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Être comme saint Thomas

« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ! »

(Jean, 20, 25).

Ainsi l’apôtre Thomas exprime-t-il son incrédulité quand on lui annonce que Jésus est ressuscité. Son scepticisme sera levé huit jours plus tard, quand il sera face au Christ et qu’il aura vérifié par lui-même que ses stigmates correspondent bien aux marques de la crucifixion et au coup de lance. L’épisode a été maintes fois représenté par les artistes sous le titre « L’Incrédulité de saint Thomas », par le Caravage, Girolamo, Rubens, Rembrandt, Signorelli, etc.

Thomas était aussi appelé Didyme, les deux mots signifiant « jumeau », de l’araméen t’ômmâ’ pour l’un et du grec didumos pour l’autre. Le doute qu’il exprime devant la résurrection du Christ et son besoin de voir pour croire a fait naître le proverbe Être comme saint Thomas qui sous-entend « ne croire que ce que l’on voit ».

Paradoxalement, mon mécréant de grand-père invoquait saint Thomas pour justifier son athéisme : « Je suis comme saint Thomas, disait-il, je croirai au petit Jésus le jour où je le verrai ! », ce qui me remémore cette repartie du chanoine Kir à un député qui niait l’existence de Dieu au prétexte qu’on ne l’avait jamais vu : « Et mon cul ? L’avez-vous vu mon cul ? Mirâtes-vous jamais mon postérieur ? Contemplâtes-vous ne serait-ce qu’une seconde le fond de mon rectum ? Non ? Et pourtant Il existe ! »

On n’est jamais si bien servi que par soi-même

C’est ce que doivent penser les pique-assiettes qui ne répondent aux invitations que pour se goberger à l’occasion des cocktails et réceptions qui suivent spectacles et cérémonies, et j’en ai connu de voraces qui n’hésitaient pas à vous écraser les orteils ou à vous rentrer le coude dans les côtes pour revenir au saint buffet qu’ils venaient à peine de quitter.

Bien sûr, le proverbe est souvent servi plus positivement : n’attendons pas que les autres fassent à votre place ce que vous êtes en mesure de faire. La sagesse recommande en effet de ne compter que sur soi. Simone de Beauvoir y voit un autre avantage non négligeable : « “On n’est jamais si bien servi que par soi-même” Il faut s’arranger dans la vie pour n’avoir besoin de personne, pour ne jamais rien demander, ce qui permet de n’avoir non plus rien à donner » (L’Existentialisme et la sagesse des nations, 1948).

Le précepte équivaut à la moralité du Chartier embourbé de La Fontaine : « Aide-toi, le Ciel t’aidera » (VI, 18).

Quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes

« Et le sucre ? » Refusant de noter par écrit les commissions que grand-mère me confiait, j’oubliais toujours au moins un article. Il me fallait alors retourner chez l’épicier du bout de l’avenue. « Quand on n’a pas de tête, il faut avoir des jambes ! »

Ne pas avoir de tête, c’est n’avoir qu’une tête de linotte ou une cervelle d’oiseau, ce qui revient au même ; être étourdi, distrait, toujours dans les nuages.

La tête et les jambes, emblèmes de l’intellect et du physique, sont souvent opposées. Peut-on avoir l’une sans les autres ? L’une et les autres ? Dans La tête et les jambes, jeu télévisé d’autrefois, créé par Jacques Antoine et présenté par Pierre Bellemare, la « tête » désignait un candidat intellectuellement doué, les « jambes » étaient celles de son partenaire, sportif de haut niveau qui devait réussir une performance physique quand la « tête » avait été défaillante. Plus tard, tête et jambes appartinrent à une seule et même personne dans Cavalier seul, autre émission populaire du petit écran. Un candidat s’y révéla aussi brillant dans les exploits intellectuels (littérature) que dans les performances sportives (en l’occurrence, l’équitation). Son nom ? Laurent Fabius. Il avait alors vingt-trois ans.

RIEN (OU PAS GRAND-CHOSE)

C’est l’Arlésienne !

« Comme il était très beau, les femmes le regardaient ; mais lui n’en avait qu’une en tête, — une petite Arlésienne, toute en velours et en dentelles, qu’il avait rencontrée sur la Lice d’Arles, une fois. — Au mas, on ne vit pas d’abord cette liaison avec plaisir. La fille passait pour coquette, et ses parents n’étaient pas du pays. Mais Jan voulait son Arlésienne à toute force. Il disait :

— Je mourrai si on ne me la donne pas. »

On prévient Jan que la petite Arlésienne est une fieffée coquine mais le mariage a lieu et, comme de juste, l’Arlésienne est infidèle. Jan essaie un temps de tromper son monde en affichant un visage toujours gai mais, rongé par la douleur, il finit par se donner la mort.

Cette nouvelle d’Alphonse Daudet fait partie des célèbres Lettres de mon moulin (1869). En 1972, l’écrivain en tira un drame en trois actes dont la musique de scène fut composée par Georges Bizet. Jan y devient Frédéri. Parce que, dans la pièce de théâtre, le personnage de l’Arlésienne n’apparaît jamais en chair et en os, jouer l’Arlésienne s’applique à celle ou celui dont on ne cesse de parler mais que l’on ne voit jamais. C’est l’Arlésienne peut aussi se dire d’un événement, d’une décision, d’une loi que l’on attend en vain.

Peau de balle et balai de crin

Trois petits chats, chapeau de paille, paillasson, somnambule, bulletin, tintamarre, marabout, bout de ficelle, selle de cheval, cheval de course, etc. On connaît ce procédé des charades dites « à tiroir » et des chansons dites « en laisse ».

Notre expression le met en pratique pour nous faire passer de la balle au balai de crin sans autre raison que le jeu phonétique.

Dans l’argot des voyous (Gaston Esnault dixit), Peau de balle est attesté depuis 1877. La balle en question constitue avec sa voisine une partie non négligeable de ce que d’aucuns appellent les « bijoux de famille ». L’argot, qui est assez riche en la matière, nous parle aussi de « baloches » qu’Esnault (1965) fait dériver de balocher, « osciller en pendant » (équivalent populaire de « ballotter »). Delvau (1866) avait déjà précisé que le peuple « dit cela à propos des choses ». Cette peau de balle est donc, curieusement, considérée comme sans valeur puisque l’expression signifie « rien du tout ». L’allusion était beaucoup plus explicite dans la peau de mes balles (1899), locution synonyme devenue désuète. Elle est moins évidente dans peau de zébi, expression née en 1870 dans les régiments de Zouaves. « Zébi » est pourtant bien une variante de l’arabe zobb qui perdit l’une de ses deux bilabiales (« b ») en intégrant notre vocabulaire (1894).

Pas plus de… que de beurre en branche

Le karité[36], dont le nom signifie « arbre à beurre » en wolof, pourrait prétendre à expliquer l’étymologie de notre expression mais ce serait peu logique puisque le karité a justement « du beurre » dans ses branches. On pourrait aussi faire allusion aux « beurrés », poiriers qui donnent des fruits à chair fondante mais ce serait aussi une fausse piste. Faut-il alors penser au sens argotique de beurre, « argent », considérant que l’argent ne pousse pas dans les arbres (l’assiette au beurre, par exemple, désigne le pouvoir en tant que source de revenus) ? Peu probable. D’où vient donc ce beurre en branche que l’on évoque pour signifier l’absence ou la pénurie ? Mystère.

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36

Son ancien nom scientifique était Butyrospermum parkii (du latin butyrum, « beurre » et de Mungo Park, explorateur du Sénégal qui découvrit ce végétal). En effet, on extrait de ses noix le beurre de karité.