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Dans son Dictionnaire canadien-français (1894), le linguiste québécois Sylva Clapin mentionne « gagner sa vie de rip et de rap ». La locution est reprise dans Le Parler populaire des canadiens français (1909) de Narcisse-Eutrope Dionne avec cette définition : « De peine et de misère. Ex. Gagner son pain de rip et de rap. »

Travailler pour le roi de Prusse

On travaille pour le roi de Prusse quand on travaille sans être rémunéré. Un roi de Prusse aurait donc eu la réputation d’être mauvais payeur ? Oui et ce serait Frédéric II (1712–1786), dit Frédéric le Grand, protecteur des arts (il jouait fort bien de la flûte traversière et Jean Sébastien Bach lui dédia son Offrande musicale) et des lettres. On l’appelait le roi philosophe et il compta Voltaire parmi ses amis : l’écrivain fut reçu à Berlin où il résida au château de Sans-Souci de 1750 à 1753. Mais une brouille éclata entre les deux hommes et Voltaire, quittant l’Allemagne pour Ferney, en Suisse, a pu prétendre qu’il avait perdu sa peine et son temps en travaillant pour le roi de Prusse. D’autres anecdotes ne manquent pas qui prouvent l’avarice (ou la sage économie) du souverain : il rétribua assez mal les ouvriers français qu’il employa, tout comme il négligea ses propres soldats et chefs militaires dont l’ordinaire était, semble-t-il, plutôt maigre, au point qu’un voyageur anglais déclara : « L’on n’a jamais vu un soldat gras dans aucun pays ; mais le roi de Prusse n’a pas un sergent qui soit gras. » On raconte enfin qu’en 1744, voulant se garantir la neutralité de la Russie pour envahir « tranquillement » la Silésie, Frédéric II aurait soudoyé un certain Bestoujev afin que celui-ci use de son influence sur le tsar, moyennant une récompense de 40 000 florins. La Russie laissa bien Frédéric guerroyer mais Bestoujev ne reçut jamais l’argent promis.

Un travail de Romain

« J’ai trouvé une Rome de briques, et laissé une Rome de marbre.  » L’empereur Auguste (63 av. J.-C.-14 ap. J.-C.), petit-neveu et fils adoptif de Jules César, aurait prononcé ces mots à propos des grands travaux qu’il fit réaliser à Rome : rénovation de plusieurs temples, construction du forum qui porte son nom, d’arcs de triomphe et d’aqueducs, reconstruction de la basilique Julia, stabilisation des rives du Tibre, etc. Ces travaux colossaux furent la fierté du « siècle d’Auguste ».

Avant lui, la République puis l’Empire avaient déjà entrepris l’urbanisation de la Ville éternelle et de nombreuses autres cités. Enfin, parmi les réalisations importantes du monde romain, il faut mentionner la construction des nombreuses et immenses voies romaines reliant Rome aux grandes villes de l’Italie puis de l’Empire. Des chantiers aussi colossaux ont fait dire à l’historien Antoine-Frédéric Ozanam, parlant de Rome : « Voilà pourquoi son peuple, le plus guerrier du monde, fut aussi un peuple constructeur et laborieux. Voilà pourquoi le travail était honoré comme un combat, et la culture comme une conquête » (Études germaniques, 1847–1849, chapitre VI).

Par comparaison avec ces gigantesques travaux, Un travail de Romain qualifie une tâche longue et difficile, une œuvre considérable nécessitant d’importants efforts.

Ne pas avoir les deux pieds dans le même sabot

« J’ai pas deux pieds dans l’même sabot J’ai d’la vaillance plus qui n’en faut Ici qui c’est qui fait l’boulot… c’est mouais. »
(Ricet Barrier, Bernard Lelou, La Servante du château.)

Dans cette chanson comique de 1958, on comprend que la servante, capable d’abattre beaucoup de travail, n’ait pas les deux pieds dans le même sabot. Pouvoir faire beaucoup de tâches en peu de temps est en effet l’un des sens de notre expression. Peut-être est-il renforcé par l’idée de labeur associée au mot pied dans d’autres locutions comme travailler d’arrache-pied. Elle équivaut toutefois plus souvent à « être débrouillard, savoir prendre des initiatives ». Employée positivement, elle s’applique à une personne embarrassée, peu dégourdie, facilement empêtrée, car, au sens propre, outre la stupidité qu’un tel comportement suppose, mettre les deux pieds dans un unique et même sabot entraîne immanquablement l’immobilisme ou la chute. Bien qu’elle fleure bon la campagne et l’ancien temps, quand les paysans chaussaient ces grossières chaussures de bois pour vaquer aux divers et nombreux travaux de la ferme, la locution ne semble pas avoir été utilisée avant le XXe siècle.

Par l’opération du Saint-Esprit

C’est ainsi que, selon le Nouveau Testament, Jésus Christ a été formé dans le sein de la Vierge Marie : « Voici quelle fut l’origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu’ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint » (Matthieu, 1, 18). Cette opération du Saint Esprit est évidemment cohérente avec la doctrine biblique dite de la « conception virginale » selon laquelle Marie a conçu le Christ tout en restant vierge. Ce dogme repose précisément sur une prophétie d’Isaïe (Ancien Testament) — « Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » (Isaïe 7, 14) — reprise par Matthieu (Nouveau Testament) — « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel » (Matthieu 1, 23). « Jeune femme » ou « vierge » ? L’ambiguïté réside dans la traduction de l’hébreu alma qui pouvait signifier soit « jeune fille », soit « jeune femme ». Dans la Bible des Septante (entre 300 et 250 av. J.-C.), les soixante-dix traducteurs auraient traduit alma par le grec parthenos, « vierge ».

Ces considérations théologiques n’entrent évidemment pas en ligne de compte dans l’expression populaire où l’on invoque ironiquement l’Esprit Saint pour dire qu’une situation tient du miracle, de la providence, de la magie. Quand, par exemple, une construction instable, une réalisation fragile, un assemblage précaire peut choir à tout moment, comme un château de cartes.

Pour une tâche devant laquelle on rechignait, grand-mère déclarait : « Ça ne se fera pourtant pas par l’opération du Saint-Esprit ! »

Ce n’est pas une sinécure

« Avoir à s’occuper de loupiots comme vous, ce n’est pas une sinécure ! » Grand-mère se lamentait ainsi quand, pendant les vacances d’été, elle avait la (lourde) charge de nous garder.

Le mot sinécure vient de la locution latine beneficium sine cura : « bénéfice (ecclésiastique) sans travail » (sine cura signifie littéralement « sans souci »). Il désigne une charge ou un emploi où l’on est payé à ne rien faire (ou à ne pas faire grand-chose). Sine cura est attesté en 1715 : « Les Docteurs en Théologie et les Chapelains des Seigneurs peuvent posséder deux Bénéfices avec Cure d’Ames outre les Canonicats, et les Bénéfices qu’ils appellent sine cura Moyennant une dispense du seul Archevêque de Cantorberi […] » (Georges-Louis Lesage, Remarques sur l’Angleterre, faites par un voyageur dans les années 1710 et 1711, p. 78).