Il est aussi des billes de clown ridicules qui trahissent une intelligence indigente et déclenchent les sarcasmes. L’expression prend alors valeur d’insulte comme dans cet extrait de Pagnol quand une boule puante « explosa sur le sommet du crâne de Tignasse, dont la longue chevelure en fut si merveilleusement empestée qu’il dut se résigner à la sacrifier, et à nous révéler ainsi son véritable visage, c’est-à-dire une aimable bille de clown ». (Le Temps des amours, ch. III, 1977.)
En argot, la bille, c’est la tête (mais le même mot peut désigner l’argent, la monnaie). Delvau (1866) nous cite la bille à châtaigne, « figure grotesque » et l’on connaît aussi la bille de billard qui s’applique aux crânes chauves ainsi que la drôle de bille de celui qui est déçu ou mécontent.
Grand échalas
Un échalas est un pieu en bois servant de tuteur à un cep de vigne, une tige de houblon ou un arbuste : « Chaque souche est munie d’un grand échalas de 2,30 m et souvent de 3 mètres et d’un petit échalas attaché en contre-fort ou en pied de chèvre » (Jules Guyot, Sur la viticulture de l’Est de la France, 1863). Par comparaison, un grand échalas désigne une personne grande et maigre que l’on peut, pour les mêmes raisons, qualifier de « grande perche » : « Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs […] » (Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, Lettre V, 1782). L’expression figurée apparaît chez Furetière (1690) avec cette explication : « On dit proverbialement qu’un homme est droit comme un échalas, quand il se tient droit avec une affectation extraordinaire ; que c’est un vrai échalas, qu’il a avalé un échalas, quand il est maigre et délié. » En échalas peut aussi qualifier un membre quasi squelettique : « Mais cette maladie ambulante, vêtue de beau drap, balançait ses jambes en échalas dans un élégant pantalon » (Balzac, La Cousine Bette, ch. XV, 1846).
Une gueule d’empeigne
En Saintonge, « goule » remplace gueule (voir supra, avoir la goule fine). « Goule » ou gueule d’empeigne, l’expression a plusieurs sens. Elle peut désigner :
— un visage antipathique, laid, repoussant, ridicule : « Elle avait “une gueule d’ empeigne” qui n’était pas distinguée du tout et elle boitait comme la Constitution » (Noël Amaudru, L’Homme aux lunettes d’or, 1888) ;
— une personne bavarde, qui n’a pas sa langue dans sa poche : « Quelle gueule d’empeigne ! Et ce culot ! Je ne sais pas s’il chante depuis longtemps dans les rues, mais à ce métier-là, avec une gueule pareille, il couchera plus souvent au poste que chez lui, j’en ai peur » (Henry Poulaille, Le Pain quotidien, 1931) ;
— un « palais assuré contre l’irritation que causerait à tout autre l’absorption de certains liquides frelatés » (Delvau, 1866), un « palais habitué aux liqueurs fortes » (Virmaître, 1894).
Quand grand-mère me traitait de goule d’empeigne, je veux croire qu’elle n’avait que la deuxième définition en tête.
Mais, qu’est-ce qu’une empeigne ? C’est la partie d’une chaussure, au-dessus de la semelle, qui va du cou-de-pied jusqu’à la pointe (de l’ancien français piegne, « métatarse »). La comparaison ne fait aucun doute : l’ouverture de l’empeigne évoque une gueule grand ouverte.
Friser à plat
Combien de fois mes « baguettes de tambour » m’ont-elles attiré ce lazzi ?
Friser à plat, voilà un oxymore dont je me serais bien passé ! Était-ce ma faute si la nature ne m’avait pas gratifié, sinon de boucles, du moins d’ondulations naturelles ? Si je ressemblais plus à Passepoil (Bourvil) qu’à Lagardère (Jean Marais) dans Le Bossu d’André Hunebelle ?
Je pouvais au moins me consoler en pensant que le persil plat est moins amer que le persil frisé et qu’en littérature bien des Frise-à-plat sont sympathiques. Si seulement j’avais alors connu Frise-à-plat, épouvantail amoureux des oiseaux, sorti de l’imagination de Grégoire Archier en… 2010 ?
Elle est gironde
Pour tout un chacun, la Gironde[29], c’est l’estuaire situé, en aval de Bordeaux, entre le Bec d’Ambès (où la Dordogne conflue avec la Garonne), et l’océan Atlantique, estuaire qui a donné son nom au département. Alors, quand j’entendais dire de telle fille qu’elle était gironde, je pensais qu’elle venait de ce pays, au sud de ma Charente-Maritime. J’appris plus tard que gironde était un mot d’argot pour une jeune fille « jolie et bien en chair », ses rondeurs ne l’empêchant pas de tourner (gyrare en latin) la tête des garçons. Une autre énigme vint alors troubler mon esprit : pourquoi appelait-on petite gironde cette vieille femme laide qui vendait des journaux en traînant sa carriole dans les rues de Saintes ? Tout devint enfin clair quand on me révéla que La Petite Gironde fut, de 1872 à la Libération, le nom d’un quotidien régional remplacé en août 1944 par Sud-Ouest.
La poupée à Jeanneton
D’une femme « plate comme une limande » (voir ci-dessous), grand-mère disait qu’elle était comme la poupée à Jeanneton. Mais elle n’allait pas plus loin, la comparaison étant implicite pour tout le monde sauf pour moi. Je ne la compris que quand la deuxième partie de l’image me fut dévoilée, au détour d’une lecture : « Qui avait ni fesses, ni tétons. » Cette poupée à (ou de) Jeanneton semble remonter loin dans le temps. Delvau la cite dans son Dictionnaire érotique moderne (1864) : « N’avoir ni cul ni tétons, comme la poupée de Jeanneton. Se dit d’une femme maigre, qui n’a ni gorge ni fesses, — l’envers de la Vénus Callipyge. » Victor Hugo a failli y faire référence dans Les Chansons des rues et des bois (1866) mais le quatrain n’est resté que sous forme de notes :
Plate comme une limande
Pour sûr, une telle fille ne peut être « gironde » (voir ci-dessus) puisqu’elle manque de rondeurs. Dans ces années-là où les canons de beauté exigeaient qu’une jolie fille ait ce qu’il faut là où il faut, être plate comme une limande était rédhibitoire. D’Hautel (1808) dit plaisamment la chose : « Se dit méchamment d’une femme maigre et dépourvue des agrémens extérieurs de son sexe. » Balzac qualifie ainsi « la sèche madame Phellion, petite femme plate comme une limande et qui gardait sur sa figure la sévérité grimée avec laquelle elle professait la musique […] » (Les Petits Bourgeois, in Scènes de la vie parisienne, 1855).
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J’en profite pour rappeler au passage que Garonne et Gironde ont la même étymologie. En effet, le nom latin de la « Garonne » était