Выбрать главу

Malko s’élança en avant, suivi de Krisantem et cria à Rassoul, aplati derrière un tas de cailloux :

— Dites-leur de nous couvrir !

Le petit barbichu lança un ordre aux deux mudjahidins qui se mirent à tirer rafale sur rafale. Sans s’attirer la moindre réplique ! Et soudain, Malko vit une silhouette qui courait à toutes jambes, dégringolant une pente raide menant au centre de Landikotal. Hors de vue des tireurs aux Kalachnikovs et trop loin pour son modeste pistolet.

Il tira malgré tout, priant pour que l’arme ne lui explose pas dans la main. Après les claquements assourdissants de Kalachs, ce fut deux petits pets ridicules, et le fugitif n’en courut que plus vite. Elko Krisantem vida la moitié du chargeur de son Astra sans plus de résultat et l’homme disparut. Quand ils arrivèrent à l’endroit d’où les coups de feu avaient été tirés, Malko aperçut un fusil posé par terre. Il le ramassa. C’était une arme de fabrication artisanale, copie d’un Lee-Enfield, tout neuf, la culasse ouverte. Il comprit aussitôt pourquoi un seul coup de feu avait été tiré : l’étui vide de la cartouche tirée était encore dans la chambre de l’arme, car la griffe d’éjection avait cassé tout de suite.

Il essuya son front dégoulinant de sueur, et revint vers la voiture. Les coups de feu semblaient n’avoir alerté personne. Rassoul penché sur le pare-brise détruit, était plongé dans une discussion animée avec le chauffeur.

— Il pouvait nous tuer ! fit-il.

La balle était passée entre les six hommes, à quelques centimètres de la tête de Malko et de Rassoul. Les deux Afghans, des chargeurs neufs dans leurs Kalachs, guettaient les murs autour d’eux.

— Je dis très dangereux, fit Rassoul d’un ton larmoyant. Sûrement hommes de Khaled Khan.

Malko jeta le fusil dans le coffre de la Colt. Il se sentait mal à l’aise dans ce monde bizarre, impénétrable. Il avait hâte de récupérer Bruce Kearland et de filer sur Peshawar. L’âne, en face de la maison où devait se trouver l’Américain, n’avait pas bronché, accoutumé aux coups de feu. Le petit messager qu’il avait vu dans le bureau de Sayed, plus prudent, s’était abrité. Il réapparut, époussetant ses vêtements.

— Allons-y, dit Malko. Qu’un des hommes garde la voiture.

Par précaution, il garda son pistolet à la main. Tout était redevenu calme, à part les cailloux qui roulaient sous leurs pieds. Le silence était absolu. La montagne désertique commençait juste après la maison où ils allaient. Rassoul, le turban de travers, semblait mort de peur. Malko était moins anxieux. Ceux qui avaient monté cette embuscade n’auraient pas le temps de recommencer immédiatement. Il se retourna avant d’entrer dans la maison. Le chauffeur essayait de colmater le trou du pare-brise et le mudjahid ramassait les douilles éparses tirées par les Kalachnikovs. Économe.

Son regard balaya le paysage grandiose dominant le petit bourg. Un minuscule fort, construit au sommet d’un piton semblait narguer d’éventuels assaillants. À perte de vue, des pentes abruptes se chevauchaient, rocailleuses, inhospitalières, prenant avec l’éloignement une teinte mauve. Très loin, quelques mulets avançaient lentement le long d’une ligne de crête.

C’était une petite maison aux murs très épais, troués de meurtrières, comme toutes les demeures pachtous. Malko et son groupe traversèrent un patio où plusieurs hommes se reposaient sous une tente marron allongés sur des tapis, l’air fourbu, pas le moins du monde troublés par la fusillade. Sûrement l’escorte de Bruce Kearland. Il aperçut le museau pointu d’une roquette RPG7 sortant d’un sac et un âne avec un édredon rose taché de sang. Probablement la monture de l’Américain.

Le petit Afghan au visage émacié écarta un rideau et ils pénétrèrent dans une pièce très sombre, où régnait une relative fraîcheur, avec un plafond très bas. Une odeur d’épices et de tabac flottait dans l’air. Un homme était allongé sur des coussins dans le coin le plus éloigné de la porte.

