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— C’est bien possible. Mais je préférerais qu’on aille à Belcourt ce soir. Le bourg n’a pas l’air grand. S’il y a une croix plantée quelque part, on la trouvera, et on se postera là.

— Je n’y crois pas, dit Soliman.

— Moi si, dit soudain Lawrence. Pas certain, mais très possible. Bullshit. A fait assez de morts comme ça.

— Si on le gêne à Belcourt, dit Soliman en se tournant vers le Canadien, il ira tuer ailleurs.

— Pas sûr. A des idées fixes.

— C’est des moutons qu’il cherche, dit Soliman.

— A pris goût aux hommes, dit Lawrence.

— Tu disais qu’il s’en prendrait aux femmes, dit Camille.

— Me suis gouré. S’en prend pas aux femmes pour les consommer, s’en prend aux hommes pour se venger. Revient un peu au même.

Il n’y avait aucune sorte de croix à Belcourt, ni dans les chemins environnants. Camille gara la bétaillère en bordure d’un terrain municipal planté de jeunes pruniers, à l’entrée de la départementale qui traversait la petite ville. Adamsberg les avait devancés pour prévenir l’équipe de garde de la gendarmerie.

Soliman l’attendait seul. Les agissements du commissaire le déconcertaient, ses démonstrations incomplètes le laissaient incrédule. Mais son scepticisme n’entamait pas la loyauté qui l’avait attaché à Adamsberg dès les premières heures. Par logique, par raison, Soliman luttait contre lui. Mais par nature, il s’associait à ses actes, sinon à ses pensées, faute de pouvoir les discerner clairement.

— Comment sont les gendarmes ? lui demanda-t-il quand Adamsberg revint au camion, vers minuit.

— Bonne cuvée, dit Adamsberg. Coopérants. Ils vont tenir le bourg sous surveillance jusqu’à nouvel ordre. Où sont les autres ?

— Le Veilleux est sous un prunier, là-bas. Il boit un coup de blanc.

— Les autres ? insista Adamsberg.

— Partis en balade. Le trappeur a dit à Camille qu’il voulait être seul avec elle.

— Bien.

— Je suppose qu’ils en ont le droit, pas vrai ?

— Oui, bien sûr que oui.

— Oui, répéta Soliman.

Il décrocha la mobylette, mit le moteur en route.

— Je vais en ville, dit-il. Voir s’il y a un café ouvert.

— Il y en a un, derrière la mairie.

Soliman s’éloigna sur la route. Adamsberg monta dans le camion, examina le cierge qui, en sept heures, avait brûlé sur plus de la moitié. Il le souffla, prit un tabouret et un verre et rejoignit le Veilleux, qu’on distinguait au bout du champ, assis tout droit dans l’ombre, à cinquante mètres de là.

— Assieds-toi, mon gars, dit le Veilleux à son approche.

Adamsberg cala le tabouret à ses côtés, s’assit, tendit son verre.

— La ville est sous surveillance, dit-il. Si Massart se pointe, il risque gros.

— Alors il se pointera pas.

— C’est ce qui me soucie.

— T’avais qu’à pas leur donner l’itinéraire, mon gars.

— C’était le seul moyen de savoir.

— Ouais, dit le Veilleux en remplissant le verre. J’ai pigé la ruse. Mais l’homme est un loup-garou, mon gars. C’est bien possible qu’il choisisse ses victimes, je ne te dis pas non. Sûr qu’il a dû se faire des ennemis quand il était rempailleur. Mais il les tue en loup-garou. C’est ça, le truc. Tu verras quand on le pincera.

— Je verrai.

— Pas certain qu’on le pince. M’est avis qu’on va attendre un bout de temps.

— Eh bien on attendra. On attendra tout le temps qu’il faudra. Ici. Sous ce prunier.

— Exactement, mon gars. On l’attendra. Et s’il le faut, on restera ici jusqu’au bout de la vie.

— Pourquoi pas ? dit Adamsberg d’un ton un peu désabusé.

— Seulement, si on l’attend, faudra penser à trouver du pinard.

