Tout filou, tout traître
« As-tu fini de me filouser ? » me demandait grand-mère quand je me faisais plus câlin qu’à l’habitude. Elle savait alors que je devais avoir quelque chose à lui demander ou à me faire pardonner. Et pour me faire comprendre qu’elle n’était pas dupe, elle ajoutait parfois : « Tout filou, tout traître ! »
Le filou est celui qui, par tromperie, parvient à attraper quelqu’un dans ses filets : c’est l’hypothèse étymologique de Pierre Guiraud (1982). Il y a donc de la traîtrise dans les intentions et l’attitude de cet enjôleur : le baiser qu’il donne est un baiser de Judas. Le filou fut aussi un tricheur fréquentant les tripots : un arrêt de 1629 intitulé Arrest contre les filoux et assemblées de preneurs de tabac enjoint à « ceux qu’on nomme Filoux et s’assemblent en plusieurs maisons de cette ville […], mendians valides, joueurs de cartes, dez et merelles, surnommez Filoux [de vider] la ville, prevosté et vicomté de Paris […] » (Michel Félibien, Recueil de pièces justificatives pour l’histoire de la ville de Paris, 1725). Ces filous savaient singulièrement filer la carte, c’est-à-dire, « se débarrasser des mauvaises cartes, qu’on a reconnues à leur envers, en les prenant du paquet, afin de disposer de bonnes au moment de jouer » (Dancourt, cité par Esnault, 1965).
La semaine des quatre jeudis
La locution est directement compréhensible par tous ceux qui, scolarisés entre 1945 et 1972, ont connu le jeudi comme jour hebdomadaire de repos ou de catéchisme (par la suite, l’arrêté du 12 mai 1972 avança cette journée au mercredi). Une semaine comportant quatre jeudis (et un dimanche) avait alors de quoi faire rêver tous les petits écoliers de France. Pourtant, il n’est pas certain que la vie scolaire soit à l’origine de l’expression, dont on trouve très tôt des variantes, comme, par exemple, dans l’œuvre du poète Guillaume Coquillart (1452–1510) :
Comment doit-on comprendre cette sepmaine à deux jeudis ? Une piste nous est fournie en 1869 dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, où l’on nous révèle l’existence à Paris, à la fin du XVIIe siècle, dans le couvent des cordeliers, d’une épitaphe latine pouvant être ainsi traduite : « Ci-gît Nicolas, fils cadet de Jean de Saint Quirico [saint Cyr], citoyen de la cité de Sienne, qui trépassa en l’année de Notre Seigneur 1338, un dimanche du mois d’août aux deux jeudis. » Une anecdote nous éclaire sur ce « mois d’août aux deux jeudis » : le pape Benoît XII devait faire son entrée officielle dans Paris lors d’un jeudi de la semaine du 29 août (fête de saint Jean-Baptiste). Ce jeudi s’avéra malheureusement si pluvieux que la cérémonie dut être remise au lendemain. Le vendredi étant un jour religieusement maigre, Benoît XII donna l’autorisation exceptionnelle de manger de la viande afin que la liesse fût totale, et l’on baptisa ce jour « deuxième jeudi ». Si l’on en croit L’Enqueste de Guillaume Coquillart, cette semaine était encore connue en 1470 comme la semaine des deux jeudis.
En 1532, Rabelais nous parle, lui, d’une sepmaine des troys jeudis. Il la donne comme célèbre et prétend, de manière aussi comique que fumeuse, qu’elle s’explique par des irrégularités bissextiles :
« En ycelle les Kalendes feurent trouvées par les breviaires des Grecz. Le moys de mars faillit en Karesme, et fut la my oust en may. On moys de octobre, ce me semble, ou bien de septembre (affin que je ne erre, car de cela me veulx je curieusement guarder) fut la sepmaine, tant renommée par les annales, qu’on nomme la sepmaine des troys jeudis : car il y en eut troys, à cause des irréguliers bissextes, que le soleil bruncha quelque peu […] » (Pantagruel, ch. I, De l’origine et antiquité du grand Pantagruel).
Ces jeudis deviennent quatre au XIXe siècle, l’expression étant attestée en 1866 chez Delvau avec cette plaisante définition : « Semaine des quatre jeudis : semaine fantastique, dans laquelle les mauvais débiteurs promettent de payer leurs dettes, les femmes coquettes d’être fidèles, les gens avares d’être généreux, etc. […]. On a dit aussi, au XVIIe siècle : La semaine des quatre jeudis, trois jours après jamais. »
L’affaire est entendue : la semaine des quatre jeudis se situe soit à la Saint-Glinglin (voir infra), soit aux calendes grecques !
Prendre des vessies pour des lanternes
Pour une erreur grossière, c’est une erreur grossière : on ne saurait se tromper plus lourdement. L’expression apparaît dès le XIIe siècle, aux dépens des médecins de Salerne (en Campanie) considérés comme de fieffés bonimenteurs : « Icel qui vient devers Salerne/Lor vend vessies por lanternes » (Guyot de Provins, La Bible Guiot, vers 1200).
Pierre Guiraud a voulu expliquer la locution en prenant le mot vessie au double sens de « blague » (blague à tabac et mensonge ou plaisanterie) et le mot lanterne dans un ancien sens figuré, « conte à dormir debout, baliverne ». Duneton (2001) réfute cette hypothèse et avance une explication beaucoup plus simple et concrète : on gonflait autrefois les vessies de porc ou de bœuf pour en faire des sortes de ballons que l’on faisait sécher ; ces vessies servaient ensuite de récipients ou de lumignons, cette dernière utilisation étant déjà attestée chez le poète latin Martial : « Pour n’être point de corne, en suis-je plus obscure ? Et les passants soupçonnent-ils que je ne suis qu’une vessie ? » (Livre XIV, Épigramme LXII). Les vessies servaient donc, accessoirement, de lanternes de fortune.
À Pâques ou à la Trinité
C’est-à-dire « peut-être jamais ». Pourtant, contrairement à la Saint-Glinglin (voir infra), Pâques et Trinité sont bien des fêtes du calendrier chrétien : l’une est célébrée entre le 22 mars et le 25 avril (fête mobile), l’autre, le dimanche après la Pentecôte qui, elle-même, a lieu le septième dimanche après Pâques. Alors ?
L’expression trouve sa justification dans une chanson enfantine, Malbrough s’en va-t-en guerre, apparue à la cour de France vers 1780 :
Il n’entend que le jour de la paye !
Comprenons : « que quand cela l’intéresse », ce qui suppose qu’il fait semblant d’être sourd s’il ne trouve aucun intérêt personnel à la conversation. Ce jour de la paye, d’un intérêt ô combien primordial, était sanctifié de façon argotique chez les ouvriers sous le nom de Sainte-Touche (Delvau, 1866), la veille étant le jour de Sainte-Espérance.