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(Jean-Baptiste Rousseau, Épigramme XXIII, aux journalistes de Trévoux, Livre II, 1743, posthume.)

Retordre du fil devait être considéré comme délicat et fastidieux, surtout avant que le rouet ne soit inventé. L’article Fil dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751–1772) fait allusion à des « efforts considérables » et à une « manière de retordre […] trop longue », ce qui suffit à rendre compte du second sens figuré de Donner du fil à retordre.

Le roi dit : « Nous voulons. »

« Grand-mère, je veux encore de la grenadine !

— Le roi dit : “Nous voulons” ! »

J’étais bien trop petit et trop respectueux de mon aïeule pour oser rétorquer : « Mais nous sommes en république ! »

Formule rituelle pour rappeler aux enfants qu’il ne faut pas exiger ou du moins, qu’il faut y mettre les formes en assortissant, par exemple, le vouloir d’un conditionnel de bon aloi, ce roi qui dit nous voulons, nous remit bien souvent à notre place. Pourtant, à bien y réfléchir, ce nous royal était un nous de majesté et non de modestie ; il était boursouflé de toute l’autorité officielle, de tout le droit divin dévolus aux monarques. « Nous voulons  » exprimait donc une exigence absolue, bien supérieure à mon modeste « Je veux »… mais on n’ergote pas avec sa grand-mère !

Bon comme la romaine

Ne cherchons là aucune habitante de Rome, épouse généreuse et bienveillante d’un Romain de l’Antiquité : si tel était le cas, un « R » majuscule eût été obligatoire. La minuscule nous fait donc tacitement comprendre que romaine est ici un adjectif et qu’un nom commun doit être sous-entendu. Quid hoc verbum significat ? La paix romaine (Pax Romana d’Auguste) ? La vie romaine (dolce vita) ? La charcuterie romaine ?… La laitue romaine. Parfois appelée « chicon », elle fut créée par les maraîchers romains du Ier siècle. Plus croquante et nourrissante que la batavia (de l’ancien nom de la Hollande d’où cette autre laitue est originaire), la romaine est toujours très prisée des amateurs de salade. Le premier sens de bon comme la romaine fut « très bon ». De « très bon » à « trop bon » et de « trop bon » à… le sens de l’expression a évolué en « être une victime potentielle », du genre de celles que nous devenions quand, ayant commis une irréparable faute et craignant les représailles paternelles, nous entendions cette affirmation prophétique : « Cette fois, c’est sûr, vous êtes bons comme la romaine ! »

Sentir le roussi

Sentir le roussi est synonyme de « filer un mauvais coton » (voir supra) : cette odeur est typique d’une situation qui risque de tourner mal, d’affaires qui deviennent suspectes, d’un personnage en disgrâce. Le roussi en question est la couleur (rousse) que prend ce qui commence à brûler : il est alors grand temps d’éteindre le feu avant qu’il ne devienne dévorant.

L’expression est apparue au XIXe siècle pour évoquer une pratique médiévale : sentir le roussi fait d’abord référence aux hérétiques condamnés au bûcher. De ces mécréants, victimes potentielles des foudres de l’Inquisition, on disait aussi qu’ils « sentaient le fagot », comme chez Diderot, quand Jacques craint pour son maître : « Mon maître, paix, paix : ce que vous dites là sent le fagot en diable » (Jacques le fataliste et son maître, 1778-80). Avant le grand embrasement, on demandait aux hérétiques de faire « acte de foi » de façon à ce qu’ils soient rachetés dans l’autre monde, d’où notre mot « autodafé » qui reprend littéralement le portugais auto da fe.

La paternité de l’expression figurée sentir le roussi semble pouvoir être attribuée au chansonnier Pierre-Jean de Béranger : il l’emploie en 1819 dans sa chanson Les Missionnaires :

« L’Intolérance, front levé, Reprendra son allure ; Les protestants n’ont point trouvé D’onguent pour la brûlure. Les philosophes aussi Déjà sentent le roussi. »

Petit sagouin !

Au sens… propre, un sagouin est une espèce de petit singe d’Amérique (Saguinus) également appelé « tamarin », espèce qui compte les ouistitis dans ses rangs. Sagouin est à l’origine un mot tupi, saguim, qui, appliqué à une personne, désigne quelqu’un de sale et de peu fréquentable, comparable aux yahoos, ces androïdes répugnants que Gulliver rencontre au pays des Houyhnhnms.

C’est sans doute l’idée que grand-mère avait en tête quand elle me traitait de petit sagouin : par maladresse ou négligence, je venais alors de barbouiller de boue vêtements, mains et visage à force de pigouiller et de gassouiller (en Saintonge, on pigouille et gassouille quand on patauge ou met les mains dans une flaque d’eau bourbeuse).

François Mauriac utilisa le mot comme titre d’un roman paru en 1951 où il nous raconte la vie peu reluisante du petit Guillou, garçon de douze ans, malpropre, arriéré, et méprisé de tous, y compris de sa mère.

Esnault (1965) nous apprend que sagouin désigna aussi en argot un « étudiant en droit ou lettres » (1929).

Faire le zèbre

Faire le clown, le pitre, le zouave (voir ci-dessous), le malin, l’intéressant, autant d’expressions synonymes pour qualifier le comportement de celui qui veut surprendre ou se faire remarquer en faisant rire la galerie. L’animal est aussi associé à une idée de bizarrerie que l’on retrouve dans l’expression un drôle de zèbre. Les rayures de l’équidé justifient-elles cette drôlerie, dans la double acception du terme ? L’expression semble relativement récente. On pourrait la rattacher à cette anecdote rapportée par Buffon : Milord Clive ayant rapporté d’Inde une femelle zèbre aurait voulu la faire saillir par un âne. La « zébresse » refusant de se laisser approcher, « Clive eut l’idée de faire peindre cet âne comme un zèbre : la femelle, dit-il, en fut la dupe, l’accouplement se fit, et il en est né un poulain parfaitement semblable à sa mère […] » (Histoire naturelle, volume 7, 1753–1767).

Selon Esnault (1965), zèbre fut aussi le surnom donné à un élève de l’École des ingénieurs mécaniciens de la marine (1909) puis, par extension, à un élève de l’École des élèves officiers de marine (1913).

Faire le zouave

En arabe, le mot Zwawa désigne une tribu kabyle. C’est une déformation d’un mot berbère, Agawa, désignant une ancienne confédération composée de huit tribus. Lors de la colonisation de l’Algérie en 1830, un corps de fantassins est recruté parmi les Kabyles. Les soldats, d’abord kabyles, reçoivent le nom de zwaves, rapidement transformé en zouaves. Les fantassins d’Algérie continueront d’être appelés zouaves, même quand des Arabes ou des Français de métropole feront partie de ce corps.