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Voilà, certes, un jeu d’adresse mais est-il à ce point difficile qu’il puisse rendre compte de notre expression ? Pas vraiment. C’est que l’on a oublié la seconde partie de l’expression : avec un noyau de cerise. On la trouve dans le refrain d’une chansonnette parue en 1860 dans le magazine La Gaudriole et signée d’ Alexis Dalès (1813–1893), chanson si populaire qu’elle a donné naissance à la locution. En voici les première et dernière strophes :

« Tant bien que mal faire un couplet Ça n’est pas difficile ; Mais trouver un nouveau sujet, Ça devient moins facile. Moi, pour refrain de ma chanson, J’ prends cette balourdise : C’est plus fort que d’ jouer au bouchon, Avec un noyau d’ c’rise.

[…]

Voir un corbeau jouer du piston, Un chat fair’ l’exercice, Ou bien, sur un fil de laiton, Danser une écrevisse, Voir un’ puce en bonnet d’ coton, Un lapin prendre un’ prise… C’est plus fort que d’ jouer au bouchon, Avec un noyau d’ c’rise. »

Une paille !

La paille symbolise tout le contraire de l’importance : un « homme de paille  » est un homme de rien qui n’agit souvent que comme prête-nom, la paille que vous voyez dans l’œil du prochain est insignifiante par rapport à la poutre que vous ne voyez pas dans le vôtre, quant au « fétu de paille  », il représente le comble de l’inconsistance ou de la légèreté. L’exclamation Une paille ! est donc un euphémisme qui, ironiquement, signifie « c’est quelque chose ! », synonyme de la litote : « Ce n’est pas rien ! »

Mes grands-parents maternels s’étaient rencontrés en 1899 mais grand-père s’étant engagé dans la marine, grand-mère avait dû l’attendre huit ans avant qu’il ne l’épouse. « Une paille ! » commentait-elle, non sans une légitime fierté.

Et le pouce !

Revenons aux cadeaux de grand-mère (voir supra, Ça peut !). Respectant les bonnes manières, elle ne nous en donnait donc jamais le prix. On essayait parfois, en vain, de lui faire cracher le morceau :

— Tu as dû payer ça une fortune. Au moins dix mille francs (anciens, bien sûr !).

— Et le pouce ! s’exclamait-elle, et, au ton qu’elle employait, nous comprenions bien que ce pouce-là représentait beaucoup plus qu’un petit supplément.

Pouce fait référence à l’ancienne mesure de longueur valant 2,54 cm, soit la longueur moyenne du premier doigt de notre main. Et le pouce ! équivaut aux locutions familières désignant généralement les décimales que l’on considère comme négligeables, « et quelques », « et des broutilles », « et des brouettes », « et des bananes », etc.

Vas-y que j’te

Voilà une locution bien pratique pour marquer l’insistance, la répétition, l’excès, l’outrance, l’insupportable. Elle est généralement suivie du verbe exprimant l’action reproduite à gogo :

— « Les ouvriers n’ont pas été très discrets, et vas-y que j’te tape ! Vas-y que j’te cloue ! Vas-y que j’te scie ! »

— « Ils se sont encore battus comme des chiffonniers. Et vas-y que j’te frappe ! Vas-y que j’te morde ! Vas-y que j’te tire les cheveux ! »

Le « te » est explétif (on pourrait s’en passer), mais il est emphatique (intensif) et renforce donc l’expression.

Vas-y que j’te a fini par se suffire à lui-même, devenant elliptique : « Elle lui a sorti un chapelet d’injures. Et vas-y que j’te ! »

C’est plus fort que le roquefort

C’est incroyable ! C’est étonnant ! C’est inadmissible ! C’est un comble !

Certes, le fromage de roquefort est fort en goût mais l’expression se justifie surtout par l’allitération qui vient opportunément la… renforcer. Elle équivaut à « C’est plus fort que de jouer au bouchon ! » (Voir supra).

À propos, de quel village nommé Roquefort, le fameux fromage est-il originaire (on en dénombre une dizaine) ? De Roquefort-sur-Soulzon, commune de l’Aveyron proche de Millau, en bordure du causse du Larzac.

Jusqu’à plus soif

Il y a de l’extrémisme dans cette locution, celui qui caractérisait certaines de nos attitudes que grand-mère entendait nous reprocher : « Vous allez donc faire les andouilles jusqu’à plus soif ! » Ce plus soif impliquait l’idée d’un calice qu’il faudrait boire jusqu’à la lie, d’une coupe rase, que seule une paire de claques appliquée à temps aurait pu empêcher de déborder.

L’expression originelle fut sans doute servie au pied de la lettre : on boit jusqu’à ce que l’on n’ait plus soif, ce qui semble raisonnablement efficace en cas de pépie. Vint ensuite le sens figuré où jusqu’à plus soif continua de signifier « jusqu’au bout », de souligner même la surabondance, comme chez Émile Zola : « Et il y en avait qui faisaient la farce de le tâter du haut en bas, comme s’il avait eu des écus dans la viande, pour en sortir ainsi jusqu’à plus soif » (La Terre, troisième partie, ch. III, 1887).

On pourrait aussi dire « jusqu’à satiété » (du latin satis, « assez, suffisamment ») mais l’expression est moins éloquente, bien qu’une « assiettée » y soit contenue phonétiquement.

Tant qu’à faire

« Un verre, deux verres, trois verres ! Tant qu’à faire, pourquoi pas toute la bouteille ? »

On dirait aussi, « pendant que tu y es, pourquoi ne pas boire toute la bouteille ? »

L’expression tant qu’à faire, très populaire, est considérée comme incorrecte. C’est à tant faire que de, plus académique, qu’il faudrait employer : « À tant faire que de boire, pourquoi ne pas boire toute la bouteille ? » À tant faire que de parler notre langue maternelle, efforçons-nous de la bien parler.

L’expression prétendue correcte est cependant bien ampoulée et tant qu’à (faire) se trouve plus d’une fois sous la plume de grands écrivains comme André Gide : « Certainement, tant qu’à m’ennuyer (ce que je trouve toujours inutile), je préfère que ce ne soit pas avec M. » (Journal, 1887–1925) ; comme François Mauriac dans son Bloc-Notes : « Tant qu’à faire de n’être pas heureux, j’observe de près […] ce qu’aura été notre malheur sous trois républiques » (Mercredi 8 septembre 1965).