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Elle longea le champ jusqu’à sa lisière boisée, et revint sur ses pas. La sensation diffuse de déséquilibre qui l’avait saisie au sortir de la montagne, cette sensation de menace et d’ouverture, d’appréhension et de liberté, ne la quittait pas. La voix de Lawrence l’avait apaisée, tout à l’heure. L’entendre lui rappelait Saint-Victor, les hauts murs du village perché, les ruelles serrées, les montagnes puissantes, encadrantes, la vue bouchée. Là-bas, tout lui semblait prévu, attendu. Mais ici, tout paraissait confus, et possible. Camille fit la moue, étendit ses bras comme pour faire tomber cette crainte à bas de son corps. C’était la première fois qu’elle redoutait le possible et ce réflexe de défense lui déplaisait. Elle avala le verre du Veilleux d’un coup.

Elle monta se coucher la dernière, vers une heure du matin. Elle se glissa entre Soliman et le Veilleux puis écarta avec précaution la bâche grise, surveillant la respiration d’Adamsberg. Elle posa sans un bruit ses bottes au sol, se déshabilla en silence et s’allongea. Adamsberg ne dormait pas. Il ne bougeait pas, il ne parlait pas, mais elle sentait ses yeux grands ouverts. La nuit était moins noire que la veille. Si elle avait tourné le regard, elle aurait distingué son profil. Mais elle ne le tourna pas. C’est dans cette immobilité crispée qu’elle finit par s’endormir.

Elle fut réveillée quelques heures plus tard par la sonnerie du portable. À la lumière qui filtrait sous les bâches des claires-voies, elle estima qu’il devait être moins de six heures du matin. Elle referma les yeux à moitié, vit Adamsberg se lever sans hâte, poser les deux pieds nus sur le sol merdique de la bétaillère, sortir le portable de la poche de sa veste suspendue à la mangeoire. Il murmura quelques mots, raccrocha. Camille attendit qu’il eût enfilé ses habits pour demander ce qui se passait.

— Un nouveau meurtre, murmura-t-il. Bon Dieu. Quel carnage, ce type.

— Qui a appelé ? demanda Camille.

— Les flics de Grenoble.

— Où ça s’est passé ?

— Où on avait dit. Ici, à Bourg.

Adamsberg se coiffa avec les doigts, souleva la bâche et sortit du camion.

XXVIII

Il rejoignit les flics de Bourg à la place du Calvaire. On était en limite de ville, presque à la campagne, au carrefour de trois routes secondaires. Une croix de pierre marquait l’emplacement. Les flics s’activaient autour du corps d’un homme de soixante-dix ans environ, égorgé et déchiré à l’épaule.

Le commissaire Hermel, un homme aussi petit qu’Adamsberg, portant moustaches tombantes et lunettes accrochées à de grandes oreilles, s’avança pour lui serrer la main.

— On m’a prévenu que vous suiviez ça depuis l’origine, dit-il. Heureux de pouvoir bénéficier de votre aide.

Hermel était un homme souple, cordial, que la concurrence éventuelle d’Adamsberg ne gênait pas. Adamsberg lui donna rapidement les informations qu’il possédait. Hermel l’écoutait, tête penchée, frottant sa joue.

— Ça correspond, dit-il. En plus des blessures, on a une empreinte de patte assez nette à gauche du corps, grande comme une soucoupe. Un vétérinaire doit venir examiner tout cela. Mais c’est dimanche, tout le monde a du retard.

— À quelle heure ça s’est produit ?

— Vers deux heures du matin.

— Qui l’a découvert ?

— Un gardien de nuit qui rentrait.

— On sait déjà qui c’est ?

— Fernand Deguy, un ancien guide de montagne. Il est retiré à Bourg depuis une quinzaine d’années. Sa maison est tout près d’ici. Je viens de faire prévenir sa famille. Vous parlez d’une catastrophe. Bouffé par un loup.

— On a une idée de ce qu’il faisait là ?

