :

« Nous, on n’est pas des p’tits fifis, des p’tits choyés, des p’tits bouffis qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle, dans d’ la soye ou dans du velours et sur qui veill’nt deux sentinelles : Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour. »

La réplique était quasi systématique quand nous nous extasions devant le beau cadeau que grand-mère nous offrait, pour notre anniversaire, Noël ou les étrennes :

« Waouh, c’est superbe !

— Ça peut ! »

Un modèle de contraction et de concision digne des Laconiens car ce Ça peut ! était riche de multiples sous-entendus que chacun comprenait : « Oui, ce cadeau peut être superbe parce qu’il ma coûté bonbon (autre expression favorite de notre aïeule) ; je brûle d’envie de vous dire combien je l’ai payé mais je ne le dirai pas car ce serait malséant et je sais les convenances ; cependant, je suis contente que vous l’appréciiez car bien que votre grand-mère ne soit pas très riche, vous voyez qu’elle n’hésite pas à faire des sacrifices pour gâter ses petits-enfants et montrer ainsi tout l’amour qu’elle leur porte. » Oui, tout cela était bien implicite dans le Ça peut ! de grand-mère ; nous l’attendions à chaque offrande et nous en amusions gentiment. Son écho résonne toujours dans nos cœurs et malgré toutes ces longues décennies depuis lesquelles grand-mère se pulvérise sous terre, nous continuons de lui dire merci.

Coucher sous les ponts

« Sous les ponts de Paris Lorsque descend la nuit, Tout’s sort’s de gueux se faufilent en cachette Et sont heureux d’trouver une couchette Hôtel du courant d’air, Où l’on ne paye pas cher, L’parfum et l’eau c’est pour rien, mon marquis, Sous les ponts de Paris. »

Ce refrain d’une fameuse chanson dont Vincent Scotto écrivit la musique en 1914 nous explique ce que coucher sous les ponts signifie : être à la rue, ne pas avoir les moyens de se payer un toit, être un « gueux ». Toutefois, les paroles de Jean Rodor donnent à l’expression un parfum de plaisir et de liberté bien éloigné des sentiments de grand-mère quand, feignant de devoir connaître une prochaine indigence à force de ponctions budgétaires, elle proférait cette menace : « Si ça continue, j’irai coucher sous les ponts ! » Fatalisme des gens modestes qui, malgré toute une vie de labeur, ne bâtissaient aucun château en Espagne. Ils craignaient plutôt de basculer un jour en dessous du seuil de pauvreté. Résignés, ils faisaient leur cette boutade d’Anatole France : « […] être citoyen ! Cela consiste pour les pauvres à soutenir et à conserver les riches dans leur puissance et leur oisiveté. Ils y doivent travailler devant la majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. » (Le Lys rouge, ch. VII, 1894.)

Il ne faut pas compter les œufs dans le cul de la poule

Cette sage maxime, populaire un peu partout en France mais notamment en Saintonge (grand-mère y vivait !) et dont on nous dit qu’elle trouve son exacte traduction au Brésil (grand-mère n’y a jamais mis les pieds !), signifie qu’il est imprudent de prétendre jouir d’un bien avant de le posséder ou de se féliciter à l’avance d’un succès hypothétique. C’est la version vulgaire et paysanne du proverbe inspiré d’une fable de La Fontaine (L’Ours et les Deux Compagnons) et d’une histoire citée au XVe siècle dans les Mémoires de Philippe de Commynes : « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. » On trouve dans une traduction du Don Quichotte de Cervantès une amusante déclinaison de notre proverbe : « […] qui compte l’œuf au cul de la poule, est en danger de n’avoir que la coque ; et quand la vigne est en fleur, il n’est pas temps de compter le vin dans sa cave ; et qui tire en l’air n’attrape pas l’oiseau […] » (Suite de l’histoire de l’incomparable Don Quichotte de la Manche, tome troisième, ch. XLV, 1741).