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— Une femme ! Mais il n’y a jamais de femmes dans l’hôtel. Vous voulez dire une étrangère ?

— Non, fit Malko. Une Afghane.

L’autre secoua la tête.

— Pas d’Afghane. Il y a des réfugiés, au troisième étage. Vous pouvez aller voir.

Ils s’engagèrent dans l’escalier étroit. L’intérieur était étonnamment frais. Ils débouchèrent sur une terrasse desservant plusieurs chambres. Toutes étaient ouvertes et vides. La chaleur était dantesque et le bruit montait de GT Road. Au loin, on apercevait la silhouette du Fort Balahisar dominant la ville avec ses drapeaux et ses vieux canons. Un nuage de poussière flottait au-dessus du bazar. Le seul être vivant sur la terrasse était un jeune homme barbu au visage doux vêtu à la pakistanaise, en train de faire sauter des tomates au-dessus d’un petit réchaud. Malko s’approcha de lui.

— Nous cherchons des réfugiés afghans, dit-il. Une femme et plusieurs hommes.

— Une femme ! fit le jeune homme d’un air choqué. Mais il n’y a pas de femme ici. Des réfugiés, il y en a beaucoup. Moi, je suis de Kabul. Toutes les chambres autour, il y en a ; mais ils sont sortis, maintenant, chercher du travail. Ils viennent le soir.

Il se remit à faire cuire ses tomates. Ils redescendirent. Malko était déçu et pourtant certain que le Friend’s Hôtel le mènerait à quelque chose.

— Nous reviendrons ce soir, dit-il à Elko Krisantem.

Dès que Malko apparut à la piscine, il remarqua la jeune Chinoise qu’il avait croisée deux jours plus tôt dans l’ascenseur, en maillot une pièce. Elle lisait à l’ombre et à l’écart. Elle lui rappela une businesswoman japonaise au charme délicat et aux longs ongles pourpres qu’il avait repéré au comptoir d’enregistrement Air France marqué « AIR FRANCE LE CLUB » du vol Paris-Karachi. Il s’était placé derrière elle, et grâce au plan de la cabine affiché, avait pu choisir un siège voisin du sien.

Plus tard, ils avaient longuement bavardé et bu dans le coin-bar du Club mais il n’avait pas réussi à la « détourner » sur Peshawar. Elle continuait sur Tokyo. Une amoureuse de la cuisine française qui snobait la Japan Airlines. Quand même, avant Karachi, elle avait donné à Malko son numéro de téléphone à Tokyo… De peu d’utilité au fond du Pakistan.

Malko laissa passer un intervalle de temps décent avant de s’approcher de la Chinoise.

— Où avez-vous trouvé ces journaux ? demanda-t-il.

Elle posa son magazine et eut un sourire joyeux.

— À Islamabad.

— Je peux vous en emprunter ?

— Bien sûr !

Un quart d’heure plus tard, il savait tout. Elle s’appelait Meili, était professeur à Shanghai, et se trouvait à Peshawar pour apprendre l’urdu et le pachtou. En attendant de trouver une maison, elle habitait l’hôtel.

Malko but d’un coup la moitié de son lime juice, observé par la jeune Chinoise. Vraiment très appétissante avec ses formes menues et fermes et son visage sensuel et rieur.

— Que faites-vous quand vous ne travaillez pas ? demanda-t-il.

— Oh, je ne sors pas de l’hôtel. C’est difficile ici pour une femme seule.

Malko sauta sur l’occasion.

— Voulez-vous que je vous emmène dîner dans le bazar ?

Elle eut un rire gêné, très oriental.

— Je ne sais pas. Je ne voudrais pas vous importuner…

— Voyons ! dit Malko. Ne soyez pas bête. Je vous prends à huit heures dans le lobby.

Ensuite, il irait au Friend’s Hôtel, interroger les réfugiés afghans. Seule piste permettant de remonter à la mystérieuse femme en rouge.

L’échappement du rickshaw se faisait directement à l’intérieur du véhicule, enveloppant Malko et Meili d’une fumée bleue nauséabonde ! Pétaradant, se faufilant dans la foule du bazar, le conducteur les déposa enfin triomphalement, à demi asphyxiés, en face du Salateen, fleuron gastronomique de Peshawar, dans Cinéma « Road. Des poulets et des brochettes cuisaient en plein air, dans une odeur de charnier et ils se hâtèrent d’emprunter l’escalier menant au premier étage, réservé aux hôtes de marque. Des petits salons permettaient de s’isoler, mais ils trouvèrent la grande salle plus amusante.

