De qui grand-mère parlait-elle quand elle prétendait qu’il ou elle était bête à manger du foin ? Bien qu’il y ait prescription et par respect pour les descendants, je garderai le silence.
Imbécile heureux
Entendons « imbécile et heureux de l’être », donc absolument incurable. On peut aussi considérer que l’imbécile, n’ayant pas conscience du caractère tragique de la vie, est heureux de vivre, malgré ou grâce à son imbécillité. À propos, qui a dit : « L’optimiste est un imbécile heureux, le pessimiste un imbécile malheureux » ? Georges Bernanos dans La Liberté, pour quoi faire ? (Gallimard, 1953).
Qu’il soit heureux ou malheureux, l’imbécile est étymologiquement celui qui manque de soutien, qui est donc physiquement faible puisque le latin imbecillus est dérivé de im bacilum (diminutif de baculum), littéralement « sans bâton ». C’est ce sens qui prévalait dans la locution « le sexe imbécile », synonyme au XVIIe siècle de « sexe faible » et que l’on trouve, entre autres, dans l’Œdipe de Pierre Corneille (1659) : « Le sang a peu de droits dans le sexe imbécile » (acte I, sc.3).
C’est ce même sens de faiblesse physique que l’on trouve chez Pascal (1623–1662) quand il écrit : « L’homme, imbécile ver de terre » (Pensées, 1657).
Équivalent de « débile » (originellement : « qui manque de force physique »), il a, comme lui, glissé du sens physique au sens intellectuel pour désigner une personne dépourvue d’intelligence.
Médicalement parlant, un imbécile est un arriéré dont l’âge mental est intermédiaire entre celui de l’idiot (2 ans) et celui du simple débile (7 ans). Qu’il soit heureux semble donc logique puisque le bonheur est souvent lié à l’innocence, celle de l’enfant.
Être bon pour Lafond
Lafond est aujourd’hui un quartier de La Rochelle. Au XIXe siècle, c’était un village situé aux portes de la ville. En 1829 y fut construit un asile d’aliénés (devenu l’hôpital psychiatrique Marius-Lacroix). La Rochelle étant le chef-lieu de la Charente-Maritime (Charente-Inférieure jusqu’en 1946), Lafond devint rapidement, pour tout le département, la référence absolue en matière d’établissements pour malades mentaux. Les déments étaient auparavant accueillis à l’hôpital général de La Rochelle ou dans les hospices de Rochefort et de Saintes. En langage populaire, on ne parlait pas d’asile d’aliénés et encore moins d’hôpitaux psychiatriques, mais, de manière assez peu nuancée, d’asiles de fous. On en craignait les mauvais traitements qui conjuguaient flagellation, opium et camisoles de force. Devoir être interné à Lafond pour y terminer ses jours (car la folie était tenue pour inguérissable) était donc une perspective peu réjouissante et l’on préférait tourner la chose en dérision. « Ils finiront par m’envoyer à Lafond », disait parfois grand-mère, lasse de notre incessante turbulence ou fatiguée d’être tournée en bourrique ou, quand l’un de nous faisait le zèbre : « Il est bon pour Lafond ! » Bref, Lafond était aux Charentais maritimes ce que Sainte-Anne était aux Parisiens (voir infra).
Saint Couillon, priez pour nous !
Que la chose soit claire, ma grand-mère était trop bien élevée pour admettre cette expression dans son vocabulaire. Elle était pourtant bien en usage du temps de notre enfance et si ce n’était grand-mère, c’était donc nos frères aînés ou nos parents qui nous la servaient pour souligner, qui nos comportements, qui nos propos benêts, simplistes ou naïfs. Dans cette famille athée, c’était, avec saint-frusquin et Saint-Glinglin, l’un des rares saints que l’on invoquait : non seulement il nous confrontait à notre niaiserie, mais il était aussi un moyen de railler la religion et les bigotes. D’ailleurs, à y bien réfléchir, je me demande si le saint Couillon en question n’était pas la version vulgaire d’un saint un peu plus convenable, inventé en 1769 par le malicieux Voltaire pour donner cours à son anticléricalisme : saint Cucufin. Le saint fantaisiste, qui vient d’être l’objet d’un service à la cathédrale de Troyes, descend du ciel « dans une nuée éclatante ». Il veut défendre un pauvre paysan contre les foudres du clergé local : le bougre a osé travailler le dimanche et pour l’en punir on veut détruire son semoir ! Le bon Cucufin s’adresse en ces termes au gardien des capucins : « Ne casse point le semoir de ce bon homme ; […] il travaille pour les pauvres après avoir assisté à la sainte messe. C’est une bonne œuvre […] ; va dire de ma part à monseigneur l’évêque qu’on ne peut mieux honorer les saints qu’en cultivant la terre. […] Gloire à Dieu et à saint Cucufin. »
Être bon pour Sainte-Anne
Sainte-Anne est l’équivalent parisien du Lafond rochelais (voir supra).
En plaisantant, on a souvent dit, surtout à la fin du XIXe siècle, « être bon pour Charenton » pour « être bon pour l’asile », « être fou ». L’asile de Charenton (aujourd’hui Charenton-le-Pont Saint-Maurice, dans le Val-de-Marne) fut en effet l’un des plus anciens et des plus célèbres asiles psychiatriques. Fondée en 1641 par les Frères de la Charité (ou Frères hospitaliers), ordre institué en 1540 par le religieux portugais saint Jean de Dieu, la Maison royale de Charenton a accueilli des « handicapés mentaux » dès le XVIIIe siècle ainsi que certains prisonniers célèbres comme le marquis de Sade qui, d’ailleurs, y mourut. En 1651 fut créé à Paris un nouvel asile d’aliénés, tout aussi célèbre, qui prit le nom de Sainte-Anne. L’expression « être bon pour Sainte-Anne » vit donc aussi le jour. L’hôpital de Charenton fut reconstruit et devint en 1838 l’hôpital Esquirol, du nom de son concepteur. Une maternité y fut adjointe en 1920. De son côté, Sainte-Anne est devenu un important hôpital psychiatrique où des sommités telles que Jacques Lacan ou Jean Delay ont exercé.
Le centre hospitalier Sainte-Anne fut ainsi nommé en hommage à celle qui, selon les Évangiles apocryphes, aurait été la mère de la Vierge Marie et dont le culte connut une grande ferveur au Moyen Âge.
Être tabaillot
Ou tabaillaud ou encore tabayaud, l’orthographe ne pouvant qu’être phonétique puisqu’il s’agit d’un régionalisme que seuls les Saintongeais, les Poitevins, les Angoumoisins et les Vendéens connaissent. On est tabaillot quand on a le cerveau dérangé, quand on est azimuté, barjo, cinglé, fada, frappé, sinoque, toqué, zinzin, etc. L’origine du mot est inconnue, mais il semble bien que la racine tab- soit fréquemment associée à l’idée de folie puisqu’on trouve, avec le sens d’idiot, de simple d’esprit, taberlo en Ardèche, taborniau et taberlé en Savoie et Suisse romande. Dans le Dictionnaire de la langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle (1881) de Frédéric Godefroy, plusieurs mots commençant par tab- sont associés aux notions de frappe et de bruit :