Par extension, sinécure s’est appliqué à une situation de tout repos : « Une place d’inspecteur des Beaux-Arts, sorte de sinécure, qui ne demande ni assiduité ni travail, se trouve vacante » (Eugène de Mirecourt, Émile de Girardin in Les Contemporains, 1854-58).
À la négative, l’expression qualifie une situation difficile, contraignante, pénible : « Ce n’est pas une sinécure que les fonctions d’un membre de bureau de bienfaisance : — il faut y mettre une grande assiduité et une grande ardeur — […] » (Alphonse Karr, Une vérité par semaine, ch. IV, 1852).
À la six-quatre-deux
« Aussitôt que je serai seul avec lui, monte dans ta chambre, fais ton paquet à la six-quatre-deux, et décampe ! »
Pour Delvau (1866), à la six-quatre-deux fait partie de l’argot des bourgeois et signifie « sans soin, sans grâce, à la hâte » ; « par-dessus la jambe », « n’importe comment », « de manière bâclée », ont le même sens.
L’origine d’à la six-quatre-deux est énigmatique. Certains supposent un emprunt à quelque jeu de hasard, d’autres au vocabulaire musical, une mesure à six-quatre étant une mesure rapide à deux temps dont l’unité de temps est la blanche pointée. Une autre explication, ingénieuse, se réfère à une façon particulièrement expéditive de dessiner le profil d’un visage : tracez verticalement, de haut en bas et sans lever le crayon, un six, un quatre et un deux. Aurait-on dit de silhouettes ainsi croquées à la va-vite qu’elles étaient faites à la six-quatre-deux ? En tout cas, synonyme de à la six-quatre-deux, l’expression à la Silhouette qualifiant tout ce qui était rapidement torché est dérivée, comme le mot silhouette lui-même, du patronyme d’Étienne de Silhouette (1709–1767), ce personnage n’ayant fait qu’un passage éclair au ministère des Finances
Faire la souillon
Quand grand-mère s’échinait à faire le ménage, la vaisselle, la lessive (point d’aspirateur, de lave-vaisselle ou de lave-linge en ce temps-là !), elle prétendait parfois qu’elle en avait marre de faire la souillon. Elle donnait au mot souillon une signification devenue obsolète, apparue au début du XVIe siècle et encore attestée chez Littré : « Souillon de cuisine, ou, simplement, souillon, servante employée à la vaisselle et à d’autres bas offices où l’on se salit beaucoup. »
Souillon n’a plus guère que le sens de « personne malpropre », sens également en usage au XVIIe siècle : « Vous l’eussiez pris pour un souillon / Qui n’est couvert que d’un haillon » (Scarron, Le Virgile travesti, Livre II, 1668).
Notons que souillon a aussi été synonyme argotique de « prostituée de bas étage » (1867).
TROMPERIE
Un attrape-nigaud
« La religion était à ses yeux un conte de bonne femme, prolongé pendant des siècles, et la théologie, un attrape-nigauds. » Le monarchiste Léon Daudet s’exprime ainsi à propos d’Émile Zola dans Quand vivait mon père (1940). Zola pensait donc que la théologie était un leurre, propre à duper les benêts, ce qui ne manque pas de sel quand on sait l’origine biblique de nigaud.
Alors qu’il est à Jérusalem, Jésus est questionné par un pharisien, chef des juifs, nommé Nicodème : « Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.
Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? » (Jean, III, 2–4).
Nicodème devient disciple de Jésus. Après la crucifixion, c’est lui qui aide Joseph d’Arimathie à ensevelir le corps du Christ.
Est-ce parce qu’il pose à Jésus des questions plutôt naïves que Nicodème est assimilé à quelqu’un de borné ? Dans les milieux populaires, Nicodème aurait été prononcé Nigodème. Ainsi serait-il à l’origine de nigaud, apparu dès le XVIe siècle.
Une autre hypothèse fait de nigaud un doublet de niais. Le premier sens de niais est en effet « pris au nid », l’étymologie latine étant nidicare, « nicher ».
Rester en carafe
Pour grand-mère, rester en carafe, c’était rester en plan, attendre en vain, notamment quand quelqu’un lui avait « posé un lapin ». En ce sens, l’expression peut être rapprochée de tomber en carafe, « tomber en panne », qu’Esnault (1965) explique par l’argot italien scarafon, « insuccès ». Rester en carafe, c’est aussi ne pas trouver ses mots, rester court, en parlant d’un acteur pris d’un trou de mémoire ou d’un orateur victime d’un passage à vide, à rattacher à l’argot carafe, carafon, « bouche », l’idée étant alors celle d’une bouche bée (cf. l’expression argotique fouetter de la carafe pour « avoir mauvaise haleine »). Ces significations populaires du mot carafe (d’abord caraffe) sont dans la droite ligne de son étymologie, l’italien caraffa qui fut aussi le nom d’une noble famille napolitaine ayant compté au XVIe siècle le pape Paul IV (Gian Pietro Carafa) dans ses rangs. Paul IV, pape sévère et népotique qui régna de 1555 à 1558 et que le poète Joachim du Bellay traita de « vieille Caraffe » : « Et dessus le tombeau d’un empereur romain / Une vieille Caraffe élevée pour enseigne » (Sonnet 103 in Les Regrets, 1558).
Compte là-dessus et bois de l’eau (fraîche)
« Grand-mère, est-ce que tu m’achèteras un vélo neuf pour mon anniversaire ?
— Compte là-dessus et bois de l’eau ! »
Autrement dit : « Tu peux toujours courir ! » ou, encore plus familièrement : « Tu peux toujours te fouiller ! »
La locution est ironique puisqu’elle signifie : « N’y compte pas. » Pourquoi a-t-on ajouté au XIXe siècle et bois de l’eau (fraîche) ? Mystère ! Doit-on comprendre : « Tu peux l’espérer comme on peut espérer qu’un poivrot boive de l’eau ? » Une formule voisine employée par Vidocq en 1829 semble aller dans ce sens : « Oui, crois ça et bois de l’eau, tu seras jamais saoul » (Mémoires de Vidocq, ch. XXXVIII).
On trouve même en 1844 : « Oui, compte là-dessus et bois de l’eau de roche » (Camille Lorrain, La Gloriette, ch. V, in Revue de Paris).