Mouche ton nez et dis bonjour à la dame
On ajoute parfois d’autres injonctions avant le bonjour à la dame : « Sors les mains de tes poches, remonte tes chaussettes, retire ton béret, tiens-toi droit, etc. » Je ne sache pas que de tels ordres aient jamais été réellement donnés mais ils constituent la formule archétypique de la politesse autrefois exigée des enfants. L’expression est devenue ironique. Elle témoigne d’un temps où l’éducation supposait un nombre exagéré de contraintes : les mômes se trouvaient engoncés dans un carcan de bonnes manières qui faisaient la fierté des parents et grands-parents : « Vous avez vu comme il est bien élevé ! » Il y avait, bien sûr, des pleurs et grincements de dents, voire des rebellions comme en témoigne cette chanson enfantine de l’entre-deux-guerres, créée par René Baer, alias Vittonet : « J’veux pas dire bonjour à la dame qui vient voit maman le mardi et qui m’embrasse et qui me dit : “Qu’il a grandi ! Qu’il a grandi ! C’est vot’ portrait, je le proclame.” J’veux pas dire bonjour à la dame. »
Les deux font la paire
« On dit aussi, Les deux font la paire, quand on voit deux personnes ensemble qui ont les mêmes qualitez, & qui sont bien appariées ; mais on n’en use guère qu’en mauvaise part. » Ainsi Antoine Furetière (1690) présente-t-il l’expression, insistant sur son aspect négatif (« qualités » devant être pris ici au sens neutre de « manière d’être »). Dans La Fleur des proverbes français, Pierre Alexandre Gratet Duplessis donne à la locution une signification carrément péjorative : « Locution familière, au moyen de laquelle on caractérise dédaigneusement certaines liaisons qui n’ont pour fondement ni la probité, ni l’honneur, ni même la décence et qui ne peuvent avoir lieu qu’entre des gens assez peu estimables. »
Cet aspect réprobateur s’est toutefois amoindri, et si l’on dit par exemple de deux garnements qui s’entendent comme larrons en foire pour faire des sottises : « Les deux font la paire ! », c’est souvent sur un ton amusé. Aujourd’hui, en un sens plus neutre quoique toujours un peu moqueur, la locution nous fait simplement comprendre que deux personnes vont bien ensemble, que leur association est remarquable. Il en va ainsi des couples célèbres, dans tous les domaines.
Un boisseau de puces
Ancienne mesure de capacité d’une douzaine de litres, le boisseau se présentait sous la forme d’un récipient cylindrique. On l’utilisait notamment pour mesurer les graines de céréales. Est-ce parce que l’insecte parasite ressemble à une toute petite graine que notre lexique l’a aussi mis en boisseau ? On imagine en tout cas les centaines de milliers, de millions de puces que cela représente et les bonds innombrables qu’elles doivent y faire. L’image traduit donc plusieurs idées :
— l’activité, le dynamisme : « Éveillé comme un boisseau de puces » ;
— l’excitation extrême : « Excité comme un boisseau de puces » ;
— la nuisance, le harcèlement, la peste dont on ne peut se défaire : « […] nous tirons des plans pour nous rendre plus canulants qu’un boisseau de puces, de façon à le dégoûter de son métier d’exploiteur et l’amener à nous donner sa démission » (Émile Pouget, L’Almanach du Père Pénard, 1897). C’est en ce sens, quand nous ne cessions de la tarabuster, que grand-mère s’écriait : « Quels boisseaux de puces ! »
Chanter Ramona
Dans l’argot du XIXe siècle, un ramona était un petit ramoneur. Dans son Dictionnaire de la langue verte (1866), Delvau nous en donne cette définition : « Petit Savoyard qui, aux premiers jours d’automne, s’en vient crier par les rues des villes, barbouillé de suie, raclette à la ceinture et sac au dos. » Par l’intermédiaire du sens figuré de ramoner, « marmonner » puis « réprimander », chanter Ramona est devenu un synonyme populaire d’« enguirlander », de « remonter les bretelles », de « passer un savon ».
Il semble cependant que chanter Ramona à une femme ait précédemment revêtu une signification argotique plus scabreuse : par allusion à la chanson d’amour de Saint-Granier (1927)[39], il fut d’abord question de « faire la cour à une dame » puis, par une comparaison peu délicate entre le ramonage et l’acte sexuel, chanter Ramona prit le sens de « faire l’amour ». En 1640, dans ses Curiosités françaises, Antoine Oudin mentionne comme vulgaire, ramonner (sic) la cheminée d’une femme, « coucher avec elle ».
Y en a pas un pour racheter (rattraper) l’autre
C’est parfois ce que le bon peuple se dit la veille d’une élection, quand aucun candidat n’a ses faveurs. Rengaine connue trahissant le degré zéro de la conscience citoyenne : « Tous les politiques sont à renvoyer dos à dos, il n’y en a pas un pour racheter l’autre, qu’ils soient de gauche ou de droite, ou du centre » (Cité dans Revue française de politique, vol. 51, P.U.F., 2001).
Notons au passage que François Mitterrand disait la même chose des dirigeants du Parti communiste dans les années 1970 : « Il n’y en a pas un pour racheter l’autre. On peut les manipuler comme on veut. Ils sont tous plus bêtes les uns que les autres. Toutes leurs réactions sont prévisibles » (Cité par Franz-Olivier Giesbert dans Le Président, Seuil, 1990).
Grand-mère n’employait cependant pas l’expression pour fustiger ministres, députés ou autres élus. C’est à mon frère et moi qu’elle réservait le compliment, quand nous nous étions mis à deux pour faire des âneries.
Donner du fil à retordre
Quels parents n’ont jamais dit que leur progéniture leur donnait du fil à retordre, soulignant ainsi les difficultés rencontrées pour les élever dans un chemin aussi droit que possible ?
Tel ne fut pourtant pas le sens premier de l’expression. Oudin (1640) tient la locution pour vulgaire et en fournit la définition suivante : « Donner du fil à retordre, Se prostituer être putain », signification que Rey et Chantreau justifient en ayant recours au sens technique de retordre : « En parlant du fil ou de la ficelle, tordre deux ou trois brins ensemble. » (Définition de Littré). L’image est suggestive.
Cette signification vulgaire fut éphémère puisque, dès le XVIIIe siècle, avoir du fil à retordre a signifié « Avoir des embarras, des difficultés » :
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