— On y pensera.

Le Veilleux avala une gorgée.

— Ces motards de l’autre jour, reprit-il, faudra aussi y penser.

— Je n’oublie pas.

— C’est de la vermine. Sans le fusil, ils massacraient mon Soliman et ils bousillaient ta Camille. Crois-moi.

— Je te crois. Ce n’est pas ma Camille.

— T’aurais pas dû m’empêcher de tirer.

— Mais si.

— J’aurais visé aux jambes.

— Je ne crois pas.

Le Veilleux haussa les épaules.

— Tiens, dit-il. Les voilà qui rentrent. La jeune femme et le trappeur.

Le Veilleux suivit des yeux les silhouettes claires qui avançaient sur la route. Camille grimpa la première dans le camion et Lawrence s’arrêta devant les vantaux, hésitant.

— Qu’est-ce qu’il fout ? dit le Veilleux.

— L’odeur, suggéra Adamsberg. Le suint.

Le berger grommela quelque chose, surveillant le Canadien d’un œil un peu hautain. Lawrence parut prendre une décision, jeta ses cheveux en arrière et monta d’un bond dans le camion, comme un homme qui plonge.

— Paraît qu’il est triste parce que le vieux loup dont il s’occupait, eh bien il est mort, reprit le Veilleux. Voilà à quoi ils s’occupent, dans le Mercantour. À nourrir les vieux. Paraît qu’il va repartir au Canada aussi. C’est pas la porte à côté.

— Non.

— Il va essayer de l’emmener.

— Le vieux loup ?

— Le vieux loup est mort, je te dis. Il va essayer de l’emmener, Camille. Et elle, elle va essayer de le suivre.

— Sans doute.

— Ça aussi, faudra y penser.

— Ça ne te regarde pas, le Veilleux.

— Tu vas dormir où, cette nuit ?

Adamsberg haussa les épaules.

— Sous ce prunier. Ou dans ma voiture. Il ne fait pas froid.

Le Veilleux acquiesça, remplit les deux verres, et se tut.

— Tu l’aimes ? demanda-t-il de sa voix sourde, après plusieurs minutes de silence.

Adamsberg haussa de nouveau les épaules, sans répondre.

— Je m’en fous que tu te taises, dit le Veilleux, je n’ai pas sommeil. J’ai toute la nuit pour te poser la question. Quand le soleil se lèvera, tu me trouveras là, et je te la reposerai, jusqu’à ce que tu me répondes. Et si, dans six ans, on est toujours là, tous les deux, à attendre Massart sous le prunier, je te le demanderai encore. Je m’en fous. J’ai pas sommeil.

Adamsberg sourit, avala une gorgée de vin.

— Tu l’aimes ? demanda le Veilleux.

— Tu m’emmerdes avec ta question.

— Ça prouve que c’est une bonne question.

— Je n’ai pas dit qu’elle était mauvaise.

— Je m’en fous, j’ai toute la nuit. J’ai pas sommeil.

— Quand on pose une question, dit Adamsberg, c’est qu’on a déjà la réponse. Sinon, on la boucle.

— C’est vrai, dit le Veilleux. J’ai déjà la réponse.

— Tu vois.

— Pourquoi tu la laisses aux autres ?

Adamsberg resta silencieux.

— Je m’en fous, dit le Veilleux. J’ai pas sommeil.

— Merde, le Veilleux. Elle n’est pas à moi. Personne n’est à personne.

— Finasse pas avec ta morale. Pourquoi tu la laisses aux autres ?

— Demande au vent pourquoi il ne reste pas sur l’arbre.

— Qui est le vent. Toi ? Ou elle ?

Adamsberg sourit.

— On se relaie.

— Ce n’est pas si mal, mon gars.

— Mais le vent s’en va, dit Adamsberg.

— Et le vent revient, dit le Veilleux.

— C’est ça, le problème. Le vent revient toujours.

— Le dernier verre, avertit le Veilleux en examinant la bouteille dans l’obscurité. Faut qu’on se rationne.