Ne connaître quelqu’un ni d’Ève, ni d’Adam
Bien que l’on se réfère à Ève et Adam, connaître ne doit pas être pris au sens biblique du terme : « Adam connut Ève, sa femme. Elle devint enceinte et enfanta Caïn » (Genèse, 4, 1). Ne connaître quelqu’un ni d’Ève, ni d’Adam, c’est bien n’en avoir jamais entendu parler. Si, créationniste convaincu, on croit mordicus que toute l’humanité descend de ces deux habitants du jardin d’Éden originel, ne pas ainsi connaître quelqu’un c’est évidemment ne pas le connaître du tout, encore moins le compter dans son lignage (on a dit aussi : « Il ne m’est ni d’Ève, ni d’Adam »), voire en nier tout simplement l’existence.
Petite remarque : ni d’Ève, ni d’Adam laisse supposer que ces tout premiers procréateurs auraient eu chacun une progéniture distincte, donc qu’ils auraient, l’un et l’autre, commis l’adultère. Blasphème lexical ! Avoir croqué la pomme, cela suffit bien à nos malheurs ! Pour que l’orthodoxie soit sauve, il faudrait dire : cette personne m’est étrangère, même si je remonte à Adam et Ève ; mais on ne défigure pas un proverbe, d’autant que celui-là remonte, sinon à Adam et Ève, du moins à l’aube du XVIIIe siècle : dans la Réponse à l’apologie du père Bouhours faite en 1700, l’auteur parle d’« une histoire et [de] bruits qui ont eu pour principal fondement la grossesse scandaleuse d’une fille, qu’ils [les messieurs de Port-Royal] ne connaissaient ni d’Ève ni d’Adam […] ».
Manger son pain blanc le premier
Déjà, Rabelais nous disait de son Gargantua qu’« il mangeoyt son pain blanc le premier » (Gargantua, ch. XI, 1534). L’expression était donc connue dès le début du XVIe siècle. Elle fait partie d’une longue liste où le pain est la métaphore de l’excellence (C’est pain bénit, voir supra), de la bonté (Comme du bon pain), du travail (Du pain sur la planche), du partage (Rompre le pain avec quelqu’un), de la profusion (Comme des petits pains).
Manger son pain blanc le premier, c’est connaître une situation moins enviable que la précédente, affronter le malheur après avoir joui de la félicité.
Si c’est le résultat de votre incurie, de votre insouciance, ne vous en prenez qu’à vous-même ; si c’est un imparable coup du sort, soyez stoïque.
C’est plutôt dans le premier cas et sur un ton de reproche que grand-mère recourait au proverbe. Elle qui était l’incarnation de la prévoyance et de l’économie était en effet peu encline à plaindre celui qui, ayant jeté l’argent par les fenêtres, se retrouvait sur la paille.
À tout péché miséricorde
Il faut donc pardonner toutes les fautes ? Les prédicateurs avertis ne manqueront pas d’ajouter : encore faut-il que le pécheur se soit préalablement repenti ! Si Dieu est miséricordieux, ce n’est pas à l’homme d’être justicier.
On trouve le proverbe mentionné chez Furetière (1690). Il exhorte au pardon, à l’indulgence. Il équivaut à Ne pas vouloir la mort du pécheur et fait écho à « Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre », allusion à l’épisode évangélique de la femme adultère (Jean, 8, 7).
Grand-mère me rassurait ainsi d’une faute commise, toujours une faute sans gravité, un tout petit péché, comme d’avoir mangé, sans permission, tout un bocal de confiture : si grand-mère et le bon Dieu étaient disposés à m’absoudre, mon estomac, lui, s’en trouvait parfaitement indisposé, dans les deux sens du terme.
À pisser contre le vent, on mouille sa chemise
La seconde partie de ce proverbe fut ajoutée postérieurement. On trouve Pisser contre le vent chez Oudin (1640) qui nous en donne cette explication : « Faire une chose dont le mal ou le dommage retombe sur nous. » La signification actuelle vanterait plutôt la pertinence d’une attitude opportuniste : régler sa conduite en fonction des circonstances, en demandant à ses scrupules de la mettre en veilleuse. Diable ! Voilà qui est bien immoral. Certains hommes politiques, suivant en cela l’exemple du grand Talleyrand (diable boiteux !), en ont fait depuis longtemps leur devise : suivez mon regard !
Dans un registre voisin, Rabelais nous parle de Gargantua adolescent qui « pissoyt contre le soleil » (Gargantua, ch. XI, 1534). Pour Littré (1872-77), pisser contre le soleil, c’est « offenser ses amis » ; il précise qu’« uriner contre le soleil était défendu par d’anciennes religions ». Furetière (1690) mentionne, sans explication, pisser contre le ciel.
Entre deux pommes pourries, il n’y a pas grand choix
C’est la version fructifère de « choisir entre la peste et le choléra ». Devant ce dilemme cornélien, certains choisissent… de ne pas choisir : tel peut être le cas lors d’une élection mais la solution de voter blanc ou nul est-elle plus satisfaisante ? Espérer que les autres trancheront à votre place, c’est aussi prendre un risque, la situation induite pouvant devenir une… pomme de discorde.
Un proverbe équivalent se trouve en 1623 chez Shakespeare : « […] there’s small choice in rotten apples » (The Taming of the shrew, I, 1), que François-Victor Hugo traduit ainsi : « Il y a peu à choisir entre des pommes pourries. » (La Mégère apprivoisée, I,1.)
Déshabiller saint Pierre pour habiller saint Paul
Ou découvrir saint Pierre pour (couvrir) saint Paul.
« Remédier à un inconvénient par un autre » ou « Payer ses dettes en en faisant de nouvelles » ou encore « dérober à l’un pour donner à l’autre », telles sont les significations que l’on donne à ce proverbe. Dans Saint-Julien de Bailleure, historien bourguignon, de Léonce Raffin (1926), on en trouve cette explication : « Un pape fit découvrir l’église de Saint-Pierre au Vatican, laquelle était couverte de lames de cuivre, pour en faire couvrir celle de Saint-Paul hors les murs de la ville. » L’information est-elle historiquement fondée ? Toujours est-il que les basiliques Saint-Paul et Saint-Pierre sont bien les deux plus grandes basiliques de la ville aux sept collines et que les églises originelles furent édifiées au début du IVe siècle sur ordre de l’empereur Constantin à l’emplacement des tombeaux des saints martyrs.
La Tradition a rendu les apôtres Pierre et Paul inséparables. Ils sont l’un et l’autre considérés comme les piliers de l’Église romaine. Ils évangélisèrent tous deux la ville impériale et furent tous deux martyrisés sous Néron entre 64 et 67, Paul décapité et Pierre crucifié la tête en bas.