Un silence de mort accueillit l’entrée de Meili. Un grand vieillard enturbanné s’étrangla avec son lait de chèvre, les yeux fixés sur les jambes nues de la Chinoise qui se hâta de les cacher sous la table. Le patron se précipita aussitôt pour installer les deux infidèles loin des clients habituels, à cause de la contagion.

— Deux kebabs, demanda Malko.

Le patron, huileux et désolé, hocha la tête négativement.

— Nous sommes mercredi. Pas de viande. Kebab poulet seulement.

Le poulet avait dû descendre la Khyber Pass à pied, mais la sauce à base de piment rouge aurait fait passer n’importe quoi… Meili rosissait à vue d’œil, faisant glisser le tout avec des flots de Seven up. Le Salateen était pourtant le seul restaurant en dehors des gargotes à amibes du Bazar. Ils ne s’éternisèrent pas et en repartirent rassasiés, mais inquiets pour leurs estomacs. Malko profitait pleinement de ces quelques moments de détente. Elko Krisantem était resté à l’hôtel où il reviendrait le chercher avant de se rendre au Friend’s Hôtel.

Bien entendu, il n’y avait pas de taxi en plein bazar. Ils hésitèrent avant de se tasser à nouveau dans un rickshaw-chambre à gaz. Serrés l’un contre l’autre sur le plastique brûlant et sale, ils en rirent. Le véhicule cahotait effroyablement sur les rues défoncées du bazar. Des guirlandes d’ampoules éclairaient violemment le marché aux légumes. En face, des changeurs brandissaient des liasses de billets. Un coiffeur rasait en série à même le trottoir, sur des petits bancs. Ils avançaient au pas, au milieu de la foule de pauvres hères portant des charges colossales, de chevaux, de charrettes à bras…

Un porteur écrasé sous le poids d’un énorme sac se mit à trottiner à côté du rickshaw, les traits tirés par l’effort, la bouche ouverte, des filets de sueur dégoulinant sur sa poitrine nue. Malko éprouva une brusque vague de pitié. C’était encore le Moyen Age… À ce moment, le malheureux tourna la tête vers lui. Il vit deux yeux noirs brillants d’une lueur presque gênante, comme éclairés de l’intérieur, un rictus découvrant des dents très blanches. Il était décharné, les muscles filiformes saillaient sous la peau marron, à peine cachée par les oripeaux. Comment pouvait-il porter une telle charge, plus que son propre poids ? Meili l’observait aussi.

— C’est horrible, murmura-t-elle. Pauvres gens !

Au moment où elle disait cela, l’homme laissa glisser son gros sac à terre d’un geste inattendu, le posant en équilibre juste devant le rickshaw qui freina pour ne pas l’emboutir. Son conducteur se répandit immédiatement en un torrent d’injures. Ces engins n’avaient pas de marche arrière et il était obligé de contourner l’obstacle.

Malko ouvrait la bouche pour dire au chauffeur de se calmer lorsqu’il aperçut le long crochet d’acier, brillant serré dans la main droite du portefaix. Sa pointe acérée lui servait à accrocher ses charges. Il croisa le regard de l’homme et sa gorge se noua. D’un geste instinctif, il se rejeta en arrière. Juste à temps. Le portefaix venait d’abattre son crochet d’acier à l’endroit même où se trouvait le cou de Malko, une seconde auparavant.

Chapitre VIII

Sous le choc, la capote du rickshaw se déchira sur toute sa longueur.

Déjà, le portefaix arrachait son crochet et frappait à nouveau avec une violence sauvage. Si Malko avait été moins entraîné, il aurait eu la gorge déchirée. D’un coup d’épaule, il projeta la Chinoise à l’extérieur de l’autre côté du rickshaw, tombant sur elle. Cette fois, le crochet déchira la moleskine de la banquette. Le conducteur se retourna juste à temps pour se faire balafrer le visage de la pommette au menton. Déjà, le tueur faisait le tour du rickshaw, un rictus aux lèvres, brandissant son crochet. Malko, le pied coincé, appuyé des mains sur le sol, tourna sur lui-même, sans parvenir à se mettre hors d’atteinte. Il banda ses muscles, s’apprêtant à recevoir le crochet dans le dos.