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Éphélides, taches de son ou de rousseur sont de jolis noms, mais ces petites pigmentations génétiques donnent aussi lieu à des quolibets : on fait référence au Poil de carotte de Jules Renard, on évoque des « chiures de mouches » ou (moquerie et imagination font souvent bon ménage) on imagine une observation de l’astre solaire à travers une passoire. Grand-mère avait parfois recours à cette image mais, plus souvent, elle parlait d’un visage « tout pigacé » (voir supra).

PRESTO

Décaniller

Décaniller, c’est d’abord « décamper, ficher le camp » : « […] en avant marche, décanillons ; j’ai besoin de prendre l’air, ça empoisonne ici » (Eugène Sue, Les Mystères de Paris, seconde partie, ch. V, 1842).

Décaniller, c’est ensuite « se lever, sortir du lit » (Virmaître, 1894, dit aussi, « se lever de sa chaise ») : « Est-ce que tu te moques des paroissiens, sacré faignante ? Allons, houp ! décanillons ! Il faisait déjà claquer le fouet au-dessus du lit » (Émile Zola, L’Assommoir, ch. XII, 1878).

L’origine étymologique est sujette à controverse. Pour certains, le verbe serait issu de quenis, quenil, formes nordiques de « chenil », décaniller signifiant alors, à l’origine, « sortir du chenil, de la niche » (on trouve dans la Sarthe les variantes déch’niller et décanicher). Pour d’autres, il faut y voir canille, « jambe » dans le Lyonnais (cf. canne, de même sens dans le langage populaire). Décaniller serait donc « jouer des cannes », « prendre ses jambes à son cou ». On peut enfin supposer une influence de cagne, « indolence, paresse », dans le Midi.

En Aunis et Saintonge, on décanille quand on se lève de bonne heure. En Vendée, on décanige plutôt.

Jouer la fille de l’air

C’est une façon familière d’exprimer la fuite, la disparition soudaine. Qui est donc cette fille de l’air ? Une légende allemande nous la présente comme une jeune et belle meunière qui, pour ne pas épouser le marchand de farine que lui impose son père, appelle le vent à la rescousse et en devient la fiancée, se transformant en une sylphide évanescente, vaporeuse et légère. Jules Verne lui consacre un long poème intitulé La Fille de l’air. En voici la première strophe :

« Je suis blonde et charmante, Ailée et transparente, Sylphe, follet léger, je suis fille de l’air, Que puis-je avoir à craindre ? Une nuit de m’éteindre ? Qu’importe de mourir comme meurt un éclair ! »

C’est toutefois par le biais d’une autre fille de l’air, rôle titre d’une « féerie » à succès écrite en 1836 par Provost et les frères Cogniard, que l’expression s’est popularisée : La Fille de l’air, opérette en trois actes, fut représentée en août 1837 au Folies-Dramatiques. Elle met en scène une fée baptisée Azurine qui, pour s’être laissé séduire par un villageois du nom de Rutland, est condamnée à perdre ses ailes et à ne plus jamais quitter la terre. Comment expliquer alors qu’ayant perdu la faculté de s’esquiver, cette fille de l’air-là ait pu faire naître une locution exprimant justement la dérobade ? La chose paraît peu logique. C’est que la véritable justification se trouve dans un autre vaudeville, joué quelques mois après dans le même théâtre et avec autant de succès. Il a pour titre La Fille de l’air dans son ménage et propose une suite à l’opérette. Les auteurs, Honoré et Delaporte, y dépeignent le couple malheureux que forment Azurine et Rutland. Mais, miracle ! Grâce à un propice talisman, Azurine retrouve ses ailes et peut fort heureusement quitter le monde d’ici-bas où nul bonheur ne l’attendait.

La locution a fait florès dans le milieu : elle s’applique parfaitement à l’aptitude du monte-en-l’air, genre Lupin, qui, comme par enchantement, parvient toujours à échapper à la police.

Faire fissa

En maintes occasions, il fallait faire fissa : quand nous avions traîné au lit et qu’approchait l’heure d’aller à l’école, quand, ayant déballé tous nos jouets, il nous fallait les ranger avant que les parents reviennent, quand nous étions en promenade et qu’un gros orage menaçait, etc.

Cette manière de se dépêcher nous vient d’Afrique du Nord puisque ce mot sabir est issu de l’arabe algérien fis-saâ, « à l’heure même, tout de suite ». Esnault nous précise que l’expression était courante dans les chambrées d’Afrique avant 1870.

Faire fissa a connu une certaine vogue chez les auteurs de polars : « […] j’ai tout juste eu le temps de boire un Nescafé avant de partir. Fallu faire fissa… On m’a prévenu encore dans les toiles » (Alphonse Boudard, Les Matadors, 1966).

Minute, papillon !

Du verbe papillonner, Delvau (1866) propose une jolie définition : « Aller de belle en belle, comme un papillon de fleur en fleur. » C’est une manière bien agréable de butiner. Elle est, par définition, superficielle : volage est celui qui en use et, à jouer avec le feu, il risque bien de s’y brûler les ailes. Au-delà de l’amour inconstant, on peut papillonner, non d’un cœur à l’autre mais d’une chose à l’autre, sans but véritable, un peu gratuitement, par jeu, oisiveté ou incapacité à se fixer, à rester calme et seul pour prendre du recul. Pascal n’a-t-il pas dit que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre » (Pensées, fragment 126, Divertissement) ? « S’agiter comme des ailes de papillon » est une autre acception de papillonner.

Frivolité, frénésie, frétillement et, au final, fragilité, fr…fr…fr…, mots dont l’assonance même évoque des battements vains et futiles. C’est à tous ces fiévreux, tous ces agités qui courent sans but, qui parlent sans raison, qui répondent sans réfléchir, que l’on a envie de dire, les invitant à l’attente : « Minute, papillon ! »

On n’est pas aux pièces

Grand-mère n’aimait pas qu’on la bouscule. Elle faisait tout à petits pas. Alors, quand elle voulait se joindre à nos équipées et que nous essayions de lui faire presser l’allure, nous avions droit à « Minute, papillon ! », immédiatement suivi de « On n’est pas aux pièces ! ». Qu’elle estimât avoir ainsi tout son temps nous exaspérait. Se vengeait-elle d’avoir dû, dans son passé de petite main, coudre à n’en plus finir pour gagner son pain ?

Telle est bien l’origine de l’expression être aux pièces, « être rémunéré en fonction du nombre de pièces produites ». Ramené à l’heure, le salaire ainsi gagné était souvent dérisoire : « Il a d’abord travaillé aux pièces. Faute d’entraînement, il a eu beaucoup de peine au début à dépasser un gain de soixante-dix, ou quatre-vingts centimes de l’heure […] » (Jules Romains, Montée des périls in Les Hommes de bonne volonté, 1935).