Malko s’approcha et ne vit d’abord qu’un visage amaigri, émacié, aux pommettes creuses, plein de taches de rousseur. L’homme respirait par saccades et des perles de sueur coulaient de son front, le teint était blafard, verdâtre, les narines pincées. Le jeune messager écarta la couverture qui cachait son corps, découvrant un énorme pansement sale qui lui barrait tout le ventre et se lança dans de grandes explications traduites au fur et à mesure par Rassoul.

— Il y a douze jours qu’il a été touché par la roquette d’un hélicoptère, expliqua ce dernier. Il est resté trois jours dans une grotte, puis on l’a transporté à dos de mulet. Il n’y avait rien pour le soigner là-bas. Seulement des sulfamides. Il souffre beaucoup. On n’a pas osé le mettre dans un bus pour que les « shuravis[16] » ne le kidnappent pas.

Malko s’accroupit près du blessé. Une odeur nauséabonde s’élevait du pansement. Pas bon signe. Il effleura le visage livide et appela :

— Bruce, can you hear me[17] ?

L’Américain ouvrit les yeux. Son regard brouillé se posa sur Malko, sans réaction, puis ses yeux se refermèrent comme si le poids des paupières était trop lourd. Malko lui toucha le front et prit son pouls. Au moins cent vingt. Infection généralisée. Il était mourant… Il se pencha de nouveau.

— Bruce, dit-il. It’s gonna be all right[18].

Entendant parler sa langue, l’Américain fit un effort et murmura :

— Où suis-je ?

— Landikotal, dit Malko, Landikotal… dans une heure vous serez dans un hôpital, à Peshawar.

— Lan… di… ko… tal, articula lentement le blessé. Qui êtes-vous ?

— C’est Fred Hall qui m’envoie.

— Fred… Vous lui direz que… (Il s’arrêta, le visage crispé de douleur.) Il faut…

De nouveau, sa phrase resta en suspens. Malko se tourna vers Rassoul.

— Allez chercher le véhicule dont vous m’avez parlé sinon, il va mourir. Elko, accompagnez-le !

Rassoul et le Turc sortirent de la pièce. À peine avaient-ils disparu qu’une forme voilée de rouge fit son apparition. Une femme, un verre de thé à la main. Elle s’approcha du blessé, écartant Malko d’un geste autoritaire. Les deux Afghans regardaient en silence, en hommes habitués à côtoyer la mort. Pas vraiment émus. La femme essayait de faire avaler un peu de thé à Bruce Kearland. Mais le liquide coulait sur son menton. Elle se pencha sur lui, essuya son visage, puis se retourna et lança une phrase brève.

Les deux Afghans se relevèrent, faisant signe à Malko de les suivre. Elle allait probablement changer son pansement. Il ouvrit sa trousse et lui montra d’abord les antibiotiques, puis la morphine avec les seringues jetables. La femme inclina la tête. Rassuré, Malko suivit les Afghans dans la petite cour brûlante, rongé d’inquiétude. Pourvu que Bruce Kearland tienne jusqu’à Peshawar. Et qu’ils ne soient pas victimes d’une embuscade. On lui apporta un thé brûlant qu’il but sans soif, la gorge nouée. Si les hommes de Khaled Khan s’opposaient à leur départ, cela allait être une bataille rangée. Impossible de téléphoner à Peshawar… Il en était là de ses réflexions quand Rassoul suivi de Krisantem revint l’air bouleversé.

— Il faut partir tout de suite ! annonça-t-il. Khaled Khan réunit hommes contre nous. Très fâché.

Plus question de trouver un véhicule !

— Venez, Elko, nous allons le transporter dans la Colt, dit Malko.

Ils pénétrèrent dans la chambre. L’infirmière voilée avait disparu. Malko s’approcha et s’arrêta net, horrifié ! Tous les pansements de Bruce Kearland avaient été arrachés. Le manche d’un poignard émergeait de l’affreuse blessure, plongé dans les intestins de l’Américain. Il n’avait pas pu appeler au secours : on lui avait enfoncé dans la bouche un chiffon sale pour l’empêcher de crier…

вернуться

16

Les Russes.

вернуться

17

Bruce, vous m’entendez ?

вернуться

18

Bruce, ça va aller.