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Au XIXe siècle, une gabegie était une « fraude », une « supercherie » (Littré), signification encore en usage régionalement.

Le mot, qui ne signifiait que « fraude, tromperie, supercherie » au XIXe siècle (signification encore régionalement en usage), n’a aujourd’hui que le sens de « désordre, chaos, abomination, gaspillage, résultant d’une mauvaise gestion » : tel était bien le cas. Gabegie serait issu d’un ancien verbe, gaber, « railler », toujours en usage dans certains dialectes régionaux (voir supra, Au lit, Gaborit !) : la moquerie, j’y avais effectivement droit quand on jetait un œil ou une dent sur mes œuvres culinaires.

On trouve aussi le dialectal gabiller, « gaspiller », en Haute-Normandie.

Le désordre, le gaspillage et la confusion évoqués par le mot gabegie concernèrent d’abord l’administration et il semble bien que le journaliste normand révolutionnaire Jacques-René Hébert ait été le premier à employer gabegie en 1790 dans son célèbre Père Duchesne pour dénoncer le projet de convention girondine.

Elle était souvent promise mais rarement donnée. L’était-elle que la violence annoncée n’était jamais atteinte : de cette fessée administrée, nos gencives ne subissaient aucun contrecoup. La menace avait tout de même de quoi faire peur. D’où mes parents la tenaient-ils ? D’un sketch célèbre de Bach et Laverne (duo comique constitué en 1927) enregistré en 78 tours et que nous ne nous lassions pas d’écouter sur le vieux gramophone à aiguille : Toto, mange ta soupe. Voici l’extrait incriminé :

« Monsieur refuse de manger de la bonne soupe gagnée à la sueur du front de son père.

— De son pauvre père !

— De son bon père. De son bon père qui va lui flanquer une fessée à lui faire saigner les gencives s’il ne mange pas sa soupe tout de suite ! »

Le sketch fut repris par Fernand Raynaud en 1961.

Mettre le holà à quelque chose

L’interjection Holà ! s’utilise depuis le milieu du XIVe siècle pour interpeller (« Holà ! Vous, là-bas ! ») ou pour modérer, voire faire cesser une action. En 1622, dans Les Caquets de l’accouchée, apparaît la locution Mettre le holà avec la signification qui est toujours la sienne, « Mettre fin (à une querelle), mettre bon ordre » : « […] une entre autres, voulant mettre le hola, monstra de quelle estoffe estoit sa robbe : Ce n’est pas, dit-elle, aux femmes à s’entremesler si avant dans les affaires […] » (La Seconde après-disnée du Caquet de l’Accouchée). On trouve aussi, dans le même ouvrage, Faire le holà avec le sens d’« intervenir brusquement dans une conversation » : « L’accouchée fit le holà pour parler de l’imprimerie […] » (La Troisième après-dinée).

Quand grand-mère voulait mettre le holà, c’était bien en général pour interrompre nos bagarres ou couper court à nos chamailleries.

Jeux de mains, jeux de vilains

Pour mettre le holà (voir ci-dessus) à des disputes qui s’envenimaient, grand-mère nous rappelait le sage adage : Jeux de mains, jeux de vilains. Nous comprenions, bien sûr, qu’il était vilain (laid, méchant et honteux) de se battre entre frères. Sans doute notre bonne vieille comprenait-elle la même chose, incitée en cela par une autre expression : Il va y avoir du vilain, « Les choses vont mal tourner, vont tourner vinaigre ».

Pourtant, quand le proverbe apparut, un vilain était un paysan et, par extension, une personne du bas peuple. L’explication de Furetière (1690) confirme cette première signification : « […] pour dire qu’il n’y a que les gens rustiques et mal appris qui se frappent, ou se mettent en danger de se blesser en se jouant ». Dans La Fleur des proverbes français (1851), Pierre Alexandre Gratet-Duplessis suppose que le dicton « a dû prendre naissance dans un château, dans la cour de quelque grand seigneur, où l’on pensait que la chasse, les tournois et les exercices militaires étaient les seuls délassements qui convinssent à la noblesse ; et qu’il fallait laisser aux vilains, c’est-à-dire, aux gens de la classe inférieure, ces jeux d’un ordre moins relevé, qui ne demandaient autre chose que la vigueur ou l’adresse de la main. » Ultime précision, donnée en 1868 dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux : « Sous l’Ancien Régime, les nobles avaient le duel à l’épée ; les vilains n’avaient, pour vider leurs querelles, que les armes placées au bout de leurs bras par dame Nature. »

C’est, en Saintonge, l’équivalent de Ça va tourner vinaigre. D’une discussion qui est devenue orageuse, le paysan charentais disait : « O s’est en alé en bouillon de moucles » (moucles, pour « moules », respecte l’étymologie musculus qui nous a aussi donné la mouclade, typiquement charentaise). Le bouillon de moules symbolise ici le brouet noir peu appétissant. Profitons de l’occasion pour rendre hommage à la merveilleuse moule de bouchot qui vit le jour en 1246 à Esnandes (Charente-Maritime), dans la baie de l’Aiguillon : l’Irlandais Patrice Walton, jeté par un naufrage sur une plage de la pointe Saint-Clément, eut l’idée de planter des pieux dans la vase, entre lesquels il tendit des filets pour piéger les oiseaux. Il s’aperçut alors que des moules, accrochées à ces pieux, grossissaient en prenant un très bon goût.

Menace d’une punition imminente, toujours promise, rarement donnée, comme la fessée supposée faire saigner les gencives (voir supra) : « Vous allez être privés de dessert ! Ça vous pend au nez comme un sifflet de deux sous ! » Grand-mère avait de drôles de façons de parler. Avait-on jamais vu un sifflet pendre au nez, fût-il bon marché ?

Dans A Dictionary of french idioms (1830) de William A. Bellenger, on trouve : Autant lui en pend au nez (traduit par It may be his case), expression qui était déjà attestée, selon Rey et Chantreau, au XIIIe siècle sous la forme autretant lui en pend sor le nez, entendons, « cela risque de lui arriver comme c’est arrivé à son voisin ». La menace imminente est donc déjà présente, l’image étant peut-être celle du poing menaçant tendu sous le nez de celui que l’on va frapper. On trouve chez D’Hautel (1808), avec le même sens : Cela lui pend au nez comme une citrouille. Le sifflet de deux sous (on dit aussi de deux ronds) remplace la « citrouille » au tout début du XXe siècle, sifflet qui doit signifier « morve » (l’enfant morveux siffle en respirant et encore plus en reniflant), les deux sous étant la métaphore des deux narines. De l’expression première, pendre au nez, et par association directe d’idées sans qu’une cohérence sémantique soit recherchée pour autant, l’expression a donc évolué vers pendre au nez comme un sifflet de deux sous.