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À la sauvette

Aujourd’hui, seuls les marchands du 1er mai ont le droit de vendre leur muguet à la sauvette. Dans tous les autres cas, ce mode de vente est illégal puisque tout commerçant doit payer une patente pour exercer sa profession. Les marchands ambulants sont souvent des marchands clandestins : quand ils voient la maréchaussée se profiler à l’horizon, il doivent remballer la camelote dare-dare et se sauver, d’où le qualificatif à la sauvette.

De nos jours, certains escrocs tentent de revendre des tickets de métro à la sauvette en faisant, bien sûr, un bénéfice. Des voyageurs pressés se laissent parfois estamper, surtout quand les guichets sont encombrés de files d’attente mais R.A.T.P. et S.N.C.F. veillent au grain.

Par extension, l’expression a revêtu le sens de « vite fait » et, comme ce qui est vite fait ne saurait être bien fait, à la sauvette signifie aussi « sans soin, de façon bâclée » : « Je vis à la sauvette, je travaille à la sauvette, je fais les courses à la sauvette, je mange à la sauvette quand il n’est pas dans la chambre » (Violette Leduc, Ravages, Gallimard, 1955).

En voiture, Simone !

Si l’on en croit Patrice Louis[32], l’expression ferait référence à Simone Louise de Pinet de Borde des Forest, agricultrice passionnée d’automobiles qui obtint son permis de conduire en 1929 et s’illustra dans plusieurs courses et rallyes entre 1930 et 1957. Les pilotes de courses étant plus nombreux parmi les hommes que chez les femmes et compte tenu de l’époque ou Simone de Borde des Forest acquit sa notoriété, la formule laisse transparaître une certaine incrédulité ironique quant à l’aptitude du sexe faible à tenir un volant. L’expression complète est en effet : « En voiture, Simone, c’est moi qui conduis, c’est toi qui klaxonnes. »

Associée à l’origine à l’excitation des voyages en automobile (grand-mère l’utilisait quand nous partions à la mer dans la 401 familiale), l’expression s’est ensuite généralisée pour exhorter tout un chacun à se mettre en route, en action, au travail.

Faire vinaigre

Si l’huile est onctueuse et coule lentement, le vinaigre est vif et acide. Cette considération est sans doute à l’origine des injonctions « à l’huile ! » et « au vinaigre ! » associées depuis le début du XIXe siècle au jeu de la corde à sauter : dans les cours de récréation, quand une camarade criait « à l’huile ! », la fillette devait sauter lentement ; elle se mettait à accélérer quand elle entendait « au vinaigre ! »

Cette pratique semble pouvoir justifier le sens de faire vinaigre, « se dépêcher ».

Le vinaigre intervient dans d’autres locutions :

— son acidité explique qu’une personne triste et rabat-joie soit traitée de « pisse-vinaigre  » (pour Oudin, en 1640, un pisse-vinaigre est un avare) ;

— la transformation du vin en vinaigre rend compte de l’expression « tourner vinaigre  », « s’aigrir » donc, « devenir orageux, conflictuel ». Grand-mère disait plutôt : « Tourner en bouillon de moules » (voir infra).

PRÉTENTION

Fier comme Artaban

Quand grand-mère croisait une connaissance qui, l’ignorant ou ne la voyant pas, manquait à la saluer, elle exprimait son dépit d’un « Regarde-moi un peu celui-là, il est fier comme Artaban ! ». Elle se moquait aussi de cette voisine bêtasse qui déformait l’expression en « fier comme un p’tit banc ». Mais savait-elle qui était Artaban ?

Le frère de Darius Ier ? Le capitaine des gardes de Xerxès Ier ? L’un des cinq rois de la dynastie parthe des Arsacides ? Le héros imaginaire de Cléopâtre, roman-feuilleton écrit de 1647 à 1658 par Gautier de Costes de La Calprenède ? L’un d’entre eux, à coup sûr, mais lequel ?

Se croire sorti de la cuisse de Jupiter

Si l’on s’en réfère à la mythologie, se croire sorti de la cuisse de Jupiter, c’est se prendre pour Bacchus. À l’origine, on trouve une histoire de coucherie et de jalousie olympiennes. Jupiter tombe amoureux de Sémélé et lui fait un enfant. Comme il se doit, Junon en conçoit jalousie et vengeance. Quand Jupiter demande à Sémélé ce qu’il peut faire pour la rendre heureuse, Junon souffle insidieusement la réponse suivante : « Te voir dans toute la splendeur de ta gloire. » Jupiter a juré par le Styx et ne peut se désavouer, tout dieu des dieux qu’il soit. Hélas ! car, pour le céleste souverain, se montrer dans sa gloire ne peut aller sans force déploiement d’éclairs, de tonnerre et de foudre. Laissons Ovide achever le récit : « Le corps d’une mortelle ne put supporter le fracas qui ébranlait les airs ; elle fut consumée par les présents de son époux. L’enfant imparfait est arraché du sein de sa mère et, tout frêle encore, cousu (s’il est permis de le croire) dans la cuisse de son père, où il achève le temps qu’il devait passer dans les flancs maternels. Ino, sœur de sa mère, entoura furtivement son berceau des premiers soins ; ensuite elle le confia aux nymphes de Nysa, qui le cachèrent dans leurs antres et le nourrirent de lait ». (Les Métamorphoses, III, 308–315, traduction de Georges Lafaye).

L’histoire nous apprend que Bacchus/Dionysos ne continua guère à se nourrir de lait.

Celui qui, aujourd’hui, emploie la locution ne se doute pas qu’il fait référence au dieu de la Vigne et du Vin. Pour lui, se croire sorti de la cuisse de Jupiter, c’est être orgueilleux, être imbu de soi-même, se croire supérieur aux autres.

La huitième merveille du monde

Il ne manque pas de candidats à cette distinction suprême. On l’a décernée au Camp du Drap d’or, village somptueux mais éphémère où Henry VIII rencontra François Ier du 7 au 24 juin 1520. Cependant, ce titre enviable a plus souvent et plus logiquement été attribué à certains monuments aussi remarquables que durables, comme, par exemple, les temples d’Abou-Simbel en basse Nubie (selon l’égyptologue Christiane Desroches-Noblecourt), ceux d’Angkor au Cambodge, le Taj Mahal en Inde, l’abbaye du Mont-Saint-Michel en France, l’Alhambra de Grenade en Espagne, ou, toujours en Espagne, mais près de Madrid, le palais de l’Escurial que Théophile Gautier tient cependant pour « le plus grand tas de granit qui existe sur la terre ». Il ajoute ironiquement que « chaque pays a sa huitième merveille, ce qui fait au moins trente huitièmes merveilles du monde » (Voyages en Espagne, 1843).

L’expression est consacrée par Furetière (1690) : « On dit aussi, C’est une des sept merveilles du monde, pour dire c’est quelque chose de rare, d’excellent. On dit aussi dans le même sens que c’est la huitième merveille du monde. »

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32

Du bruit dans Landerneau, dictionnaire des noms propres dans le parler commun, Arléa, 1996.