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Malko eut une pensée pour Bruce Kearland. Pourvu qu’il ne soit pas trop gravement blessé.

* * *

L’énorme fort des Khyber Rifles dominant la route était le dernier avant la frontière. Le blason du Régiment s’étalait à leur gauche peint sur les roches arides de ce paysage impressionnant. Malko dégoulinait de sueur et avait dû récupérer son pistolet descendu au fond de son « pyjama ». Le silence devenait pesant. Dans ce décor grandiose, les quelques rares Pachtous qui se déplaçaient à pied, fusil à l’épaule, semblaient minuscules. La Colt franchit la voie de chemin de fer et Rassoul se retourna, montrant quelques maisons presque de la même couleur que la montagne.

— Landikotal !

Des bus débarquaient leur cargaison disparate en face de petits boutiquiers et d’ânes résignés. Ils stoppèrent, bloqués par la manœuvre d’un bus. Landikotal ressemblait à tous les villages pachtous, avec son grouillement de turbans et de fusils. Pas une femme. Le guide-interprète se retourna, une fois de plus :

— Pas sortir voiture !

Il alla chercher un Pepsi-Cola tiède, puis se fondit dans la foule. Des camions traversaient Landikotal à grands coups de Klaxon, peinturlurés, chromés, descendant sur Peshawar. Rassoul réapparut, l’air soucieux, dit un mot au chauffeur et ils repartirent. Au milieu du village, un militaire en uniforme, le chef surmonté d’une aigrette rouge, déplacé au milieu de la foule pouilleuse, réglait, imperturbable la circulation dans l’indifférence générale.

— Que faisons-nous ? demanda Malko.

— Nous attendons celui avec qui nous avons rendez-vous, expliqua Rassoul. Il faut faire attention. Nous sommes sur le territoire de Khaled Khan et nous ne lui avons pas demandé la permission.

— Qui est-ce ?

— Un chef de tribu pachtou.

— Que peut-il faire ?

— Il risque de nous tuer, fit Rassoul avec une simplicité pleine de sincérité, frottant son nez tordu d’un air inquiet.

C’était un pays où on ne badinait pas avec les traditions. Discrètement, Malko posa la main sur la crosse de son pistolet. Elko s’était renfrogné. Si ça tournait mal, leurs chances étaient minces.

Ils s’enfoncèrent encore plus dans le village, stoppèrent entre deux camions, et Rassoul disparut encore. Heureusement, personne ne paraissait se soucier d’eux. Quelques Pachtous buvaient du thé à l’ombre, en examinant un vieux fusil. Un camion plein de thé passa en grondant, montant vers Torkham. Le trafic commercial était libre entre les deux pays.

Malko sursauta soudain. Il venait d’apercevoir Rassoul, marchant sous les arcades de la place voisine. Seulement, il n’était pas seul ! Deux grands gaillards, fusils à la main, l’encadraient. Les trois venaient vers la Mitsubishi. Le malheureux « interprète » ne semblait pas en mener large. Malgré l’interdiction qui lui avait été faite, Malko sortit de la voiture.

— Ce sont hommes de Khaled Khan, bredouilla Rassoul en anglais. Ils croient moi policier, chercher laboratoire d’héroïne. Eux très colère…

Les deux malabars roulaient des yeux furieux, jetant des regards intrigués à Malko qui, en dépit de son turban, n’avait vraiment pas l’air d’un Pachtou… Rassoul intervint et se lança dans une grande explication. Sans un mot, les deux Afghans à Kalachnikov se déplièrent et prirent position hors de la voiture, leurs armes ostensiblement à la main. C’était OK Corral. L’apparition des Kalachnikovs sembla pourtant détendre l’atmosphère. Un des deux malabars posa même une question d’un ton poli à un des gardes du corps de Malko et tendit aussitôt son arme, soulignant la marque de fabrique en chinois. Il sembla immédiatement monter dans l’estime de l’autre. Rassoul souffla à Malko :

— C’est mieux. Seulement mudjahidins ont Kalachnikovs.

La réconciliation se solda par une tournée de Sprite et de Pepsi tièdes. Mais Rassoul avertit Malko :

— Ils veulent quand même nous partir. Sinon, eux ennuis.