— On n’a pas encore questionné sa femme à fond. Elle est hors d’état. Mais le gars était un couche-tard. Quand il n’y avait rien à voir, il partait faire un tour dans la campagne.

Hermel désigna les collines d’un geste circulaire.

— À voir où ? demanda Adamsberg.

— À la télé.

— Hier, intervint un lieutenant, il n’y avait rien. C’est samedi soir. Je la regarde quand même, c’est mon seul soir de tranquille.

— Il aurait mieux fait de t’imiter, dit Hermel d’un ton pensif. Au lieu de ça, il est parti dans la nature. Et il a croisé l’homme qu’il ne fallait pas.

— Vous pourriez me rassembler le maximum d’informations sur la vie de ce type ? demanda Adamsberg.

— À quoi ça pourrait servir ? dit Hermel. C’est tombé sur lui. Ça aurait pu tomber sur un autre.

— C’est ce que je me demande. Vous pourriez faire ça, Hermel ? Ramasser tout ce que vous pouvez ? Ceux de Villard-de-Lans font de même avec Sernot. On confrontera.

Hermel secoua la tête.

— Le pauvre vieux était là au mauvais moment, dit-il. À quoi ça mènera de savoir quand il a eu sa première paire de skis ?

— Je ne sais pas. J’aimerais qu’on le fasse.

Hermel réfléchit. Il connaissait Adamsberg de réputation. Sa requête lui paraissait inepte mais il ferait ce qu’il demandait. Un collègue lui avait dit qu’Adamsberg paraissait souvent inepte. Et puis ce flic lui revenait.

— Comme vous voudrez, mon vieux, dit Hermel. On va monter le dossier.

— Commissaire, dit le lieutenant en revenant, il y avait ça dans l’herbe, à côté du corps. C’est tout neuf.

La paume tendue, le lieutenant lui présenta une boulette de papier bleu froissé. Le commissaire enfila ses gants, la déplia.

— Du papier, commenta-t-il d’un ton maussade. Une publicité peut-être. Ça vous dit quelque chose, mon vieux ?

Adamsberg l’attrapa du bout des ongles, l’examina.

— Vous allez parfois à l’hôtel, Hermel ? demanda-t-il.

— Ouais.

— Vous voyez, dans la salle de bains, tous ces petits gadgets qu’on se met dans la poche ?

— Ouais.

— Des micro-savons, des micro-cirages, des micro-dentifrices, des micro-tissus nettoyants pour les mains. Vous voyez ça ?

— Ouais.

— Toutes ces saletés qu’on embarque en partant ?

— Ouais.

— Eh bien c’est ça. C’est un sachet de micro-tissu nettoyant. Ça vient d’un hôtel.

Hermel reprit le papier froissé, chaussa ses lunettes et l’examina de plus près.

— « Le Moulin », lut-il. Il n’y a pas d’hôtel du Moulin à Bourg.

— Faudrait chercher dans les environs, dit Adamsberg. Faudrait faire vite.

— Pourquoi vite ?

— Parce qu’on aurait des chances de trouver la chambre où Massart a dormi.

— Il ne va pas s’envoler, l’hôtel.

— Mais ce serait bien mieux d’arriver avant qu’on ait fait le ménage.

— Vous croyez que ce truc appartient au tueur ?

— C’est possible. C’est un truc qu’on fourre dans sa poche et qui ne tombe que si on se penche vraiment. Qui viendrait se pencher vraiment à cet endroit, au pied de cette croix ?

À dix heures du matin, on localisait un Hôtel du Moulin à Combes, à près de soixante kilomètres de Bourg. Une voiture démarra en trombe du commissariat, emportant Hermel, Adamsberg, le lieutenant et deux techniciens.

— Avisé, commenta Adamsberg. Il tue sur son itinéraire, mais il se planque très en arrière. On peut toujours se brosser pour le chercher sur sa route. Il est partout.

— Si c’est lui, dit Hermel.