— Impossible, dit Malko, nous sommes venus chercher quelqu’un qui est gravement blessé.

Rassoul se balançait d’un pied sur l’autre, nerveux, caressant sa barbiche.

— Oui, oui, fit-il, mais homme du rendez-vous pas là… C’est dangereux.

Les deux malabars sirotaient leur Pepsi. Un bus passa, dans un nuage de poussière.

— Si nous restons, d’autres hommes de Khaled Khan vont venir, insista Rassoul.

— Et alors ? fit Malko agacé.

— Ils nous tueront, répéta Rassoul de sa voix douce et résignée. Ici, l’armée pas pouvoir. Pachtous très forts. Nous prisonniers et eux demander rançon…

Combien la CIA paierait-elle pour récupérer Malko ? Rassoul mourait visiblement de peur. Malko savait que les hommes de Sayed Gui se battraient, mais à quoi bon déclencher une bataille rangée ? Il eut alors recours au plus vieil argument du monde. Tirant un billet de cent roupies de sa poche, il le fourra dans la main d’un des Pachtous. Un sourire ravi fleurit aussitôt sur le visage buriné. Il venait de se faire un ami. Les deux hommes échangèrent quelques mots et s’éloignèrent après un salut cérémonieux. Malko se tourna vers Rassoul :

— Si dans une heure, notre contact n’est pas là, nous repartirons. En attendant, cherchez-le. Je ne bougerai pas d’ici.

Il y avait un problème supplémentaire. Comment redescendre jusqu’à Peshawar un homme gravement blessé dans la Colt déjà bourrée ? Où était la seconde voiture promise ?

Rassoul s’était de nouveau fondu dans la cohue. L’attente recommença. Malko flâna un peu le long des boutiques, de plus en plus inquiet. Le convoi de sauvetage pouvait avoir pris plusieurs heures de retard. Ou même une journée. Dans ce cas, que faire ? Les deux Afghans s’étaient accroupis à même le trottoir à côté d’un mulet, indifférents au brouhaha. L’un d’eux sortit son nashwar[15] et se mit à mastiquer lentement. Une femme, fantôme noir, glissa rapidement le long d’un mur. Des coups de feu claquèrent, pas très loin. Une bagarre ? L’essai d’une arme ? Personne ne broncha, pas même le soldat à aigrette. L’ambiance pesante de ce village isolé dans ce décor aride finissait par vous oppresser. Une boutique d’armes exposait des fusils aux crosses flambant neuf, copie des vieux Lee-Enfield britanniques, de curieuses mitraillettes imitées des Stein et des revolvers grossiers, sûrement plus dangereux pour le tireur que pour la cible. La sueur dégoulinait du turban de Malko et il mourait d’envie de l’arracher. Enfin, Rassoul réapparut.

— J’ai trouvé ! annonça-t-il.

Il dit quelques mots au chauffeur et ils s’engagèrent dans une étroite ruelle courant parallèlement à la rue principale. Ils cahotaient sur les pierres aiguës et stoppèrent enfin, en face d’un terrain vague. C’était un cul-de-sac. Quelques maisons de pierre à moitié démolies. Malko aperçut un homme accroupi dans un coin d’ombre : celui qui était venu prévenir Sayed Gui.

— Vous voyez la maison avec l’âne devant. Votre ami est à l’intérieur, annonça Rassoul.

Malko sauta hors de la voiture. Le soleil le frappa comme un coup de poing. Il se retourna pour dire à Rassoul de l’accompagner.

Au même moment, une détonation claqua. Le pare-brise de la Colt devint opaque et la lunette arrière vola en éclats.

* * *

Les autres occupants giclèrent en même temps du véhicule, s’abritant derrière des pans de mur. Un des Afghans fut le premier à riposter. La rafale de sa Kalachnikov fit jaillir des petits nuages de poussière, à une centaine de mètres, le long d’une maison en ruines. L’alignement des impacts dont le pare-brise et la lunette arrière donnaient la direction approximative du coup de feu.

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15

Tabac à chiquer.